En parallèle de leurs thèses, des doctorants transforment l'interco du Clunisois

Hugo Soutra
En parallèle de leurs thèses, des doctorants transforment l'interco du Clunisois

Logo du programme "1 000 doctorants pour les territoires"

Président du regroupement HESAM Université de 2016 à 2020, Jean-Luc Delpeuch a initié le programme « 1000 doctorants pour les territoires. » Le nombre d’étudiants accueillis en collectivité en parallèle de la rédaction de leurs thèses a plus que doublé en trois ans. Une démarche pour le moins intéressée, tant celui qui est également président de la communauté de communes du Clunisois depuis 2008 connaît bien la problématique du manque d’ingénierie dans certaines collectivités. Interview de cet élu pas comme les autres, spécialiste du monde rural comme de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Les petites communes n’ont généralement pas le droit ni les moyens de recruter des cadres de catégorie A. Qu’à cela ne tienne, Jean-Luc Delpeuch – à la tête de Cluny, moins de 5 000 habitants, puis de la communauté de communes du Clunisois de près de 14 000 habitants -, a trouvé la parade. Il a déjà accueilli trois doctorants en sociologie, urbanisme et architecture, pour aider les élus et agents à monter des dossiers, répondre aux divers appels à projets et tenter ainsi de relever les principaux défis auxquels ces territoires sont confrontés.

Courrier des maires : D’où vous est venu l’idée de faciliter l’accueil de doctorants sous convention CIFRE  par les collectivités ? 

Jean-Luc Delpeuch : C’est un programme tiré de mon expérience d’élu local, confronté à la présence de plus en plus rare de l’Etat sur le terrain, et conscient des difficultés de recrutement dans la fonction publique territoriale dans certains territoires ruraux. Les doctorants ne remplacent évidemment pas des cadres administratifs et leur apport, précieux, ne pallie pas des emplois vacants. Mais ils apportent un vrai plus, dans une logique de projets.

Les élus font face à des problématiques sociales, économiques ou climatiques, des questions non seulement complexes mais aussi évolutives, qui ont des implications très concrètes sur le terrain. Faute de solution toute-faite, chargé à nous – maires et présidents d’intercos – d’inventer les bonnes réponses avec nos services, qui ne sont pas toujours en capacité de le faire…

Qu’avez-vous retiré, concrètement, des premières recherches menées en parallèle de leurs emplois par les doctorants embauchés par la Communauté de communes du Clunisois ?

Un doctorant en sociologie a travaillé sur les questions d’inclusion sociale, d’emploi et de développement économique. C’est lui qui a préparé notre candidature pour la démarche « Territoires zéro chômeur de longue durée. » Surtout, il a inventé de nouveaux modes-de-faire en tant que travailleur social, en tenant des permanences au sein des distributions de repas des Restos du Cœur afin de rencontrer des publics qui n’auraient jamais fait valoir leurs droits ni pousser la porte de la mairie ou de notre maison France Services en temps normal.

Sa thèse n’a pas seulement contribué à faire avancer la science, mais a également permis de renouveler les relations entre l’administration locale et les administrés, en privilégiant le travail en transversalité sur la culture du guichet.

Pourquoi avoir fait appel, dernièrement, à une doctorante en architecture ?

Nous aurions pu confier aux services techniques l’animation de notre projet d’intérêt général (ANAH) d’amélioration énergétique de l’habitat en régie, c’est sûr. Plus habituée à traiter avec des cabinets de conseils extérieurs, la préfecture n’a d’ailleurs pas caché son scepticisme, au départ…

Mais, outre leur fine connaissance des jeux d’acteurs et des problèmes organisationnels particulièrement précieuse dans ce type de démarches – ne serait-ce que pour aider les acteurs locaux à se repérer dans le maquis des aides disponibles –, faire appel à une doctorante nous permet de réfléchir en même temps aux problématiques plus générales d’habitat en milieu rural. Elle apporte, en tant qu’architecte, une connaissance technique et une créativité qu’aucun fonctionnaire territorial n’aurait pu avoir.

Au-delà du cas clunisois, pensez-vous sincèrement que ce type de contrats permettent aux élus de résoudre les grandes problématiques auxquelles ils sont confrontés, qu’il s’agisse d’adaptation au vieillissement ou de dévitalisation des centres-villes ? 

Le diagnostic du territoire auquel ont contribué les doctorants aidera les élus du Clunisois à définir notre stratégie de territoire en 2021. Nous voulons devenir un « territoire apprenant. » Et toutes les collectivités devraient réfléchir sur ces enjeux de formation. Le droit au savoir doit être garanti, y compris et surtout en milieu rural où les acteurs ont plus difficilement accès aux formations du CNFPT – réservées aux agents territoriaux – ainsi qu'aux formations d’élus, alors qu’ils doivent s’adapter en permanence et inventer des politiques nouvelles pour espérer tirer leur épingle du jeu.

Si nous voulons que les élus parviennent à relever l’ensemble des défis territoriaux auxquels ils font face, ils doivent pouvoir bénéficier plus facilement de telles ressources, vu la nature des changements et l’urgence d’agir. Se frotter aux expertises des uns et des autres les aidera à trouver des solutions adaptées. Dans le Clunisois, nos doctorants animent régulièrement des séminaires de formation pour les élus et les agents du territoire.

Quels sont les apports académiques de ces thèses menées en collectivité, d’après vous ? 

La plateforme "1000 doctorants pour les territoires" est destinée à aider les élus locaux à évoluer et faire changer la vie de leurs concitoyens grâce aux derniers savoirs disponibles. Elle donne leurs chances, en outre, à des étudiants brillants de faire de la recherche sur des sujets utiles, qui ont du sens et qui les professionnalisent en même temps… Mais c’est aussi un moyen de modifier la culture de nos universités et grandes écoles : beaucoup font de la recherche en restant dans leurs tours d’ivoire, sans forcément penser le bénéfice direct pour la population ou les territoires concernés, craignant probablement de se salir les mains…

Je me réjouis que ce programme participe à mettre la recherche en rapport avec des problématiques de terrain. Nous n’avons plus le temps d’attendre que des savants trouvent des solutions toute-faites, ni que les élus se mettent d’accord entre eux au niveau international, européen ou national. C’est pourquoi nous devons nous organiser, sur le terrain, pour opérer les changements nécessaires, par nous-mêmes.

De 56 doctorants en collectivités à 119 en trois ans...

Le nombre de doctorants accueillis en CDI (ou CDD de trois ans) dans les collectivités a plus que doublé depuis la création du programme, passant de 56 en 2016 à 119 en 2019. Il s’agit majoritairement d’intercommunalités ou d’agences d’urbanisme. Outre la communauté de communes du Clunisois ou Nantes Métropole, les mairies de Paris mais aussi de Pontivy ont accueilli des doctorants ces dernières années. Et ce pour une somme modique ! Le dispositif CIFRE permet à ces établissements de percevoir une subvention de 42 000 euros sur trois ans de l’Etat, pour un salaire minimum annuel de 23 484 euros bruts non-chargé.

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