Faut-il désespérer des intercommunalités ?

Hugo Soutra
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Faut-il désespérer des intercommunalités ?

Illustration du dessinateur Clod publiée à l'occasion d'un dossier sur la place des métropoles et autres communautés de communes dans les municipales 2020, reprise en couverture de "Politiser l'intercommunalité"

© Clod (dessinateur)

Une vingtaine de chercheurs reviennent, dans « Politiser l’intercommunalité ? », sur les élections locales 2020 et le triste sort à nouveau réservé aux métropoles et autres communautés d’agglomérations. L’appropriation des enjeux intercommunaux par les maires, et leur invisibilisation délibérée, n’a pas davantage permis que par le passé de confronter différentes visions sur l’avenir des 1259 bassins de vie. Autant de dysfonctionnements finissant par avoir des conséquences sur les populations comme les territoires : étalement urbain, ghettoïsation sociale, etc... Ni les associations d’élus, ni les maires, ne semblent souhaiter pour autant remédier à ce « déficit démocratique » structurel d’intercommunalités, faisant plus que jamais figure d’institutions largement inachevées.

Il ne s’agit plus d’une vague impression, mais de faits. Le CREMI – un collectif d’universitaires ayant scruté attentivement les élections locales – confirme à quel point les enjeux les plus saillants de l'action publique locale ont de nouveau été passés sous silence ; comment les intercommunalités ont été reléguées, une fois n’est pas coutume, au second plan du débat public. D’Amiens à Rennes en passant par Avignon, Grenoble ou Lille – et ne parlons pas des villes petites ou moyennes ! –, les campagnes municipales de mars et juin 2020 censées pourtant désigner les conseillers communautaires et pas seulement les maires ont été structurées, pour l’essentiel, autour de problématiques communales, d’hyper-proximité, du quotidien. En dépit de la technique du fléchage en vigueur depuis 2014 donc, et de la loi NOTRe ayant renforcé encore un peu plus entre temps les compétences et les budgets des intercos…

« Les élections municipales ont par là même quelque chose d’irréel et de peu démocratique », remarquent les politistes Rémi Lefèbvre et Sébastien Vignon, dès l’introduction de « Politiser l’intercommunalité ? » : « tout se passe comme si la décision locale était toujours du ressort principal des maires et des conseils municipaux, alors qu’elle s’est largement déplacée vers les EPCI à fiscalité propre. Le pouvoir du maire est célébré alors qu’il s’est translaté », observent dubitatifs les deux coordinateurs de ce précieux ouvrage, prenant appui sur une dizaine d’études de cas approfondies.

Quelques évolutions à la marge

Tant que les circonscriptions municipales demeureront la seule voie d’accès aux fonctions intercommunales, les promesses de plantation de quelques arbres supplémentaires, d’un surplus de propreté et de tranquillité publique – jugées plus rentables d’un point de vue électoral – supplanteront les nécessaires débats publics permettant de s'accorder et se donner les moyens d’atténuer la congestion automobile, l’étalement urbain ou les inégalités socio-spatiales, préviennent-ils. Et l’intercommunalité-stratège capable de co-construire des stratégies de long-terme en termes de développement économique, d’habitat ou de transition écologique adaptées aux 1259 bassins de vie que compte la France et légitimes, restera un simple fantasme de France Urbaine ou Intercos de France…

Au-delà de cette incongruité démocratique difficilement soluble à première vue, Rémi Lefèbvre et Sébastien Vignon ont bien repéré de « timides ferments de politisation de l’enjeu intercommunal. » Si l’intercommunalité reste dans sa grande globalité une « affaire d’initiés » – « monopolisée » par des professionnels de la politique en quête de fonctions et d’indemnités supplémentaires lors des élections, et tue le reste du temps –, quelques enjeux de fond comme la collecte des déchets, la gestion de l’eau ou l’organisation des transports collectifs ont tout de même pu échapper à la remunicipalisation ambiante et être discutés publiquement à Bordeaux, Clermont-Ferrand, Lyon, Nantes ou Toulouse. Sous l’égide, notamment, de challengers issus de listes dites « citoyennes et participatives » ou de partis (EELV, LFI, LREM) disposant d’un faible ancrage mayoral.

Un enjeu politicien plus que politique

« La conquête des exécutifs métropolitains et communautaires est apparue plus précocement qu’en 2008 et 2014 » relève également le Collectif de recherche sur les élections municipales et intercommunales (CREMI) ; « le ‘troisième tour des municipales’ semblant davantage intégré aux stratégies de campagne des candidats. » Certains militants, partisans mais aussi associatifs, se sont eux aussi appropriés les EPCI, pour imaginer d’éventuelles alternatives ou réorientations possibles à partir de projets intercommunaux contestés. Enfin, si la presse nationale et régionale n’ont, pour leur part, pas dérogé au traitement journalistique habituel des élections locales – analysées sous le prisme de courses de petits chevaux davantage que de luttes d’influences visant à s’emparer des lieux de production de l’action publique locale –, une poignée de médias locaux sont parvenus à donner un peu d’écho aux travaux universitaires sur la question intercommunale, soulignant la pertinence de cette échelle d’action, le rôle désormais déterminant joué par les EPCI mais aussi donc leurs déficits démocratiques.

