logement social
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Discuté au Parlement depuis le début de l’été 2016, le projet de loi Egalité et citoyenneté a été voté définitivement le 22 décembre. Visant à répondre à « l’apartheid social, territorial et ethnique » dénoncé par l’ancien premier ministre, Manuel Valls, après les attentats de janvier 2015, le texte parle autant de logement que de citoyenneté ou de politique de la ville.
Existe-t-il un « apartheid social, territorial et ethnique » en France ? Si oui, le législateur peut-il remédier au creusement des fractures entre nos quartiers populaires et le reste du pays ? Oui, d’après les députés qui ont définitivement voté, jeudi 22 décembre, le projet de loi Egalité et Citoyenneté.
Lutte contre la ségrégation et politiques de peuplement
Ce texte reprend une partie des mesures entérinées lors des comités interministériels éponymes (CIEC) organisés à la suite des attentats de 2015. Il complète ainsi certaines ordonnances déjà publiées sans examen parlementaire. Dépassant le cadre strict de la politique de la ville, ce projet de loi se veut une réponse sociale et préventive de long-terme aux attentats terroristes, après le renforcement de plusieurs lois sécuritaires. De long-terme, car il ambitionne notamment, pour cela, de lutter contre les phénomènes de ségrégation et de "ghettoïsation" en régulant davantage les politiques de peuplement.
Le volet « Mixité sociale et égalité des chances dans le logement » introduit un changement de paradigme dans le logiciel de la rénovation urbaine. Il ne sera plus seulement question de transformer le cadre de vie des seuls quartiers prioritaires pour tenter d’attirer des ménages plus aisés, mais aussi d’accueillir dans les territoires plus aisés de l’agglomération les populations vivant dans ces quartiers pauvres. Un quart des attributions de logements sociaux construits ailleurs que dans les quartiers prioritaires devraient ainsi être réservés au quart de la population les plus fragiles sur le plan économique.
Logement : le Sénat obtient quelques compromis
Au milieu de l’automne, les sénateurs avaient détricoté le texte originel de l’Assemblée nationale et notamment ce passage. Remettant en cause l’article 55 de la loi SRU et son obligation de disposer de 25% de logements sociaux, une droite militant pour plus de libertés locales demandait la suppression de « toute référence à un taux » et l’instauration de « contrats d’objectifs et de moyens » variables. L’idée ? Tenir compte des spécificités des territoires selon qu’ils soient en zone tendue, aient du foncier disponible ou beaucoup de vacance résidentielle. Finalement, la majorité à l'Assemblée nationale, soutenue par le Gouvernement, s'est imposée sur la majorité des dispositions.
La loi SRU ne s’appliquera plus à certaines communes insuffisamment reliées aux bassins d’activités et d’emplois par le réseau de transport en commun, ou comptant plus de la moitié de terrains inconstructibles. Par contre, un quart des attributions de chaque réservataire de logement devra être attribué aux publics prioritaires, sans compter que les sanctions ont été durcies pour les communes réfractaires. Voilà pour les quelques « compromis » obtenus par les sénateurs.
Des attributions plus transparentes, le pouvoir d'agir renforcé
Contrairement à ce que les parlementaires de la Chambre haute préconisaient, afin que les maires conservent leurs prérogatives en matière d’attribution de logements sociaux, le préfet pourrait reprendre la main sur son contingent dans les communes carencées. Enfin, dans les EPCI où une conférence intercommunale du logement a vu le jour, le maire n’aura plus de voix prépondérante au sein de la commission d’attribution.
Outre le renforcement de la mixité sociale et une plus grande transparence dans l’attribution des logements sociaux, le projet de loi Egalité et Citoyenneté ambitionne également de favoriser le pouvoir d’agir des membres des conseils citoyens. L’article 34 permettra à ces instances de co-construction de la politique de la ville de saisir le préfet en cas de dysfonctionnement d’une politique publique, via un droit d’interpellation voire de se faire épauler par un « délégué du gouvernement » chargé de doper la politique de la ville localement.
Favoriser l'engagement citoyen et l'épanouissement des jeunes
Dans l’optique de généraliser la « culture de l’engagement citoyen », les sénateurs ont également souhaité généraliser le service civique. L'objectif n'est pas d'obliger toute une génération à s'y engager, mais que tous les jeunes de 18 à 25 ans qui le souhaiteraient puissent effectuer une de ces missions de volontariat, alors qu’il y a aujourd’hui en moyenne 4 candidats par offre de service civique. Enfin, la réserve citoyenne sera prochainement supplantée par une « réserve civique », accessible dès 16 ans, regroupant les sections de la police, de la défense mais aussi celle de la sécurité civile et de l’éducation nationale.
Autre avancée notable du projet de loi susceptible d’intéresser les acteurs locaux : les régions deviendront cheffes de file des politiques Jeunesse. Charge à elles de coordonner les initiatives des collectivités, notamment en matière d’information sur leurs droits et d’orientation des jeunes. Une fois la publication au Journal officiel et les décrets d’application sortis, une expérimentation devrait être lancée pour que les caméras-piétons équipant les policiers œuvrant dans les quartiers prioritaires se déclenchent systématiquement lors des contrôles d’identité, pour améliorer les rapports avec la population.
Un texte fourre-tout ou incomplet ?
L’accès à la fonction publique devrait être facilité pour les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, grâce notamment à une diversification des moyens de recrutement. Autre mesures distillées ici et là par les parlementaires : le racisme, l’homophobie ou le sexisme sont dorénavant reconnus comme des circonstances aggravantes de la plupart des crimes et délits. En matière de lutte contre les violences faites aux femmes, celles étant menacées de mariage forcé seront considérées comme des publics prioritaires pour l’accès au logement social.
Qualifié de fourre-tout par certains, ce projet de loi ne fait pas forcément non plus l’unanimité chez les professionnels de la politique de la ville. Ils s’étonnent notamment de l’absence de mention aux 435 contrats de ville, censés transformer des politiques publiques structurellement défavorables aux quartiers populaires et donc réduire les inégalités. Définitivement entériné par les députés après que la commission mixte paritaire se soit révélée non conclusive suite au refus des sénateurs, il ne devrait plus bouger. A moins que les sénateurs ne saisissent le Conseil constitutionnel, ce qui pourrait repousser la promulgation de la loi Egalité et Citoyenneté de plusieurs semaines.