Les élus d’opposition peinent à faire respecter leurs droits, pourtant garantis par la loi. Ils doivent développer des tactiques particulières pour se faire entendre. Le mandat d'opposition exige un investissement à temps plein.
« Des droits ? Aux yeux de la majorité, nous aurions plutôt des travers ! », lance avec humour Jean-Luc Trotignon, conseiller municipal à Rambouillet (78) et secrétaire permanent de l’association Anticor. En effet, si depuis 1992, la loi a renforcé les droits des minorités locales - des garanties d’autant plus nombreuses que la collectivité est importante -, la guerre de tranchées et les échanges houleux sont fréquents au sein des assemblées locales.
Le combat débute parfois dès le standard. « Des courriers qui s’égarent, des messages téléphoniques qui ne parviennent jamais à leurs destinataires, aucun contact sur le site internet de la collectivité… Joindre un conseiller d’opposition relève généralement de la mission impossible », déplore Clotilde Ripoull, conseillère municipale à Perpignan (66) et présidente de la jeune Association nationale des élus locaux d’opposition (Aelo, lire ci-contre). « La première tâche de l’élu minoritaire consiste donc à s’employer à exister », souligne Anne-Lise Jacquet, conseillère municipale d’Artigues-près-Bordeaux (33), qui encourage ses homologues à « jouer de toutes les visibilités désormais offertes par internet ».
Etre informé, coûte que coûte
Reste à donner corps à sa mission. Une sacrée gageure d’après Jean-Luc Trotignon : « Pour travailler efficacement, il faut d’abord un bureau décent - obligatoire dès le seuil de 3 500 habitants -, un téléphone et un ordinateur connecté à internet. Or, ce minimum est rarement au rendez-vous », pointe l’élu qui vient tout juste de réceptionner l’imprimante demandée en début de mandat.
« Ce qui manque le plus cruellement, c’est l’information, l’accès aux données indispensables pour forger des contre-propositions », regrette Jean-Sébastien Tardieu, ancien collaborateur de groupe aujourd’hui directeur de cabinet au conseil général de la Meuse.
Le droit à l’information des élus locaux a été consacré par la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, puis étendu par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales. La réalité est toutefois loin d’être aussi idyllique : « Généralement, les services municipaux font montre d’une grande frilosité à l’égard de l’opposition, dont toute demande devra préalablement passer par le cabinet et/ou la direction générale des services », explique Clotilde Ripoull. Lorsque la situation devient insupportable, deux solutions : « Saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) sachant qu’elle n’a qu’un rôle consultatif », suggère Jean Luc Trotignon. Ou « se constituer en interne un réseau de petites mains » comme l’évoque cet autre élu, il est vrai hier majoritaire. « Il faut admettre qu’un grand nombre d’informations n’arrivera jamais à l’opposition », reconnaît Sarah Vidal, attachée de groupe au conseil général de l’Aveyron : « Celle-ci doit donc compenser par une présence très marquée, sur le territoire, la presse et les réseaux sociaux. »
« Siéger utile »
« Tout membre du conseil municipal a le droit d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération », dispose l’article L.2121-13 du CGCT. Las… Si dans les communes de plus de 3 500 habitants, la composition des commissions, y compris celle d’appel d’offres (CAO), doit respecter le principe de la représentation proportionnelle (art. L.2121-22 CGCT), rien n’oblige à ce que ces commissions soient l’antichambre des décisions de l’assemblée délibérante. De plus, soulève Jean-Luc Trotignon, « comment couvrir à cinq l’ensemble des commissions avec une activité professionnelle parallèle ? ». Enfin, « comment se mobiliser lorsqu’un sujet figurant à l’ordre du jour n’est reçu que cinq, voire trois jours, avant le conseil municipal ? Et comment influer sur des décisions tant que l’opposition ne siégera pas, de droit, au sein des intercommunalités désormais chargées d’un champ de compétences très large ? », s’interroge Françoise Scurmann, élue à Jarnac (4 500 hab., Charente). Devant cette montagne de difficultés, nombre d’énergies s’épuisent, minées par la dispersion et l’absence de résultat. Des solutions existent pourtant pour « siéger plus utile » assure, Emir Deniz. Responsable de l’Institut européen des politiques publiques, il préconise de « répartir les secteurs d’intervention entre chaque membre du groupe afin de se spécialiser et créer ainsi plusieurs réseaux thématiques, relayés sur le web où une dynamique sera aisée à créer. C’est un travail constructif auquel il faudra ensuite donner écho en conseil ».
