"Faire de l’intercommunalité le garant du parcours social de l’habitant"

Aurélien Hélias

Antoine Chéreau, président de la CC Terres de Montaigu (85)

© J.-P. Teillet

Fin de la segmentation par publics cibles, rôle-pivot des EPCI, généralisation des CIAS sans suppression automatique des CCAS, contractualisation avec les départements et les CAF… Antoine Chéreau (photo) et Loïc Cauret, de l’AdCF, livrent en avant-première les conclusions de leur rapport sur l'avenir de la coordination de l'action sociale au niveau local.

En novembre 2014, Antoine Chéreau, président de la communauté Terres de Montaigu, et Loïc Cauret, à la tête de Lamballe Communauté, étaient chargés par les ministres de la Décentralisation, Marylise Lebranchu, et des Affaires sociales, Marisol Touraine, de réaliser un rapport sur l’avenir de la coordination de l’action sociale au niveau local et une territorialisation accrue des politiques sociales. Ils répondent aux questions du "Courrier des maires".

Réclamez-vous, dans votre rapport, le transfert total, au sein du bloc local, de la compétence action sociale en faveur des intercommunalités ?

Loïc Cauret. Nous sommes moins dans une demande de transférer à l’interco la compétence pleine et entière que dans le souhait d'être l’assemblier d’une coproduction. Il y a beaucoup de partenaires sur des périmètres différents, des logiques différentes. Il faut définir l’intérêt communautaire du développement social. Et si l’interco n’est pas le seul maître d’ouvrage, elle doit être le chef de file.

Antoine Chéreau. Nous avons besoin d’une action sociale territorialisée. Or, il serait incohérent de faire de l’intercommunalité le lieu de gestion directe des territoires, si les EPCI  n'ont pas la légitimité à piloter l’action sociale. L’idée serait alors de faire de l’intercommunalité le garant du parcours social de l’habitant. Que la communauté mène l’analyse des besoins sociaux, même si nous avons encore besoin de l’ingénierie sociale du département, à associer aux compétences techniques des intercommunalités.

Il serait incohérent de faire de l’intercommunalité le lieu de gestion directe des territoires, si les EPCI n'ont pas la légitimité à piloter l’action sociale."

Les départements seront donc toujours utiles à l’action sociale ?

L.C. A l’AdCF, nous n’avons jamais dit que nous voulions reprendre les compétences départementales : cela demande une masse critique d’ingénierie que les communautés n’ont pas, sauf dans les métropoles. Il faut en revanche dépasser la logique des silos. Les travailleurs sociaux ne parlent pas forcément au service du territoire intercommunal. Ailleurs, des départements ont contractualisé sur l’action sociale : c’est à développer. Il faut travailler différemment avec les départements, pour davantage d’échange d’ingénierie humaine.

A.C. Sur des sujets comme le handicap et les enfants, les départements sont clairement en charge et porte-paroles des besoins auprès des agences régionales de santé. Eux ont la vision des besoins à l’échelle du département. Vu du territoire, il est légitime de se poser la question du placement des enfants en IME ou en CLIS. Or les interlocuteurs ne sont pas du tout les mêmes ! Il y a une légitimité du territoire local à poser cette question. D’où la nécessaire contractualisation, non par tuyaux, mais globale. C’est ce que font les métropoles avec les départements, depuis longtemps, sur l’action sociale. L’EPCI est alors le bon échelon pour réaliser cette contractualisation. D’autant qu’il nous manque une approche de l’action sociale par le territoire.

Des départements ont contractualisé sur l'action sociale : c'est à développer."

L’intercommunalité serait, selon vous, l’échelle idéale pour analyser les besoins sociaux du territoire… Est-ce à dire que les CCAS n’ont plus d’utilité ?

L.C. L’analyse des besoins sociaux (ABS) ne doit plus être éclatée. Aujourd’hui, là où elle est faite par les centres communaux d’action sociale, cela n’a plus de sens. Sans compter que cette analyse n’est pas toujours faite ou alors ne prend pas en compte tout ce qui pourrait l’être.

A.C. A l’échelle de la commune, le CCAS a la légitimité pour accompagner toutes les demandes. D’autant que tous les CIAS ne se ressemblent pas et sont à compétences spécifiques. Il ne faut pas s’arc-bouter sur la question des CIAS et de leurs rapports avec les CCAS, mais bien laisser à chaque décideur politique le choix du lieu de ressource pour l’action de proximité. Reste que l’ABS ne nous semble pas du ressort du CCAS, mais plutôt de cet « assemblier » que doit être, à nos yeux, l’intercommunalité.

L.C. Le CIAS est un outil qui ne recouvre pas tout, ne s’occupant que des choses qu’on lui a transférées historiquement. Le CIAS est à encourager, mais ce n’est pas la seule voie. D’ailleurs, là où les CIAS n’ont pas de vision globale, des commissions ad hoc sur l’action sociale ouvertes aux élus municipaux existent, sans suppression automatique des CCAS.

