Elu-dircab : l’expertise prend le pas sur l’affectif

Denis Solignac

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Les élus préfèrent des professionnels aux militants d’antan. La complexité croissante de la gestion locale rend la fonction indispensable. Le dircab s'affirme comme un collaborateur "à part" et à part entière.

Travailleurs de l’ombre, les « dircabs » nouent avec leurs élus ces liens privilégiés que seule tisse la proximité. Mais, in fine, qu’attendent vraiment les élus, en 2010, de leurs premiers collaborateurs de cabinet ? « Quel que soit l’élu, la tranquillité d’un mandat et l’hypothèse d’une réélection requièrent deux impératifs : un excellent directeur général à la tête de l’administration et celle d’un non moins excellent directeur de cabinet aux côtés du maire. »

Pour Philippe de Fursac, du cabinet de recrutement « Hommes et Entreprises International », l’affaire ne souffre donc aucun doute : le « dircab » est aujourd’hui une pièce maîtresse du jeu politique. Et l’homme - puisque c’est majoritairement le cas - doit être un véritable « pro » sur un échiquier local aux joueurs et cases démultipliés. Le militant d’hier ne fait plus recette, « les élus veulent désormais quelqu’un au panel de connaissances très densifié, en accord avec la pluralité d’intervenants et de compétences qui font le quotidien des collectivités », poursuit le chasseur de têtes.

Quel cursus ?

En lieu et place d’une carte de parti, les dircabs sont donc priés de présenter un « cursus ». A Autun (15 000 hab., Saône-et-Loire), Rémy Rebeyrotte a par exemple clairement opté pour « un développeur économique, une compétence stratégique dans le cadre autunois », tandis que Verrières-le-Buisson recherche plutôt « une personnalité orientée com’ », ainsi que le rapporte le premier adjoint de la ville, Thomas Joly.

« Renforcée d’une spécialisation ou non, la connaissance des administrations et process de la vie locale est ainsi devenue un impératif afin que l’aide à la décision politique repose sur des paramètres irréfutables », résume Sylvie Raviat, directrice du cabinet Owen Conseil. Cependant, « s’il suffisait d’avoir fait Sciences-po pour devenir un bon dircab, cela se saurait », lâche Philippe de Fursac.

En sus des compétences s’imposent donc d’indiscutables qualités comportementales. « D’une loyauté sans faille et d’une patience à toute épreuve, un directeur de cabinet doit aussi être très organisé et savoir demeurer discret tout en étant présent. Enfin et surtout, il doit être capable de piger très vite », expose le recruteur.

Finesse et diplomatie

Le dircab est cette perle rare capable de « sentir les choses comme je les sentirais», confirme Pascal Protière, président de la CC de Miribel et du Plateau dans l’Ain (6 communes, 21 000 hab.). David Robo, qui accompagna le parcours du député-maire de Vannes (53 000 hab., Morbihan), François Goulard, de 2001 à 2008, ne déclarait-il pas qu’il était dans une « relation fusionnelle » lui permettant de « penser Goulard » (L’Express.fr, le 30 novembre 2009) ? « Car relationnel ne rime pas toujours avec rationnel ! », précise justement l’élu breton avant de résumer : « Jusque dans sa capacité à gérer l’agenda, à sentir les priorités et à arbitrer les demandes, le directeur de cabinet doit faire montre d’une vraie finesse d’analyse et d’une grande diplomatie. »

Des qualités plus primordiales encore lorsque les liens internes sont distendus, comme dans les EPCI, où « la légitimité électorale des délégués ainsi que le défaut éventuel d’affinités personnelles ou politiques rendent indispensable la présence d’une personne identifiée pour le fonctionnement interne des décisions politiques », souligne Pascal Protière.

Destiné à coordonner et pondérer, le dircab idéal doit donc être lui-même un homme d’équilibre, à l’image d’Eric Dubertrand, recruté par le président du conseil général de l’Oise, Yves Rome, « parce qu’il représentait l’alchimie idéale entre des savoirs techniques rendus indispensables par la diversité des compétences départementales, une vision des enjeux locaux proche de la mienne et des qualités personnelles essentielles au sein d’une telle administration, où il est nécessaire de savoir tout à la fois dialoguer et se faire respecter. »

Mais un dircab, in fine, pour quoi faire ? « Comme son intitulé l’indique, d’abord pour manager la structure administrative du cabinet et organiser l’agenda de l’élu », indique Rémy Rebeyrotte. « Premier collaborateur du maire sur les dossiers très stratégiques, il anime aussi l’équipe du bureau municipal et fait le lien entre les élus et l’administration », poursuit le maire d’Autun… Un rôle d’autant plus important que l’élu cumule mandats locaux et nationaux.

