Dominique Bussereau : "Baisse des dotations, de la CVAE et hausse du RSA non compensée : c’est la triple peine !"

Aurélien Hélias
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Ace85 - 14/10/2015 20h:59

Voilà un discours posé et intelligent, apaisant en ces temps de troubles.Il n'en reste pas moins que si cette Loi est inachevée et sources de tant d'incertitudes et d'incompréhensions, c'est aussi à cause de la pression exercée par les Associations d'élus locaux...

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Dominique Bussereau :

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© Flick

A deux jours du Congrès des départements de France (ADF) à Troyes les 15 et 16 octobre, le patron de l'association, Dominique Bussereau, fait le point sur les dossiers brûlants des conseils départementaux : financement des allocations individuelles de solidarité, ressources fiscales et exercice des compétences après la loi Notre. Le président (LR) de l'exécutif de Charente-Maritime évoque aussi les relations à venir entre départements et grandes régions, la nécessaire collaboration avec les intercommunalités, et avec les services de l'Etat. Et son souhait, par souci de pragmatisme, de ne pas voir la réforme territoriale abrogée en cas d’alternance politique en 2017.

Courrierdesmaires.fr. Quel constat faites-vous à l’ADF sur le reste à charge des départements s’agissant des allocations de solidarité et surtout du RSA ?

Dominique Bussereau. Certains départements ne vont pas être en mesure d’assurer les versements aux bénéficiaires du RSA en décembre et un plus grand nombre ne seront plus en capacité de le payer en 2016. Avec une hausse du budget RSA de 9 à 10 % en un an, le reste à charge total des départements pour financer l’ensemble des allocations individuelles de solidarité est évalué à 7,2 milliards d'euros en 2014. Nous avons besoin à court terme d'une enveloppe de 740 millions d'euros, juste pour couvrir l’augmentation du RSA entre 2014 et 2015. Nous réclamons donc notre dû à l’Etat. D’autant qu’on nous annonce en plus qu’on va nous supprimer la moitié de notre cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE : cela s’appelle la double peine.

Nous avons besoin à court terme d'une enveloppe de 740 millions d'euros, juste pour couvrir l’augmentation du RSA entre 2014 et 2015. Nous réclamons donc notre dû à l’Etat. "

 

Mais ce transfert de la moitié de votre CVAE aux régions ne correspond-il pas au transfert de la compétence des aides directes aux entreprises ?

D.B. L’annonce du transfert de la moitié de la CVAE que nous touchions vers les régions a surtout été un geste politique fait par la ministre Marylise Lebranchu envers l’Association des régions de France. Le PLF 2016 intègre ce transfert de CVAE au mécanisme de compensation des transferts de compétence prévus par la loi Notre. Or, ce ne sont pas les aides directes aux entreprises qui  sont concernées, mais les compétences départementales en matière de transports.

C’est tout simplement scandaleux qu’on nous retire autant de notre seul impôt dynamique !"  

D'où votre dénonciation d'une "double peine" : baisse de la ressource CVAE et compensation insuffisante des allocations de solidarité...

D.B. C’est même la triple peine : baisse des dotations, baisse de la part départementale de la CVAE et non-compensation suffisante des AIS. En 2016, mon département de la Charente-Maritime, si rien ne change, devrait perdre 11 millions d’euros de dotations, 14 millions de moins de CVAE et voir dans le même temps de 40 à 50 millions d’allocations individuelles de solidarité non compensés. Soit plus de 60 à 70 millions de manque à gagner! La CVAE nous sert à bien d’autres choses qu’à l’action économique, surtout depuis que nous n’avons plus de ressource sur le foncier bâti : si j’augmente cette fiscalité d’un point dans mon département, cela me rapporte un million et demi d’euros. Tout juste de quoi réaménager un gros carrefour. Tout cela n’est pas à la hauteur des enjeux.

La CVAE nous sert à bien d’autres choses qu’à l’action économique, surtout depuis que nous n’avons plus de ressources sur le foncier bâti..."

Où en sont les négociations avec Matignon sur le financement en urgence de ce reste à charge ?

D.B. Nous sommes d’abord tombés d’accord sur le constat et sur les chiffres. Puis nous avons rencontré le Premier ministre le 8 octobre. Des solutions d’urgence concernant seulement quelques départements devraient être présentées par Marylise Lebranchu au Congrès de l’ADF, le 15 octobre. Mais les solutions structurelles sont remises à plus tard. Ce report est surprenant, dans la mesure où nous disposions de tous les éléments nécessaires à la prise de décision grâce au groupe de travail technique. Le Premier ministre a simplement annoncé la mise en place d’une mission parlementaire, « dans le cadre d’une réflexion plus vaste que le gouvernement souhaite conduire sur la politique de solidarité et la gestion des minimas sociaux dans notre pays ». Cela ne peut pas nous satisfaire.

Ce report est surprenant, dans la mesure où nous disposions de tous les éléments nécessaires à la prise de décision grâce au groupe de travail technique."

