Jacqueline Gourault le 30 octobre 2019 à Nice lors de la convention de l'ADCF
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S’il y a une chose que le gouvernement est prêt à détricoter en ce moment, ce ne sont pas les intercommunalités mais plutôt la version du projet de loi Engagement et Proximité telle que votée par le Sénat le 22 octobre. C’est, en substance, ce qu’il faut retenir des interventions du premier ministre Edouard Philippe et de Jacqueline Gourault, mis sous pression lors de la trentième convention de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) et contraints de clarifier leurs entre-deux.
A tous ceux qui caricaturent l’intercommunalité en un simple monstre technocratique, Jean-Luc Rigault a montré que leurs élus savaient aussi faire de la politique. Chargé d’introduire les débats de la 30ème convention de l’Assemblée des communautés de France, qui a débuté mercredi 30 octobre à Nice, le président de l’AdCF a d’emblée tracé le sillon qu’allait suivre la journée, comme il l'imaginait. « Il nous faut prendre du recul avec les turpitudes de l’actualité » philosopha d’abord le maire et président du Grand Annecy, en référence au projet de loi Engagement et Proximité qu’a remanié le Sénat. Avant que le ton ne se durcisse peu à peu, au fil de son discours. « L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant » continua-t-il, mobilisant cette fois-ci le poète René Char pour défendre sa cause.
Les élus intercommunaux ne doivent pas « regarder dans le rétroviseur, mais au contraire se tourner vers l’avenir. Il y a d’autres congrès pour jouer aux pleureuses et verser des larmes » conclua ensuite un Jean-Luc Rigault plus martial, rompant avec la courtoisie pour ne pas dire la flagornerie habituelle des relations entre associations d’élus. Le motif de son courroux ? « Ce ne sont plus les irritants de la loi NOTRe qui sont visés par certains maires et sénateurs, mais des dizaines d’années de coopération intercommunale. Comme nous le craignions, le projet de loi Engagement et Proximité a rouvert la boîte de Pandore et les sénateurs ne se sont pas faits priés pour l’amender. A un moment donné, il faut dire stop ! »
Le chef du gouvernement "n'a pas l'interco honteuse"
Stop : c’est donc le message qu’est venu apporter le premier ministre Edouard Philippe, en personne. « J’entends un débat prospérer, qui opposerait les tenants de la commune aux tenants de l’intercommunalité. Pour avoir occupé les deux fonctions au Havre, je dois vous avouer ne pas bien en comprendre les termes. Il y a dans l’intercommunalité de la Politique avec un grand « P » : je n’ai pas l’intercommunalité honteuse. Mais je ne veux pas opposer l’attachement qu’ont les Français à la commune, socle de leur identité, à la nécessité de disposer d’intercommunalités ambitieuses, œuvrant de façon transversale sur des sujets de prospective » a tenté de clarifier l’hôte de Matignon, lors d’une allocution d’une dizaine de minutes ponctuant un aller-retour express.
Par l’intermédiaire de Jacqueline Gourault, le gouvernement n’avait pas manqué, plus tôt, de rassurer l’AdCF en distillant quelques preuves d’amour. « Alors que les Français mettent de plus en plus l’accent sur la qualité de vie, vous assurez les services publics locaux les plus essentiels. A nos querelles d’experts, les habitants opposent des principes simples – proximité, lisibilité, efficacité. Nous leur devons des actes. Vous leur devez de bâtir et faire vivre des projets de territoire. C’est pourquoi je vous garantis la stabilité institutionnelle à laquelle vous aspirez. Nous ne souhaitons pas que les six prochaines années soient consacrées à défaire et refaire du mécano institutionnel, réactualiser les organigrammes et renégocier chaque contrat de délégation de service public.»
Rééquilibrages à venir à l'Assemblée nationale
Dès le début de la matinée, l’ex-sénatrice du Loir-et-Cher avait commencé à prendre ses distances avec la version du texte tel que transformé et voté par le Sénat, d’ailleurs rebaptisé « Envasement (intercommunal) et Promiscuité (communale) » par certains congressistes. « Il ne vous a pas échappé que la majorité au Sénat n’est pas une force pro-gouvernementale » a-t-elle d’abord interpellé Jean-Luc Rigault et l’assemblée. « Nous respectons la liberté parlementaire, mais oui, mon collègue Sébastien Lecornu aura de nombreuses discussions dans les semaines à venir. Le gouvernement tient à sa ligne » a-t-elle défendu, montant elle aussi en chauffe, avant de se montrer plus concrète sur un sujet lui tenant particulièrement à cœur.