C’est évidemment dans ce cadre que les conseillers minoritaires vont pouvoir lancer le débat. Enfin… dans les textes du moins. « Personnellement, j’ai vécu sept années d’horreur », avoue Françoise Scurmann qui se remémore « les altercations violentes virant aux propos vexatoires ou, pire, au mépris ostentatoire ». Pour rompre avec ce système, les élus minoritaires disposent toutefois de quelques armes, comme de convier la presse ou d’enregistrer la séance afin de la retransmettre sur internet. De fait, « si la majorité nous ignore, il faut que les habitants nous connaissent », insiste Anne-Lise Jacquet.
Se faire entendre des électeurs
La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité garantit l’expression des minorités dans les communes de plus de 3 500 habitants par un espace réservé dans le bulletin municipal (papier, site internet, newsletter…). Mais là encore, le texte tourne souvent court car la loi n’impose aucun format. Pour contrebalancer ce déséquilibre, restent les conférences et communiqués de presse ainsi que les incontournables « 4 pages » à « boîter manuellement ». Sans oublier, bien entendu, internet (gratuit, réactif et interactif). Encore faut-il savoir l’utiliser… Anne-Lise Jacquet, qui est aussi collaboratrice d’élus à la communauté urbaine de Bordeaux, a ainsi convié récemment tous les conseillers d’opposition à un média training intensif sur les utilisations du Web 2.0. Parallèlement, sur le terrain, souligne Julien Ernst, collaborateur de groupe au conseil général du Haut-Rhin, « l’élu minoritaire, plus encore que celui issu de la majorité, devra être de chaque inauguration, assemblée générale associative, fête de canton, etc., pour asseoir sa notoriété, activer ses relais et diffuser sa propre information ».
Formation et union
Se former est aussi la priorité, quitte à jouer des coudes. L’article L.2123-12 indique bien que « les membres d’un conseil municipal ont droit à une formation adaptée à leurs fonctions ». Mais il n’impose pas une enveloppe minimum, d’où de fréquentes fins de non-recevoir à l’opposition pour cause de budget insuffisant. « Je conseille aux élus d’opposition d’adresser à l’exécutif, avec accusé de réception, le bulletin d’inscription accompagné d’une demande écrite rappelant la loi », suggère Emir Deniz.
Résister, c’est aussi « faire bloc ». D’abord avec d’autres conseillers d’opposition de la collectivité. En contrepartie, les élus des structures les plus importantes bénéficient d’avantages, notamment de personnels dédiés. L’instinct de survie commande aussi de « réseauter », via les formations politiques, les réseaux sociaux ou associatifs : « Peu importe le moyen, l’essentiel est d’organiser une veille collective ainsi qu’une large plateforme d’expériences », assure Julien Ernst, lui-même responsable de l’Association des collaborateurs de groupes socialistes et apparentés des conseils généraux.
Enfin, depuis 2010, une association nationale réunit les élus locaux minoritaires (Aelo). La structure a deux vertus. D’abord lutter pour que, partout, les droits élémentaires de l’opposition soient respectés et qu’au sein de l’AMF, une commission spécifique soit créée. Ensuite constituer « un appui pour ces centaines d’élus que même leur parti néglige tant qu’ils sont du mauvais côté », souligne Clotilde Ripoull avant de conclure : « L’opposition détient un rôle de contrôle et de contre-pouvoir essentiel pour la décentralisation. Ne la laissons plus jouer les simples figurations. »
Une association dédiée, Aelo
Créée en 2010, l’Association nationale des élus locaux d’opposition (Aelo) réunit déjà quelque deux cents élus minoritaires de toutes sensibilités politiques ayant ressenti le besoin de partager leurs expériences. Aelo veut rééquilibrer les forces afin que l’opposition locale puisse enfin exercer ses droits et faire entendre sa voix au sein des exécutifs locaux. www.aelo.info
cathyv - 03/04/2014 11h:45
L'article présenté fait mention des villes de plus de 3500 habitants (concernées par l'opposition avant 2014) mais y a t-il un texte régissant la nouvelle loi attribuée aux villes de plus de 1000 habitants qui bénéficient aujourd'hui d'une opposition ? où est ce appliqué automatiquement depuis ce changement? Notre village édite un bulletin d'information régulier. Merci pour votre réponse
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