A moyen terme, que proposez-vous pour rééquilibrer le financement des allocations individuelles de solidarité ?

D.B. Nous avons listé au gouvernement les différentes pistes techniques possibles, de la renationalisation partielle du financement des allocations jusqu’à l’idée de les décentraliser complètement, chaque département fixant son niveau de RSA. Les présidents de départements sont partagés, la scission ne se faisant d’ailleurs pas entre droite et gauche : je n’ai pas exprimé moi-même de préférence pour l’une ou l’autre de ces pistes. C’est au gouvernement de prendre ses responsabilités. Il n’a, d’ailleurs, jusqu’ici, rien proposé.

Doit-on envisager à plus long terme une autre ressource pour les départements que la CVAE ?

D.B. Peut-être faudra-t-il en effet que les départements récupèrent une part de la CSG, comme cela avait été envisagé un temps. Nous espérons aussi que la situation économique s’améliore et que le nombre de bénéficiaires du RSA diminue. Mais avec le vieillissement de la société et la volonté de mieux prendre en compte le handicap, l’APA et la PCH, elles, ne faibliront pas. C’est donc d’une solution de long terme dont nous avons besoin, car celle de 2013 n’est plus suffisante aujourd’hui. Le gouvernement devrait nous proposer à ce sujet un calendrier de travail à moyen terme.

C’est d’une solution de long terme dont nous avons besoin, car celle de 2013 n’est plus suffisante aujourd’hui."

 

Deux mois après sa promulgation, comment jugez-vous l’équilibre global de la loi Notre ?

D.B. D’abord, c’est une loi qui va mettre au moins cinq ans à se stabiliser, tout comme la migration des services de l’Etat dans les nouvelles capitales régionales. Au même moment, on dit aux agents qu’ils vont rester là où ils sont… Ce n’est pas une loi de décentralisation en faveur de l’ensemble des collectivités, comme je l’aurais souhaité. On a déshabillé les uns pour rhabiller les autres. C’est même par certains aspects un texte de recentralisation quand on voit que les schémas régionaux de développement durable et d’égalité des territoires doivent être signés par le préfet de région… C’est le résultat d’une loi de circonstance qui avait comme objet initial de faire disparaître les départements.

Au final, elle renforce certes les intercommunalités, mais ne satisfait pas les régions et encourage les échelons  de collectivités à s’opposer les uns aux autres."

Réclamez-vous toujours la suppression des préfectures de département ?

D.B. Oui, surtout quand le ministre de l’Intérieur appelle à donner des pouvoirs supplémentaires aux départements alors que pendant des années, l’Etat a amoindri leurs pouvoirs au profit des grandes directions régionales comme la Dreal. Et les préfets de départements exercent désormais essentiellement des fonctions régaliennes : ordre public, sécurité civile, et contrôle de légalité. En ce qui concerne les projets économiques du territoire, j’estime qu’il faut désormais un schéma avec une grande préfecture régionale et sur le terrain, des techniciens en nombre réduit, et des sous-préfets pour mailler le territoire auprès des élus. La coordination de la sécurité pourrait alors être assurée par la DDSP ou le colonel de gendarmerie. Mais un préfet avec tout son cabinet et ses services ne s’impose plus. L’Etat doit calquer son organisation sur les futures grandes régions.

Un préfet avec tout son cabinet et ses services ne s’impose plus."

Si la droite revient au pouvoir en 2017, devra-t-elle abolir cette réforme territoriale ?

D.B. Non. Si un président de la République de droite ou du centre était élu en 2017, ce que je souhaite, il ne serait pas raisonnable de changer à nouveau les périmètres des régions ou les modes d’élection, même si le binôme départemental est assez étonnant…  On ne pourra pas dire en 2017 à des gens élus il y a à peine trois ans qu’ils ne sont plus légitimes ! Il faudra aller vers des ajustements, des corrections à la marge, comme sur les transports scolaires aujourd’hui différenciés de ceux des enfants handicapés, et autoriser les départements prêts à fusionner à le faire. Tout ce sur quoi le gouvernement a fait blocage.

Ces corrections à la marge concernent-elles le droit d’option des départements à changer de région, possibilité aujourd’hui très encadrée ?

D.B. La rigidité du droit d’option a surtout traduit le non-dit de Nantais qui voulaient rejoindre la Bretagne contre la volonté des Rennais… Si les faits montrent que certains départements se trouvent très mal à l’aise dans leur nouvelle région, si  la guerre est déclarée entre eux au sein des conférences territoriales de l’action publique, il faudra faciliter le divorce. Mais je ne désespère pas non plus que certains départements « mariés de force » à une grande région tombent finalement amoureux de leur promise. Les ex-Lorrains pourraient ainsi trouver qu’il n’est pas si inconfortable d’avoir comme nouvelle capitale Strasbourg grâce à son ouverture vers le Luxembourg ou la Suisse.

