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Deux textes visant à moderniser l'élection présidentielle agitent déjà le monde politique. Et pour cause, ils prévoient de réviser la procédure des "500 signatures" et la comptabilité du temps de parole politique. Avant l'examen de ces propositions de loi par les sénateurs, le professeur en science politique Loïc Blondiaux nous livre son éclairage sur le sujet. Entretien.
Les députés ont adopté, le 16 décembre 2015, en procédure accélérée deux propositions de loi (dont l'une organique) visant à moderniser des règles applicables à l'élection présidentielle. Les sénateurs devraient examiner ces textes en janvier 2016. Cette réforme s'appuie sur des préconisations du Conseil constitutionnel. Elle n'en est pas moins contestée par une partie du monde politique.
La révision de la procédure des "500 signatures" indispensables aux candidats à l'élection((Pour être candidat, il faut avoir obtenu 500 signatures "émanant d'au moins 30 départements ou territoires d'outre-mer différents, sans que plus du dixième (soit 50) proviennent d'un même département ou territoire", aux termes de la loi du 18 juin 1976.)) pour se présenter et celle de la comptabilité du temps de parole font craindre aux "petits" partis de disparaître du paysage.
Cet avis est partagé par Loïc Blondiaux (photo ci-contre). Ce professeur au département de science politique de l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne y voit un risque d'appauvrissement du débat politique.
Comme on parle de biodiversité pour l'environnement, il y a une diversité politique à préserver."
Le Courrierdesmaires.fr : En quoi le principe d'égalité des temps de parole revêt-il une importance ?
Loïc Blondiaux : C'est une des caractéristiques de la législation française : donner, pendant des périodes relativement courtes, chaque année ou presque, à des points de vue discordants, à des porteurs d'alternative politique, une possibilité égale de s'exprimer. Et ce, à peu près dans les mêmes conditions que des candidats issus des partis de gouvernement qui, le reste de l'année, monopolisent la parole politique dans les médias. Cette fenêtre d'expression, justifiée par un impératif d'égalité démocratique, ouvre à mon sens une brèche dans un système qui, de manière générale, privilégie les partis déjà en place.
C'est un principe fort : si l'on veut des jugements éclairés, qui ne soient pas biaisés, il faut que les citoyens puissent se décider en connaissance de cause et donc, c'est capital, être exposés à des visions de notre société qui n'ont pas accès habituellement aux médias. Car, ceux qui proposent des changements radicaux du fonctionnement de notre société et de ses institutions n'apparaissent quasiment jamais dans les grandes émissions politiques à la télévision ou à la radio, c’est-à-dire dans les médias qui ont de l’influence.
Cette fenêtre d'expression ouvre, à mon sens, une brèche dans un système qui, de manière générale, privilégie les partis déjà en place."
Le législateur s'apprête à remplacer l'égalité de temps de parole par un principe d'équité, en dehors des deux semaines qui précèderont le premier tour. Quelle différence cela fait-il ?
Loïc Blondiaux : Deux semaines de respect de l'égalité, c'est une peau de chagrin démocratique. Deux semaines d'égalité de temps de parole ne rééquilibreront par une année, voire un mandat, de répartition déséquilibrée de la parole.
C'est un changement d’importance quand on voit la symétrie parfaite entre les temps d'antenne et de présence médiatique des candidats et leur audience électorale. Est-ce la popularité d'un candidat qui motive les médias pour le solliciter plus que les autres ? Ou la sursollicitation médiatique d'un candidat au détriment d'un autre qui fabrique sa popularité ?
En réalité, ces deux phénomènes nourrissent un cercle vicieux qui empêche de nouvelles forces politique de toucher, via les médias qui comptent, le maximum de citoyens et surtout les moins politisés.
Est-ce le rôle de la législation de faciliter le travail des grandes chaînes de télévision ou de radio ?"
Je trouve par ailleurs gênant que cette mesure, qui limitera encore la capacité d'expression de forces politiques nouvelles, réponde à une demande des principales chaînes de télévision et de radio qui prétextent qu’il est techniquement compliqué pour elle de respecter l'égalité des temps de paroles.
