Droit à la différenciation territoriale : entre craintes et aspirations au changement

Hugo Soutra
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Hugues Clepkens - 06/06/2019 07h:28

la journaliste n'ayant sans doute pas eu le temps de prendre note de mon intervention et des informations qu'elle comportait, je me tiens à sa disposition pour combler cet oubli...

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Droit à la différenciation territoriale : entre craintes et aspirations au changement

La France en morceaux, détail

© Elabe/DR, Author provided

La différenciation institutionnelle et les arrangements territoriaux étaient au cœur de la 11ème édition des « Rendez-vous du local » à Sciences-Po Paris. Alors que l’examen de la future réforme constitutionnelle approche, ces questions devraient prochainement réapparaître dans le débat public. Rupture d’égalité fondamentale ou solution pour parvenir à l’équité territoriale ? La question est loin d’être tranchée. Elus et chercheurs s’interrogent encore sur ce tournant institutionnel.

« Est-ce bien utile d’ouvrir un droit à l’adaptation ? » questionne Jean-Pierre Sueur. « Nous aurions ainsi certaines compétences mises en œuvre dans telle collectivité mais pas dans d’autres. Certes, cela ferait plaisir, car on y verrait un  respect des particularismes… mais je vous avoue que je suis très réticent devant tout ça ! » poursuit honnêtement le sénateur socialiste du Loiret. Rappelant son attachement à la décentralisation, ce dernier insiste tout autant sur son attachement à un « État fort qui n’est pas d’essence fédéral ». « Nous avons besoin d’un État qui fasse ce qu’il a à faire en matière régalienne mais aussi qui soit également en capacité d’assurer la solidarité sur notre territoire » déroule Jean-Pierre Sueur.

« Dans ces conditions, je crains que le droit à l’adaptation ne soit en fait qu’une fausse-bonne idée, car une loi à géométrie variable est finalement une oxymore » conclue le sénateur, à rebours de la doxa qui germe actuellement chez une majorité d’élus locaux. Jean-Pierre Sueur cite par exemple l’expérimentation à venir, dans 7 départements, des « cours criminelles » chargées de juger des crimes en ne s’appuyant que sur des magistrats professionnels, c’est-à-dire sans faire appel à un jury populaire.  « Soit cela fonctionne, et on l’applique partout en France, soit on l’abandonne… Car sinon, ce serait une rupture fondamentale d’égalité de nos concitoyens devant la justice ! » argumente le sénateur.

Inégalités de fait

« Vous avez raison lorsque vous prenez un exemple lié au régalien, mais c’est tout de même dommage que Lille ne puisse pas aller au bout de son idée de péage urbain inversé » lui répond Olivier Landel, délégué général de France Urbaine. « Aujourd’hui, lorsqu’une expérimentation est menée quelque part en France, elle doit, à terme, soit être généralisée, soit être abandonnée. Cela n’a aucun sens, car l’expérimentation prouve que cela marche dans tel ou tel territoire, mais pas ailleurs ! Nous demandons juste le droit de pouvoir pérenniser les expérimentations réussies », illustre-t-il avec un exemple de bon sens, là-aussi.

Pour Dominique Bussereau, président de l’Association des Départements de France, il s’agit aussi de réfléchir à la notion même d’égalité. Selon le président du Conseil départemental de Charente-Maritime, les inégalités sont, de fait, déjà présentes sur nos territoires. « En Guyane, par exemple, nous avons créés par la loi une inégalité par nécessité dans les règles d’attribution du RSA afin de faire face à la poussée migratoire clandestine [ndlr : le texte a été partiellement censuré par le Conseil Constitutionnel] » rappelle-t-il.

« Plus largement, vous pouvez rédiger un très bon texte de loi, faire ensuite une très bonne commission mixte paritaire qui parvient à des compromis intelligents, mais si vous avez un préfet obtus derrière qui fait fi des consignes de ‘souplesse’ données par l’exécutif, vous générez de l’inégalité territoriale ». « Aussi, il serait peut-être temps en France de chérir enfin l’activisme local et la bonne gestion publique » lance le président de l’ADF, qui plaide ainsi en faveur de la différenciation territoriale…

La complexité des arrangements territoriaux

Mais qui dit droit à l’adaptation dit également « arrangements territoriaux ». Si ce terme peut déranger car demeure associé à l’aspect négatif des « marchandages » ou des « magouilles », il est légitime dans ce débat, estime le chercheur Jacques Caillosse, professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas. La pratique des « arrangements » avec les territoires est ancienne car elle est liée, selon lui, à l’impossibilité pour un  État central de tout gérer. Pour l’enseignant, la pratique des contrats entre l’État et les collectivités a même « institutionnalisé » cette pratique des arrangements territoriaux. Mais il prévient : « plus on avance dans cette logique de différenciation, plus la relation entre l’État et les territoire va se complexifier avec de nouvelles notions qui vont émerger celle du territoire de l’État et celle des territoires des collectivités. »

Pour Olivier Landel, il serait en effet illusoire d’imaginer que ce tournant institutionnel sera simple. Pour lui, ces nouvelles organisations généreront une forme de complexité « mais il nous faudra composer avec, car nous sommes convaincus que c’est ce droit à la différenciation qui assure in fine l’égalité des citoyens. » Ne reste plus qu’à convaincre les Français et au moins 60% de leurs parlementaires…

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