Faire appel à des journalistes pour développer l’esprit critique des citoyens

Faire appel à des journalistes pour développer l’esprit critique des citoyens

Résidence de journalistes dans le Grand Est

© Ministère de la Culture

Déployées depuis 2017 par le ministère de la Culture, les "résidences de journalistes" permettent à des collectivités d'accueillir plusieurs mois durant un ou des journalistes indépendants animant divers formations, conférences et débats auprès de différentes catégories de la population. L'occasion de mener des ateliers d'éducation aux médias comme d'éclairer la fabrique de l'information ou d'aborder d'autres questions plus sensibles relatives à la liberté d'expression, l'homogénéité sociale des journalistes ou l'influence des propriétaires des médias. Plusieurs centaines de résidences ont déjà été organisées, dans des quartiers prioritaires comme des petites communes rurales.

Après les résidences d’artistes ou d’écrivains, voici venues le temps des résidences de journalistes. « Entre l’attentat de Charlie Hebdo et toutes les théories du complot nées de l’épidémie de Covid-19, il me semblait important de développer l’esprit critique de nos concitoyens », explicite le maire (DVD) de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, François Blanchet. Quoi de mieux, pour ce faire, que d’accepter l’offre de la Drac d’accueillir une journaliste professionnelle, trois mois durant ?

Pionnière en la matière, la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) vient, pour sa part, de renouveler l’expérience pour la cinquième année consécutive. Au programme de Pierre Duquesne, ancien journaliste de L'Humanité appelé à la rescousse pour cette mission temporaire : l'animation de « divers ateliers d’éducation aux médias, auprès de publics différents sur des temps différents », comme le préconise le ministère de la Culture.

Quel apport pour les jeunes ?

« Nos craintes relatives à la liberté d’expression sont malheureusement toujours d’actualité, après l’assassinat de Samuel Paty. C’est bien que des journalistes apprennent aux jeunes à se faire leurs opinions par eux-mêmes, plutôt que répéter bêtement les vérités de politiques ou de religieux. Prendre un journal en main est un premier pas pour nombre d’adolescents, qui n’ont pas tous eu la chance de sortir de leur pays et parfois même de leur agglomération », avance Franck Dhersin, maire (SE) de Teteghem et vice-président de la CUD chargé de la culture.

Et pour le reste de la population ?

Séduits par ce programme, les deux élus de centre-droit vantent le travail de fond, au long cours, mené par ces journalistes indépendants, pour la plupart correspondants pour la presse nationale. François Blanchet apprécie également « qu’ils forment des encadrants du champ éducatif mais aussi social et culturel, souvent démunis vis-à-vis du rapport des jeunes aux médias. En prime, cela crée du débat par la suite entre les ados et leurs familles. Or, il n’y a pas d’âge pour baisser la garde face aux fake news… Dans une société où l’information circule de plus en plus vite, nous devons tous prendre du recul et adopter une pratique plus éclairée de la consommation des médias », plaide l’élu vendéen, journaliste de profession.

Quelle influence sur les rapports entre médias et population ?

Pigiste nantais pour Le Figaro ou encore le site Mediacités, Thibault Dumas se remémore les travaux pratiques conduits dans des écoles primaires et collèges de l’interco d’Erdre-et-Gesvres qui l’a accueilli, mais aussi dans les médiathèques, associations, et même lors d’une soirée débat avec des gens du voyage. « La défiance, c’est un peu la musique de fond de ces résidences. Mais le fait d’être intronisé “ rédacteur en chef ” de la population durant six mois nous a permis de les mettre en situation et d’écrire ensemble plusieurs articles, parus sur un site dédié, notamment autour de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes faisant polémique localement. [...] Les élus ont très vite compris que nous n’étions pas là pour rédiger leurs bulletins municipaux ; ils ont respecté nos libertés », se félicite-t-il. Au point même de se voir rappeler l’année suivante pour une seconde résidence, directement financée par la collectivité cette fois-ci.

Quels bénéfices en attendre ?

Franck Dhersin semble ravi de voir les journalistes se nourrir de ces résidences en retour, renouer le dialogue avec leurs détracteurs et questionner certaines pratiques professionnelles. « Toutes ces critiques ne sont pas infondées. Les journalistes n’ont pas davantage vu venir l’émergence des Gilets jaunes que les politiques… Ça démontre à tout le moins une méconnaissance de franges entières de la société française. »

Le journaliste Antoine Tricot s’est justement servi d’une résidence d’écriture portant sur les projets de rénovation urbaine à Dunkerque pour publier « Cheville ouvrière », un livre racontant le quotidien dans les quartiers populaires, au-delà des faits divers qui polarisent les caméras de télévision. « Il y a pu avoir des frictions, avec des habitants, des fonctionnaires et des élus puisque notre regard mêlé à nos techniques d’enquête révèle des avis que certains auraient préféré ne pas entendre. Ce type d’expérience nous permet de documenter une réalité plus diverse de ce qu’est la France aujourd’hui », loue ce journaliste officiant désormais sur France Culture : « On peut très bien aborder des problématiques nationales avec des reportages hyper-locaux à Saint-Pol-sur-Mer ou dans des départements peu peuplés comme le Cantal. »

« Le regard d’un professionnel de l’info nous enrichit »

Frédéric Duché, maire (DVD) des Andelys, président de Seine Normandie agglo
Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accueillir un journaliste en résidence ?

Il y a une désaffection de notre jeunesse vis-à-vis des médias classiques, sans qu’ils aient le recul nécessaire pour traiter correctement l’information leur provenant des réseaux sociaux. Un temps réservé aux politiques, le « tous pourris » englobe de plus en plus de journalistes qui subissent de plein fouet la crise démocratique au même titre que les autres pouvoirs. L’épisode des Gilets jaunes a accru cette défiance, que l’on ressent chez les jeunes de la ville centre, des quartiers populaires comme des campagnes environnantes. Nous espérons que ce journaliste professionnel accueilli pour cette résidence, qui travaille habituellement pour Libération et Les Inrocks, les aidera à croiser leurs sources et à se repérer dans le flot d’informations qu’ils avalent.

Avez-vous votre mot à dire sur son programme de travail ?

Le journaliste et les services ont œuvré ensemble pour tenter de couvrir le champ le plus large possible. Mais, pour le reste, j’estime que la presse doit avoir toute liberté d’action. Je ne me vois absolument pas le brider sur ce qu’il veut faire ou parce qu’il égratigne telle ou telle politique qui dysfonctionnerait. Je vois ce journaliste comme un explorateur d’un monde nouveau, dont le regard extérieur - peu importe qu’il soit critique ou pas - ne peut qu’enrichir les élus comme les cadres administratifs, et bien sûr, la population.

Qu’espérez-vous en retirer ?

Trop de gens ne prennent plus le temps de s’informer, ou alors privilégient l’information-spectacle proposée par des médias sensationnalistes. Il y a un vrai besoin, au-delà de nos jeunes, d’expliquer aux habitants ce qu’est la liberté de la presse, le journalisme d’investigation, l’indépendance, la déontologie. Et si ça peut aider quelques journalistes à descendre dans la soute de la machine France, de complexifier leurs visions de nos villes et de nos campagnes, alors tant mieux ! Car oui, c’est vrai que pour beaucoup de journalistes, point de salut en dehors de Paris ! Lorsqu’ils posent un pied ici, ils donnent l’impression d’arriver dans la pampa…

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