Marc Censi, alors président de de l'Assemblée des communautés de France (ADCF), répond aux questions de Xavier Brivet, rédacteur en chef du "Courrier des maires". Cet entretien est publié dans le mensuel de septembre 2008.
Xavier Brivet. Vous êtes le fondateur et le président de l'Assemblée des communautés de France depuis 1989 (*). La «révolution intercommunale» est-elle accomplie ?
Marc Censi. Quantitativement, c'est incontestable. Je suis plus nuancé sur le plan qualitatif, même si la véritable intercommunalité de projet s'est considérablement renforcée. Je déplore en tout cas que les conséquences de cette révolution intercommunale ne soient toujours pas traduites concrètement dans l'organisation territoriale et institutionnelle de la France. J'adhère pleinement aux propositions du rapport d'Alain Lambert pour clarifier les compétences des différentes collectivités et tendre, notamment, vers une plus grande spécialisation des missions dévolues aux départements et aux régions.
Depuis près de vingt ans, je milite pour que les politiques publiques s'organisent autour de véritables «chefs de file» ou autorités organisatrices. Il est urgent aujourd'hui de procéder à une distinction entre capacités de prescription et capacités d'opérateurs. Privilégions la subsidiarité au millefeuille qui est incompréhensible pour les citoyens et génère des surcoûts.
Quel schéma proposez-vous ?
La clause de compétence générale devrait être réservée aux communes et à leurs groupements. Ce «bloc local» est le seul en mesure de demeurer un opérateur généraliste de proximité. Les EPCI seraient parallèlement les autorités organisatrices du développement et de l'aménagement du territoire en partenariat avec les régions. A côté de leurs compétences d'attribution (formation professionnelle, lycées, etc.), les régions seraient les autorités organisatrices du développement économique, de l'organisation des transports, etc., en adoptant des schémas opposables aux tiers. Les conseils généraux conserveraient leur cœur de métier et donc leur rôle de chef de file dans les domaines du social et de la solidarité, où leurs compétences et la qualité de leurs interventions sont incontestées. Ils seraient parallèlement dotés de compétences d'attribution sur la voirie, la sécurité civile (les Sdis), les transports scolaires dont ils seraient les opérateurs.
Ce schéma est-il partagé par les intéressés ?
Il est entendu à défaut d'être écouté. Il y a quinze ans, on le balayait immédiatement ! Les maires partagent mon analyse. Les départements sont en désaccord et les régions sont divisées. Il faudra trouver un consensus pour sortir de cet imbroglio. C'est uniquement à partir de cette réorganisation qu'il faudra remettre à plat les relations financières avec l'Etat et réformer la fiscalité locale. Et, notamment, expérimenter puis généraliser une DGF «territoriale» consolidant les dotations communales et intercommunales.
L'intercommunalité ne doit-elle pas encore améliorer son propre fonctionnement ?
Bien sûr, c'est un mouvement continu et perfectible. L'achèvement et la rationalisation de la carte intercommunale, la suppression des syndicats intercommunaux devenus inutiles, les fusions de communautés lorsqu'elles s'imposent, la mutualisation des moyens humains entre communes et communautés sont des chantiers que les élus doivent mener.
La faible appréhension de l'intercommunalité par les Français n'est-elle pas un échec ?
Je ne partage pas votre constat. J'ai présidé à partir de 1983 et jusqu'en mars 2008 le district puis la communauté d'agglomération du Grand Rodez. Je vous affirme que les citoyens ont tout à fait conscience du rôle de l'intercommunalité sur ce territoire. Au niveau national, l'intercommunalité a du reste été un enjeu important des élections municipales. Des efforts doivent cependant porter sur la démocratie intercommunale : le renforcement du débat communautaire et les modalités de désignation des élus. Je suis opposé à l'élection au suffrage universel direct des délégués communautaires car il signifierait la mort des communes. Or, j'ai toujours été partisan d'une intercommunalité fédérative, respec¬tueuse des communes. Je suis favorable en revanche à la solution des candidats "fléchés" sur les listes municipales, qui permet de les faire élire par les électeurs locaux.
Vous céderez la présidence de l'ADCF en octobre 2008. Quel sera votre état d'esprit et quel message délivrerez-vous à votre successeur ?
J'aurai le sentiment de tirer ma révérence au terme d'une évolution à laquelle j'ai pris modestement ma part. Le bureau exécutif sortant de l'ADCF proposera une liste dite de «continuité», respectant les grands équilibres statutaires de l'association (pluralité des sensibilités politiques...) qui font la force et la crédibilité de l'ADCF. Mon successeur devra y veiller et porter haut le projet de réorganisation des pouvoirs locaux que j'ai esquissé. Il devra être, comme nous l'avons été, le «poil à gratter» du législateur sur l'intercommunalité.
(*) Daniel Delaveau, président de la communauté d'agglomération de Rennes, a succédé à Marc Censi à la présidence de l'ADCF, le 9 octobre 2008. Marc Censi a été nommé président d'honneur de l'assemblée.