Aménagement du territoire
Comment se fabriquent les "inégalités territoriales" ? L'action publique telle que pensée actuellement les renforcent-elles ? Comment s'y attaquer ? Voici quelques questions ayant rythmé les débats, lors d'un colloque sur les inégalités territoriales organisé, vendredi 7 juin, par la commission des Finances de l'Assemblée nationale. L'occasion pour des chercheurs venus d'horizons divers de tracer quelques pistes pouvant rendre l'action publique plus efficiente en matière de lutte contre les inégalités territoriales.
Signe de l'intérêt croissant des décideurs politiques pour le sujet, un énième colloque sur les inégalités territoriales était organisé le 7 juin dernier à l'Assemblée nationale. « S’il on veut réduire les inégalités territoriales, il est essentiel de comprendre avant tout comment les gens décident de se localiser dans tel ou tel territoire » introduisit Pierre-Philippe Combes, chercheur au CNRS. Et pour cet économiste urbain, quatre variables entrent en ligne de compte : le revenu nominal (le salaire donné par heure de travail), le coût de la vie, les aménités (services rendus gratuitement par le territoire : climat, hôpitaux, écoles, etc.) et enfin les goûts personnels (préférer la vie à la montagne ou à la mer).
De fortes inégalités liées aux individus
Comme la France n’est pas uniforme, ces quatre éléments (salaire horaire, coût de la vie, aménités et goûts personnels) vont nécessairement avoir des valeurs différentes dans les territoires. Par exemple à Paris, le coût de la vie est beaucoup plus élevé mais les aménités rendues aussi. La capitale offre environ 20% d’aménités supplémentaires, comparée à une ville de 50 000 habitants. Mais derrière ces moyennes, ces chiffres, ces courbes, Pierre-Philippe Combes remarque : « il y a certes les caractéristiques propres aux territoires mais il y a surtout les caractéristiques de ceux qui vivent sur ces territoires. Lorsque vous êtes éduqué, vous voyagez avec votre « bagage » [intellectuel, professionnel, culturel] » explique le chercheur qui estime in fine que les « caractéristiques des inégalités personnelles sont plus fortes que les inégalités territoriales [qui relèvent à proprement parler des territoires en eux-mêmes]. » Et ce dernier de citer l’exemple des zones franches urbaines (ZFU), politique publique ciblant certains quartiers populaires classés en politique de la ville « qui n’ont pas résolu grand-chose ». « Les politiques efficaces sont celles qui visent les individus et non les territoires » analyse l’économiste urbain.
Une vision que modère Anne Epaulard, professeure d’Économie à l’Université Dauphine, qui insiste sur la nécessité de l’analyse sur le temps long des politiques territoriales. L’enseignante cite la création d’antennes universitaires dans des villes moyennes et l’impact de cette politique publique sur les jeunes qui étudient jusqu’au baccalauréat. Dans le temps court, il est clair que l’implantation accroît en effet les chances des lycéens de mener des études supérieures sans toutefois modifier en profondeur la composition de la zone. « Mais aux Etats-Unis, on s’est aperçu que ce type de politique ne donnait pleinement ses effets qu’au bout de 80 ans ! Ces politiques territoriales sont des politiques de longue haleine, et il ne faut pas se décourager trop tôt ».
Expérimentations et développement endogène
Autre frein à la réussite ? « Le saupoudrage » des dispositifs territoriaux, cite le directeur général du Trésor, Jean-Luc Schneider. « Il est essentiel que les dotations soient bien corrélées aux difficultés des collectivités concernées. Par exemple, dans l’opération territoriale ‘Cœur de Ville’ si vous divisez l’enveloppe par le nombre de collectivités touchées, vous arrivez à quelques dizaines de milliers d’euros, au mieux… » regrette Jean-Luc Schneider, qui milite aussi pour l’ouverture du droit à la différenciation, dispositif permettant, à ses yeux, d’ouvrir de nouvelles opportunités aux territoires en difficulté.
Une logique partagée par Jacques Levy, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. « Il nous faut penser le développement des territoires comme quelque chose d’endogène, chaque territoire doit avoir son propre plan de développement et doit, avant de bénéficier des aides de l’État de la solidarité nationale, être évalué ». Une évaluation essentielle aussi après l’arrivée des aides pour mesurer l’efficience des apports et de la stratégie menée : « il faut en finir avec la logique du robinet sans évaluation ».
Que retenir de tous ces riches échanges, en synthèse ? Pour ces chercheurs, un ciblage plus serré pour une meilleure répartition de la solidarité nationale, tant en direction des territoires en difficulté que de ceux qui y vivent, serait aujourd’hui une piste de travail à suivre pour réduire les inégalités territoriales. Apparaît aussi l’idée que certaines politiques publiques mettent du temps avant de donner leurs fruits.