Elections municipales : "L’enjeu pour le candidat de 2020 est de montrer sa qualité de manager"

Aurélien Hélias
Elections municipales :

Francois Kraus, directeur du pôle Politique de l’Ifop

© Ifop

Attachement des Français à leur maire, surtout en milieu rural, déception des habitants de banlieues sur la tenue des engagements de 2014, primauté écrasante des enjeux fiscaux, financiers et de sécurité comme critères déterminants du vote en 2020 : François Kraus, directeur du pôle Politique de l’Ifop, décrypte les différents enseignements de l'enquête exclusive menée par l’Institut de sondage pour le Courrier des maires sur le regard des Français sur leur maire à seize mois des prochaines élections municipales. Un scrutin auquel plus d'un quart des Français seraient tentés de se présenter...

Que retenez-vous de cette enquête à seize mois des municipales ?

La désaffection relative des Français à l’égard des maires n’est pas quelque chose de nouveau, mais elle est liée au contexte de baisse des dotations, de délaissement des périphéries, remontant au quinquennat Hollande voire au-delà. C’est une longue tendance qui ne date pas des « gilets jaunes ». Mais disons-le clairement : s’il y a un tassement de l’affection, les deux tiers des Français restent satisfaits de l’action de leur municipalité : c’est un chiffre élevé et stable. Les Français aiment quand même leur maire, surtout dans les milieux ruraux. Ils sont globalement satisfaits du bilan actuel et souhaitent majoritairement que le maire se représente, même si le taux a baissé depuis 20 ans.

Le désaveu reste très progressif. Et ceux qui souhaitent un renouvellement en 2020 sont surtout ceux non représentés politiquement.

Ces bons scores n’augurent toutefois pas du souhait de réélection du maire en place ni d’un vote en sa faveur. Et il faut les modérer en fonction des catégories : les chômeurs exclus de l’emploi, les catégories pauvres ou modestes et celles votant pour les extrêmes, sont les plus sévères. Ceux qui contestent le système politique ou qui n’accèdent pas à l’emploi se montrent les plus insatisfaits.

La désaffection touche-t-elle certaines strates plus que d’autres ?

L’insatisfaction est pus présente dans les grandes villes du fait probable du manque de proximité du maire et d’habitants qui sont, dans ces grandes agglomérations, plus «idéologisés » et qui inscrivent leur positionnement par rapport au paysage politique national.

Sur la tenue des engagements par le maire depuis 2014, la satisfaction des Français est globalement au rendez-vous. Mais ce phénomène n’est pas partagé par tous. Deux catégories ont le sentiment d’être floués : d’abord, les habitants des banlieues populaires. Contrats aidés en recul, moindres dotations aux collectivités, soutien aux quartiers prioritaires moins important qu’aux plus grandes heures de la politique de la ville : un sentiment de tromperie se fait jour chez eux et certains maires comme celui, démissionnaire, de Sevran, s’en sont fait l’écho, jugeant qu’ils n’avaient plus les moyens d’agir.

L’autre catégorie se sentant « flouée » est celle des petites communes rurales. Au contraire des villes isolées de plus de 2 000 habitants qui sont souvent à la tête du canton et ont pu conserver un minimum de services, d’équipements, les habitants des petites communes rurales ont le sentiment qu’avec la nouvelle répartition des compétences et la montée en force de l’intercommunalité, le maire est de moins en moins mesure de faire des choses sur son territoire et même de tenir ses engagements.

Comment expliquer une telle primauté des enjeux financiers et des impôts locaux dans les déterminants du vote pour les municipales 2020 ?

Aujourd’hui, la bonne performance économique ou financière d’une municipalité constitue la clé du succès électoral, surtout dans les villes instables politiquement. C’est la logique de désidéologisation des enjeux, de localisation accrue des campagnes électorales et de personnalisation des scrutins. Cette triple tendance s’inscrit dans la récente logique macroniste et se traduit par une vision beaucoup plus pragmatique du rapport administré-élu et davantage dans une logique de service rendu, de rapport coût-bénéfice. L’enjeu pour le candidat de 2020 est de montrer sa qualité de manager, peut-être plus qu’à une époque. Dans le prolongement du ras-le-bol fiscal incarné par les « gilets jaunes », la primauté est clairement donnée aux enjeux financiers.

Ce marqueur l’est d’autant plus dans l’électorat de droite et dans une mesure comparable chez l’électorat macroniste, tout l’enjeu est de savoir lequel des deux mouvements arrivera le mieux à capter cela. Or, n’oublions pas que 60 % des villes de plus de 30 000 habitants sont détenues par la droite : les maires LR et plus largement de droite auront la force du bilan à faire jouer. Et leur capacité à rester en place consistera à montrer qu’ils ont bien agi sur finances locales, les impôts et la sécurité, trois critères déterminants du vote et trois champs traditionnels de la droite.

Quid de l’emploi et du social ?

Sans surprise, l’emploi et le développement économique sont des critères importants, et plus importants encore pour les sympathisants de gauche.

Plus inattendue est l’attente sur l’action municipale s’agissant de l’offre de soins et les services de santé, qui transcende les sympathies politiques... mais qui ne relève pas des compétences communales ! Les attentes sont particulièrement fortes en la matière dans l’électorat de gauche mais l'électorat de droite, dont une partie importante est âgée, n’est pas en reste.

On parle de crise des vocations chez les maires mais plus d’un quart des Français envisagent de rejoindre une liste pour concourir en 2020…

Les choses ont légèrement progressé : il y a une aspiration à un renouvellement du personnel politique, avec 48 % des Français qui ne veulent pas voir leur maire se représenter, une progression de huit points par rapport à 1999. On peut faire le parallèle avec l’enquête du Cevipof qui révèle que 49 % des maires ne repartiront pas en campagne en 2020. Même s’il reste l’élu préféré des Français, le maire pâtit aussi d’une désaffection générale des Français, surtout dans les grandes villes. Dans les commune rurales, on sait que c’est davantage difficile de trouver un bon maire et le vivier y est moindre, donc les habitants sont attachés au maintien de leur maire.

Enfin, si cette proportion de Français souhaitant s’engager n’est pas négligeable, les disparités hommes-femmes sont très importantes : 38 % de candidats potentiels chez les hommes, deux fois moins chez les femmes. Cette dynamique est très genrée, mais aussi liée au potentiel économique et social très marqué de l’aspirant candidat : les dirigeants d’entreprise sont les plus prompts à vouloir s’engager. Enfin le souhait d’éventuellement se présenter est aussi déclenché par le sentiment de ne pas être représenté : la volonté d’être candidat est particulièrement marquée chez les extrêmes du paysage politique, France insoumise et Rassemblement national.

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