« Le dircab est alors là pour tenir la boutique et assurer le discours commun de la majorité, sans jamais interférer avec l’administration », insiste François Goulard.

Veille permanente

Cela dit, complète Michel Delebarre qui, avant d’être président de la communauté urbaine de Dunkerque et maire de la ville, fut lui-même directeur de cabinet durant près de quinze ans, « c’est dans la relation entre l’élu et son dircab que se fait la véritable définition des tâches, lesquelles ne sont justement enserrées dans aucun domaine ni horaire ! ».

« En fait, lui seul sait très exactement où je veux aller et il est là pour m’aider à y parvenir », confie Pascal Protière. Comment ? « En veille permanente, l’oreille prête à engranger le maximum d’informations et l’œil rivé aux textes, le bon dircab préserve son employeur de tout piège et l’alerte dès qu’un dysfonctionnement apparaît. Sur ces bases, il l’accompagne dans un certain nombre de réflexions à long terme », répond Michel Delebarre.

Ex-directeur de cabinet du maire de Massy, ancien président et fondateur de l’association Collcab, Jean-François Vigier, maire depuis 2008 de Bures-sur-Yvette (91), confirme cette vision politico-stratégique de la fonction : « Par son suivi des élus et de leurs interlocuteurs, le dircab soutient l’action politique. Il travaille avec l’élu sur le programme, cerne les forces et faiblesses des projets utiles à sa mise en œuvre et traduit en termes politiques les données diffusées par l’administration. »

Ainsi, « la fin du dircab militant ne signifie pas la fin du dircab politique, bien au contraire », commente Sylvie Raviat, qui s’explique : « La complexité de l’univers territorial exige justement une vision de plus en plus politique des dossiers, avec une capacité à décliner le programme local en l’ajustant régulièrement aux évolutions nationales et, si nécessaire, en lui adjoignant le poids du lobbying que confère un bon carnet d’adresses. »

L’élu de l’élu !

Conseiller spécial, éminence grise, âme damnée… Les qualificatifs ne manquent pas et, une fois les lignes forces de ses profil et rôle posées, nombre d’élus ne tarissent pas de mots pour parfaire le portrait de ce collaborateur situé bien au-delà de la seule confiance. « Comment limiter à un profil de poste, par définition impersonnel, cette fonction on ne peut plus personnelle ? », se demande même François Goulard, assurant joliment qu’il s’agit « d’abord d’un coup de foudre professionnel. »

Pascal Protière reconnaît aussi « avoir flashé sur une rencontre humaine plus encore que sur un profil ». De son côté, Jean-François Vigier, qui a choisi pour chef de cabinet son ancienne collaboratrice de Massy, ajoute : « Le feeling ne se décrète pas et ce n’est pas le temps passé qui fait la confiance, il n’est que la conséquence de celle-ci. »

« Le bon directeur de cabinet est un partenaire complet, tout à la fois complice, conseiller, confident à ses heures et accompagnateur, qui doit pouvoir se mouler dans votre personnalité sans devenir une répétition de vous-même ! », tente de définir Michel Delebarre, « l’ombre qui s’accordera avec votre stature sans perdre son identité, un coach qui saura vous résister, voire vous contredire », propose de son côté le maire de Clichy, Gilles Catoire.

Pour ce faire, iI y a donc ceux qui se ressemblent… et ceux qui se complètent, formant, selon Philippe de Fursac, « le plus fructueux des mariages, boostant ici le discret, tempérant là le colérique… » Quoi qu’il en soit, « l’idée est bel et bien de construire sur le long terme. Pour cela, il faut une parfaite symbiose », assure Thomas Joly tandis que Sylvie Raviat conclut : « L’importance du dircab réside bien plus dans ce qu’il apporte que dans ce qu’il fait ! »

Laurène Solal
 

Conseiller

Neuf collaborateurs de cabinet sur dix reconnaissent intervenir sur l’action politique de leur élu en général. Le conseil et l’aide à la décision du maire constituent le principal enjeu professionnel pour 34 % d’entre eux, bien avant celui de sa réélection (voir Le Courrier n° 228, octobre 2009).

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