L'analyse des besoins sociaux ne nous semble pas du ressort du CCAS, mais plutôt de cet « assemblier » que doit être, à nos yeux, l’intercommunalité."

Comment jugez-vous l’efficacité de votre CIAS dans votre communauté de communes ?

A.C. Dans ma communauté de communes, nous disposons d’un CIAS très orienté "personnes âgées" : gestion des maisons de retraites, SSIAD, portage de repas à domicile, etc. Le CIAS représente d’ailleurs la moitié des agents intercommunaux, et il est assez performant. Mais en même temps, il intervient de manière assez sectorielle et nous ne disposons pas à la communauté d’un regard plus large sur les parcours sociaux. On y entre petit à petit par d’autres biais, notamment par l’urbanisme, via le plan local d’urbanisme intercommunal, le PLUI. Mais il nous manque une démarche globale, en amont, d’un projet social. Le CIAS est ainsi composé des élus aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Et c’est d’ailleurs logique : la communauté et le CIAS ne gèrent que ce que leur ont confié les communes. D’où ce regard uniquement sectoriel.

Quant aux CCAS de ma communauté, ce sont des lieux de proximité et de gestion des urgences, notamment sur le secours alimentaire. Et ils ne sont pas raccordés aux autres acteurs locaux du social, notamment départementaux.

L.C. Notre CIAS gère les services à domicile et aux personnes âgées. A côté, la mise en œuvre du plan local de l’habitat pour les populations fragiles, le CLSPD, ne peut être gérée dans les CIAS. D’où une commission sociale avec des élus non communautaires.

Les CIAS permettent de laisser quelques responsabilités à des communes, mais aussi de dépasser quelques frontières : dans les CCAS de la communauté, à part à Lamballe, il n’y a pas grand-chose. Ils sont à la limite de simples bureaux d’aide sociale.

Quels nouveaux champs d’action les intercos pourraient-elles investir en matière d’action sociale ?

L.C. Les intercos font beaucoup pour la petite enfance : cela fonctionne très bien, notamment dans la collaboration avec les CAF. L’action intercommunale est aussi très importante vis-à-vis des personnes âgées, surtout dans les communautés rurales où la compétence est bien prise. Il nous reste à progresser sur l’insertion, la formation, les parcours de vie, de travail, de logement et de santé. Il faut aussi davantage de passerelles entre l’éducation et les territoires.

A.C. Les agences régionales de santé pourraient aussi passer leurs contrats locaux de santé à des échelles plus larges que la seule commune. Plus largement, deux progrès sont nécessaires sur l’action sociale.

  • Tout d'abord, éprouver la capacité des EPCI à avoir un regard plus global sur la population. En fonction de leur histoire et des demandes, les EPCI ont développé plusieurs politiques publiques et services. Mais cela n’existe pas en interne sur le plan social. Il faut chercher une nouvelle cohérence des compétences sociales. Il faut encourager les EPCI à avoir une vision globale sur leur population, ce qui n’existe souvent pas sur le plan social en interne.
  • Ensuite, les communautés doivent gagner leur légitimité auprès des autres acteurs concernés par ces questions. En montrant, par exemple, que l’on est capables d’être des interlocuteurs des offices HLM sur le logement social et des référents sur le parcours social des demandeurs.

Il faut encourager les EPCI à avoir une vision globale sur leur population, ce qui n’existe souvent pas sur le plan social en interne."

Contrairement à certaines compétences, comme le développement économique, que l’AdCF réclame intégralement au sein du bloc local, vous semblez davantage ouvert à une répartition des rôles sur l’action sociale. Est-ce le cas ?

A.C. A nouveau, il ne faut pas opposer échelon communautaire et local. Sur l’action sociale, plus que sur le développement économique, nous avons besoin d’une articulation d’action de très grande proximité avec une nécessaire ingénierie. Sur des territoires déjà grands et qui vont grandir encore plus, il est difficile d’imaginer tous les adjoints au maire à l’action sociale être aussi élus communautaires…

L.C. L’action économique est facile à déléguer, on est dans la technique. Là, on est obligés d’inventer un front pionnier que même les communes ne traitent pas globalement.

Sur l'action sociale, on est obligés d’inventer un front pionnier que même les communes ne traitent pas globalement."

Comment envisagez-vous la collaboration avec les CAF, partenaires et plus encore importants financeurs ?

A.C. Les caisses d’allocations familiales sont effectivement de très gros financeurs et des partenaires majeurs. Nous devons être plus légitimes encore et plus présents auprès d’elles en multipliant les contrats à l’échelle de l’intercommunalité.

L.C. Les financements des CAF sont essentiels : ils représentent 1,5 euro sur 4 euros pour ma communauté de communes, simplement du fait de la contractualisation. Mais il n’y a pas de coproduction dans les territoires. Notre échange avec le directeur de la Caisse nationale d'allocations familiales, comme avec le directeur général de la Caisse des dépôts, nous laisse penser qu’ils sont intéressés par cette idée de travailler sur la territorialisation.

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