Car le cru 2020 des élections locales n’a pas vraiment démenti le constat dressé par les chercheurs en sciences humaines et sociales, de plus en plus nombreux à se pencher sur les failles d’intercommunalités cornérisées voire domestiquées par les maires. « La démocratie intercommunale se fabrique à distance et à l’abri des regards des citoyens ou des élus municipaux », corroborent ainsi M. Lefèbvre et M. Vignon, admettant au passage que l’émergence de ce nouvel acteur au niveau local « a pu contribuer à dé-démocratiser la décision politique et à l’éloigner du citoyen, à rebours du discours insistant sur la ‘proximité’. »

Légèrement plus visibles, toujours aussi peu lisibles…

« Si les compétences stratégiques des intercommunalités semblent légèrement plus présentes dans les débats que lors des campagnes municipales précédentes, si des acteurs – associatifs, économiques, intellectuels, médiatiques… – « éclairés » ou décillés se saisissent de cette question, la politisation de ces enjeux reste faible », indiquent, tout en nuances, les deux politistes lillois et amiénois. Qui estiment dans « Politiser l’intercommunalité ? » que ces critiques et la pression exercée par la « la société civile ou organisée » devraient inciter les conseillers communautaires à s’interroger sur les (dys)-fonctionnements actuels. Et forcer les bureaux de France Urbaine ou Intercos de France à lever le tabou, tôt ou tard, du mode d’élection des conseillers communautaires.

Dans l'attente de ce Grand soir, les quelques signaux encourageants – bien que marginaux – relevés par le CREMI ont vite été balayés par les partitions jouées par les principales associations d’élus comme les candidats sur le terrain. De peur, sans doute, de voir les discussions au sein de ces instances aseptisées et technicistes se politiser, au point – ô drame – que certains EPCI se muent un jour en espaces de délibération politique, analyse Fabien Desage dans une post-face mordante… Appelant à « regarder la faillite de l’intercommunalité en face », le co-auteur de « La politique confisquée : sociologie des réformes et des institutions intercommunales » avec David Guéranger n’hésite pas à remettre une pièce dans la machine, prenant le temps d’analyser dans le détail ce qu’ont fait et surtout ce que n’ont pas fait les EPCI ces vingt dernières années.

Une dépolitisation qui cache mal un « agenda néolibéral »

Donnant la priorité à l’attractivité et la croissance, la plupart sont parvenues à acheter la paix sociale – en créant des zones d’activités économiques ici, faisant émerger des quartiers d’affaires là, ou encore en revitalisant des centres-villes à grands coups de campagnes de marketing territorial. A quel prix, cependant, se demande M. Desage, soulignant leurs difficultés à « agir contre la spécialisation sociale des territoires » et répartir autrement les logements sociaux, à « aménager leurs bassins de vie selon des principes de justice sociale et de sobriété énergétique », pour ne pas dire leurs échecs à « transformer les réalités sociales et matérielles » de leurs territoires ? La recherche du consensus a été synonyme, dans l’immense majorité des cas, d’un incessant étalement urbain et d’une paupérisation croissante des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville.

C’est peu dire, en tout cas, que le regain d’attractivité offert par les politiques intercommunales n’a pas profité également à tous les habitants… Quiconque en douterait n’aurait qu’à faire un détour par les marges des métropoles du Grand Paris (telles que la Seine-Saint-Denis au hasard), de Lille, Lyon, Marseille ou Toulouse… La persistance des « crises climatiques et environnementales, ainsi que des inégalités sociospatiales » représentent, aux yeux de Fabien Desage, « autant de défis vis-à-vis desquels les intercommunalités ont un rôle à jouer, pour autant qu’elles se démocratisent (…) L’échec des institutions intercommunales à réduire les inégalités préexistantes entre les territoires et les populations qui les composent, ou lutter contre la consommation des espaces naturels et agricoles, découle directement de leur faiblesse démocratique. »

Circulez, il n'y a rien à voir... pour l'instant

Constatant la « faible portée » de ses propres recherches parmi les élus locaux, « même quand ceux-ci pâtissent directement du mode de fonctionnement hérité », l’universitaire lillois déroule, désabusé : « Pourquoi les faiblesses démocratiques et incapacités de ces instances, ou encore les inégalités que leurs politiques d’attractivité alimentent – désormais connues et démontrées – ne suffisent-elles pas à susciter un débat public à ce propos, même en temps d’élection ? » Enfermés dans leurs tours d’ivoire, les décideurs politiques locaux semblent ignorer désormais toute parole un tant soit peu critique – qu’elle émane de la Cour des comptes (renouvelées récemment à propos du Grand Paris), de journalistes indépendants ou d’universitaires autonomes. Sans doute « Politiser l’intercommunalité ? » et cette recension ne feront pas exception.

Les élus communautaires n'auront d'autres choix, les avertit néanmoins Fabien Desage, déterminé à user jusqu’au bout de sa liberté d’expression, que de sortir tôt ou tard de ce déni démocratique s’ils espèrent relever les défis environnementaux et sociaux en passe de s’imposer à eux. Tout à son objectif d’arracher un statut de collectivité de plein droit aux EPCI à fiscalité propre, Intercos de France semble pour l’heure s’accommoder sans la moindre gêne de ces carences originelles. « Tout se passe comme s’il fallait regarder ailleurs, et se contenter des discours satisfaits ou incantatoires qui, au gré de chaque nouvelle réforme ou élection, et indépendamment de l’avant et de son bilan, prédisent des « lendemains intercommunaux qui chantent » et des capacités d’action publique nouvelles » conclut Fabien Desage. Ajoutant, si le message n'avait pas été suffisamment clair : « en harmonie, bien entendu, avec l’institution communale et les maires. » Et les protagonistes de la future réforme des institutions ?

« Politiser l’intercommunalité ? Le cas des élections locales de 2020 », sous la direction de Rémi Lefèbvre et Sébastien Vignon, 338 pages, 28 euros (Presses universitaires du Septentrion)

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