« Nous espérons réunir une majorité à l’Assemblée nationale pour revenir sur le transfert obligatoire des compétences Eau et Assainissement aux intercommunalités. » Alors que les sénateurs, obnubilés par la liberté d’organisation qu’ils réclament à tort et à travers, ont purement et simplement supprimé cette mesure, la rendant seulement optionnelle, le gouvernement souhaite pour sa part conserver son côté obligatoire, quitte à permettre ensuite de déléguer ce service à une commune… « Les enjeux autour des économies d’eau et d’un meilleur partage entre usages civils et agricoles vont devenir déterminants dans les années à venir. Cette politique nécessitera des partenariats à grande échelle » justifie la secrétaire d’Etat en charge de la transition écologique, Emmanuelle Wargon, venue en appui de la ministre de la cohésion des territoires.
Le chantier de la gouvernance reste ouvert
Le sénateur socialiste Eric Kerrouche a bien défendu certains apports de la Chambre Haute. « La parité n’était absolument pas traitée dans le texte initial que nous avait envoyé le gouvernement » n’a-t-il pas manqué d’adressé à destination de Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu. « Une assemblée n’a pas vocation à ressembler à une société locale, mais la sous-représentation des jeunes, des femmes ou de certaines catégories socio-professionnelles occasionnent tout de même d’importantes difficultés. C’est pourquoi nous avons introduit le principe de retrouver le même nombre de femmes au sein du bureau exécutif que dans l’assemblée intercommunale» s’est-il ainsi félicité. Il faut dire que les intercommunalités demeurent extrêmement masculinistes, et que l’AdCF n’a guère fait preuve de volontarisme pour y remédier, ces derniers mois et années. Mais, à l’issue de cette première journée de débat, les choses sont globalement claires : mis à part quelques avancées sur lesquelles le gouvernement ne s’interdit d’ailleurs pas de revenir pour des questions de méthode, le projet de loi Egalité et Proximité tel que voté par le Sénat a fait long feu.
La dernière cartouche, s’il en fallait une, aura donc finalement été tirée par le premier ministre. « Il n’est pas question pour mon gouvernement de détricoter l’intercommunalité. Le président de la République et moi sommes toujours attachés au principe que nous avions posé en 2017 de vous apporter stabilité et prévisibilité. Nous pouvons sûrement consentir à accorder aux élus un peu de souplesse et de libertés sur certains points, pour lever des blocages. Je reste en effet persuadé que nous avons besoin de maires épanouis pour avoir des intercommunalités fortes. C’est pourquoi il faut parvenir à leur garantir le fait qu’ils aient toute leur place et ne soient pas mis de côté par l’exécutif intercommunal. Si nous y arrivons, alors nous serons prémunis de tout big bang périmétrique ou de compétences » a déroulé Edouard Philippe.
"3D" : Un projet de loi sur-mesure pour les intercos ?
Profitant de sa présence à Nice, la ministre de la Cohésion des territoires a donné rendez-vous en 2020 aux élus intercommunaux ayant prévu de rempiler pour le prochain mandat. Ceux-ci disposeront d’un nouveau cadre de travail, leur a-t-elle promis. « Le projet de loi 3D que je porterai au prochain semestre reflète ma conviction. Un acte de décentralisation ne saurait se limiter aux seuls transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités, mais doit être adapté à chaque territoire et s’accompagner pour cela d’une transformation des relations Etat-collectivités. Le gouvernement ne peut plus prescrire une solution, il nous revient de vous mettre à disposition une boîte à outils pour adapter localement les réponses » a explicité Jacqueline Gourault.
L’ex-sénatrice du Loir-et-Cher a également feint de s'excuser pour mieux faire rêver les congressistes : « mon ministère est un gros producteur de contrats territoriaux ou thématiques. Si nous pouvons nous réjouir que la République contractuelle est en marche, nous avons peut-être abusé et veillerons en tout cas à ne pas tomber dans l’excès à l’avenir. Nous sommes prêts à inventer de nouvelles pratiques décentralisatrices », ne confirmant ni n’infirmant pas le concept de « contrat global pluriannuel » défendu par ses partenaires de l’AdCF, sans donner davantage de détails toutefois sur son contenu, et surtout, ses sources de financements.