Ce qui est exclu, c’est une remise en cause totale de la carte en 2017 ; je ne suis pas pour les grands soirs, plutôt pour les petits matins !

Vous semblez confiant sur la capacité des collectivités à se mettre d’accord au sein des CTAP…

D.B. Il faut qu’elles se mettent en place partout pour discuter des transports scolaires, des ports, des syndicats mixtes… Les collectivités y feront preuve de collaboration, d’intelligence humaine pour arriver à trouver les meilleures solutions. C’est le pari que je fais.

Comment voyez-vous l’avenir de la relation entre région et département au regard des transferts de compétences ? Êtes-vous favorable à des conventions de re-délégation?

D.B. Je souhaite qu’il y ait délégation au département chaque fois que l’objectif de proximité le commande : des compétences relatives aux transports scolaires, ainsi que sur quelques compétences économiques, comme l’immobilier d’entreprise… Les départements ont vocation à participer à ces politiques.

Les départements comptent-ils donc faire encore du développement économique alors que la loi Notre a confié ce rôle aux régions ?

D.B. Hier, nous demandions déjà l’accord des régions pour des aides qu’elles s’empressaient de laisser gérer par le département et les communautés d’agglomération. Et celles-ci étaient contentes que nous fassions 50/50 sur le financement de ces aides. Aujourd’hui, on a une région plus lointaine, que les gens ne connaîtront pas « humainement ». Alors, oui, quand des locaux se libéreront, nous serons toujours les premiers à les racheter pour les réhabiliter et y installer des entreprises.

Les procédures vont être certes plus lourdes, nous allons perdre en capacité de réactivité avec les communautés d’agglomération. Mais nous continuerons à intervenir, via la compétence tourisme, bien souvent la première économie dans beaucoup de départements ; à profiter des délégations de compétences rendues possible par la loi Notre dans les transports  ou l’immobilier d’entreprise, et  les appels à la solidarité que nous adressent les communautés d’agglomération et de communes ! Sur l’attractivité aussi, où nous serons appelés par les communes quand se fera jour un défaut d’initiative privée. Et enfin, sur le petit commerce en zone rurale.

Comment comptez-vous collaborer avec l’autre échelon qui "pousse", celui des intercommunalités ?

D.B. En leur expliquant d'abord tout ce que nous allons devoir faire ensemble : l’action économique, maintenant que les entreprises vont d’abord aller voir leur interco. En ce qui concerne les ports, il faudra dans certains cas créer des syndicats mixtes. Et surtout sur le numérique : à partir du moment où les opérateurs sont allés uniquement là où ils pouvaient faire du profit, le reste sera à faire par les départements et intercos pour aboutir à un schéma.

 Plus largement, il faudra passer d’une logique de guichet à une co-construction de projets communs. Ainsi, pour ce qui est des structures touristiques, le département pourra rechercher des solutions de mutualisation."

Comment les départements comptent-il peser sur les schémas d’accessibilité des services publics qu’ils co-élaboreront avec l’Etat ?

D.B. D’abord en espérant que ce ne sera pas un simple gadget technocratique ! Pour cela, il faudra y associer les intercommunalités,  les communes et  les associations des maires. Et il s’agira de prendre en compte le fait que les services concernés sont aussi les services marchands indispensables à la vie quotidienne des citoyens.

Vous faites partie des élus locaux estimant que des économies de fonctionnement sont encore possibles : s’agit-il de davantage mutualiser l’action des départements ?

D.B. La mutualisation est d’abord quelque chose d’inachevé au sein du bloc local, entre communes et intercos. L’intercommunalité a créé des services  devenus indispensables, mais sans faire disparaître des services correspondants à l’échelon communal. C’est le premier poste d’économies.

Le deuxième réside dans la mutualisation entre bloc communal et départements, notamment s’agissant de la compétence Gemapi : digues, ouvrages fluviaux, et protection de l’environnement. Entre départements, de nombreuses choses se font déjà comme les centrales ou les directions des achats. Nous pouvons aussi mutualiser davantage les fonctions ressources des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et favoriser la mutualisation inter-SDIS. Nous débutons un travail d’état des lieux sur ce sujet.

Appelez-vous aussi, comme certains élus du bloc local, à une plus grande souplesse donnée aux collectivités sur la gestion des carrières et des salaires de la fonction publique territoriale ?

D.B. Il est difficile de s’opposer aux règles statutaires et aux évolutions des rémunérations décidées par le gouvernement. Et l’alignement des primes des agents sur le niveau le plus élevé, dans le cadre des fusions de régions, sera coûteux. Mais, comme le prévoit l’accord sur l’avenir de la fonction publique, il s’agira de créer plus de passerelles entre les trois fonctions publiques, afin par exemple que les officiers supérieurs des SDIS puissent devenir DGS ou DGA. Tout cela afin de donner plus de souplesse au système. L’important est de favoriser les mobilités à la fois dans l’intérêt de l’évolution professionnelle des agents et pour répondre aux besoins d’adaptation des services publics locaux aux usagers.

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