troisième âge - seniors
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Après une campagne à rallonge devenue complètement atone, le second tour des municipales se révèle aussi peu lisible qu’incertain. Spécialiste de la politique en temps de crise, Florent Gougou tire plusieurs enseignements de cet entre-deux tours de plus de trois mois totalement inédit. Ce maître de conférences à Sciences Po Grenoble doute, par ailleurs, que la crise sanitaire transforme en profondeur les rapports de forces électoraux locaux.
Les candidats, dont certains tentent de mener une campagne « sans contact », entrent dans la dernière ligne droite des élections municipales 2020. Pensez-vous que les électeurs répondent présents ?
Assistera-t-on à un sursaut de participation… ou d’abstention, dimanche 28 juin prochain ? Difficile de le prévoir. Le vote du projet de loi pour sécuriser le second tour, qui facilite le système de procurations, n’est assurément pas le seul facteur à prendre en compte. Bien d’autres mécaniques et dynamiques peuvent influer sur l’évolution de la mobilisation électorale entre les deux tours
Dans une ville comme Grenoble où l’issue du second tour semble déjà connue d’avance à la lecture des rapports de forces enregistrés le 15 mars, les citoyens risquent de se démotiver… A Lyon, au contraire, l’attention accordée par de grands médias nationaux à l’alliance de Gérard Collomb (LREM) avec LR peut être source, localement, d’une augmentation de la participation…
Une faible mobilisation des personnes âgées et des plus vulnérables ne risque-t-elle pas d’entacher ce second tour ?
Nous avons enregistré, le 15 mars, le pire niveau d’abstention qu’il n’y a jamais eu en France à une élection municipale. Ce triste record s’explique à la fois par une cause conjoncturelle – la propagation du coronavirus – et des tendances plus structurelles. S’il interroge effectivement la légitimité du système politique local, on peut et on doit d’abord discuter la sincérité des précédents scrutins, avant de vouloir remettre en cause les résultats du premier tour !
Le recul de la participation électorale en mars 2020 a essentiellement concerné des personnes âgées de 65 ans et plus, qui ont été 50% à voter en 2020 contre 85% six ans plus tôt. Mais elles restent toujours mieux représentées que les jeunes de 18 à 24 ans, dont le taux de participation est passé de 39% à 30% en 2020 selon l'IFOP. Les seniors continuent donc de faire le scrutin, même s’ils ont moins influencé les résultats du premier tour que d’ordinaire ! Le coronavirus n’a fait que corriger, en quelque sorte, les fortes inégalités de participation entre générations.
Pensez-vous que le système de double-procurations puisse nous éviter de battre un nouveau record d’abstention, ou les soupçons d’irrégularités à Marseille ou Bordeaux risquent-ils de limiter l’adhésion à ce nouveau système ?
A chaque élection, il y a des fraudes électorales, généralement suivies d’annulations de scrutin. Mais ce n’est pas à moi de dire si la simplification des procurations, la procédure en ligne, l’autorisation des double-procurations est bien ou mal, si louer un minibus pour convoyer les personnes en EPHAD vers les bureaux de vote est éthique ou non, etc.
Plusieurs travaux en sociologie électorale, dont ceux de Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, expliquent une partie de l’abstention par les mini-obstacles qui s’accumulent et compliquent l’acte de vote. Rien ne peut transformer les abstentionnistes constants en électeurs assidus, bien sûr ! Mais tout ce qui facilite les choses, par exemple ces procurations simplifiées ou l’automatisation de l’inscription sur les listes électorales, peut en théorie doper la participation électorale. Cette nouvelle possibilité pourrait permettre de remédier aux craintes de certains électeurs âgés, me semble-t-il, si tant est que les pouvoirs publics en assuraient une large publicité. Faute de notice claire, nombre d’électeurs sont probablement davantage au courant de la météo du week-end prochain que de l’organisation des élections municipales…
Sans compter que ces double-procurations ne remplaceront pas l’absence de campagnes et de débats politiques contradictoires susceptibles d’éveiller l’intérêt des électeurs…
Malheureusement, aucune étude scientifique n’a pu établir de corrélation entre qualité du débat public et niveau de participation électorale. Les « campagnes de caniveau » que nous pouvons observer à certains endroits présentent de l’intérêt, malgré tout. L’on disait les sujets environnementaux consensuels mais il semblerait qu’ils soient beaucoup plus conflictuels, en réalité. La possibilité de voir une tête de liste écologiste accéder à la fonction de maire révèle le positionnement tortueux de leurs adversaires, mais aussi de certains milieux économiques locaux par rapport à cette matière…
La crise sanitaire peut-elle avoir, selon vous, une incidence sur la compétition électorale ?
Un seul scrutin a été interrompu dans l’histoire par une crise sanitaire : il s’agissait de « mid-terms » organisées en 1918 pendant l’épidémie de grippe espagnole aux Etats-Unis. Si cela avait bouleversé les moyens de faire campagne, comme aujourd’hui avec l’interdiction de nombreuses techniques ou l’usage des réseaux sociaux qui se répand jusque dans les petites communes par exemple, cela n’avait pas eu de grande incidence sur les rapports de forces électoraux.
Les maires sortants n’ayant pas commis de graves erreurs durant cet entre-deux tours de trois mois ont de bonnes chances d’être reconduits dans leurs fonctions. La crise sanitaire a représenté une formidable opportunité pour corriger leurs images et gagner en crédibilité, alors que leurs adversaires ont été tout bonnement invisibilisés... Je ne serai donc pas surpris que la « féodalisation » de la vie politique locale que nous avons entraperçue le 1er tour au soir se confirme dimanche prochain : l’affranchissement de certains barons locaux PS et LR vis-à-vis des appareils politiques traditionnels, en désuétude depuis 2017, a permis une très grande stabilité, au grand dam de LREM et du pouvoir national. La capacité des partis politiques à cadenasser l’offre électorale s’est considérablement étiolée, mais les campagnes de terrain de ces candidats autoproclamés « sans étiquette » ont été récompensées avec un taux considérable de reconduction des équipes sortantes.