Un autre point de la proposition de loi suscite des critiques : la récolte des 500 signatures d'élus, qui, désormais, seront toutes rendues publiques ?
Loïc Blondiaux : Cela va dans le même sens. Quelles que soient les règles et modalités, les grands partis politiques n'auront jamais aucune difficulté à trouver les signatures nécessaires. En revanche, l'obligation de rendre publiques toutes les signatures pourrait inhiber certains élus locaux, y compris ceux qui, par esprit démocratique, apportaient leur signature à des candidats dans lesquels ils ne se reconnaissaient pas forcément.
L'obligation de rendre publiques toutes les signatures pourrait inhiber certains élus locaux."
Ce ne sera plus la problématique du FN, qui a de nombreux élus locaux, désormais. Mais ce sera un problème pour les partis politiques qui n'ont pas de représentation locale. On est encore dans une logique qui renforce ceux qui sont déjà forts. On constate, une fois encore, l’inertie du système.
Au lendemain des élections régionales, qui ont montré à quel point le paysage politique actuel était contesté, cette proposition de loi vous semble-elle adaptée à la situation ?
Loïc Blondiaux : La coïncidence entre les résultats de l'élection régionale et les déclarations qui ont suivi, dans lesquelles les représentants des partis de gouvernement ont promis une nouvelle fois qu’ils allaient « tout changer », et cette proposition, qui va dans le sens d'un renforcement du contrôle par les partis de gouvernement du système politique, est frappante.
L'absence de renouvellement du personnel politique, son incapacité à réformer ses pratiques — on le voit avec le cumul des mandats qui continue de s'imposer—, l'absence de toute force politique véritablement nouvelle depuis des années... Ces choses qui entretiennent la défiance et l'exaspération du public ne sont toujours pas questionnées.
Les citoyens oscillent entre l'indifférence face à un jeu politique très prévisible où les affrontements politiques sont finalement très artificiels, et l'envie de renverser la table."
Il y a ceux qui voient dans le FN une alternative - "on ne les a jamais essayés, eux" disent-ils. Et il y a une autre position qui ne se formule pas encore en proposition politique, qui prône une rénovation très profonde du système, avec de nouvelles formes et de nouveaux outils, comme le tirage au sort, les plateformes numériques de primaires citoyennes, etc. Mais ce n'est pas audible...
La vitalité et le caractère démocratique d'un système politique peuvent se mesurer non seulement à travers le taux de participation électorale, mais aussi par des critères qualitatifs. Il importe qu'un maximum de sensibilités puissent être représentées, évaluées et prises en compte par les citoyens. Comme on parle de biodiversité pour l'environnement, il y a une diversité politique à préserver !
Il y a une autre position qui ne se formule pas encore en proposition politique, qui prône une rénovation très profonde du système [...] Mais ce n'est pas audible...
Certains font le parallèle avec le bipartisme à l'américaine. Notre système tend-il vers une telle bipolarisation du paysage politique ?
Loïc Blondiaux : Effectivement, il y a une tentation de la bipolarisation. Mais on reste dans une autre configuration, malgré tout. D'abord parce que contrairement au système politique des Etats-Unis, la publicité politique qui renforce les candidats les plus riches et soutenus par les puissances d'argent, ne trouve – toujours pas – de partisans en France.
Ensuite, parce que le Front National, en tous les cas dans les médias, a réussi à briser le plafond de verre. Il a acquis aux yeux des médias une certaine légitimité, d’autant plus qu'un membre du FN sur un plateau, ça fait du buzz et souvent de l’audience...
Par ailleurs, pour respecter la nouvelle règle d'équité, les médias devront s'appuyer à la fois sur la représentation parlementaire des partis, mais aussi sur les sondages et les résultats aux élections antérieures. Dans ces conditions, je vois mal comment le Front national pourrait être écarté du champ médiatique. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas parler de bipartisme.
Le paradoxe absolu, c'est que la nouveauté politique est incarnée aujourd'hui par un parti qui propose un sérieux retour en arrière.