Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts
© F. Calcavechia
Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Pierre-René Lemas a pour ambition de renforcer les liens de l’institution financière avec les territoires pour davantage répondre à leurs besoins de financement et soutenir les projets d’investissements des collectivités locales. Aujourd’hui, première partie de l’entretien accordé au Courrier des maires : Pierre-René Lemas fait le point sur le bilan de son action territoriale en 2015, l’adaptation à la nouvelle carte régionale, l’utilisation des fonds au bénéfice des collectivités. Et sur les différents dispositifs en cours, dont le préfinancement du FCTVA. Il revient aussi sur les annonces faites le 12 janvier par le chef de l'Etat lors de la cérémonie du bicentenaire de la CDC.
Courrierdesmaires.fr. Quel bilan faites-vous de l’action territoriale de la Caisse des dépôts en 2015 ?
Pierre-René Lemas. Nous avons donné une impulsion en 2015 pour que la Caisse des dépôts redevienne la Caisse des territoires. D’abord avec la création de la direction des investissements et du développement local regroupant plusieurs filiales et permettant d’investir annuellement 500 millions d’euros. Depuis mi-2015, la direction est opérationnelle sur plusieurs axes d’investissement, prédéfinis afin de ne pas se disperser : transition écologique, numérique et haut débit, immobilier d’entreprise, tourisme et infrastructures ; 420 millions ont déjà été engagés et 500 millions le seront désormais chaque année.
Autre direction nouvelle : celle du réseau et des territoires. L’idée est de réorganiser nos directions régionales pour qu’elles correspondent aux périmètres des nouvelles régions.
Avec quelles conséquences sur l’implantation des équipes ?
P.-R. L. Nous avons fait le choix de maintenir sur place les personnels des anciennes directions régionales pour prendre en compte la nécessaire proximité avec nos interlocuteurs. Nous faisons preuve de souplesse au niveau local, infrarégional : nous irons auprès de nos bassins de clients, comme nous l’avons fait pour Pau et son bassin, pour l’Arc alpin, là où il y a une demande forte. Nous nous réservons ainsi le droit de créer des implantations selon les besoins.
La deuxième grande orientation vise à faire sortir la Caisse des dépôts de ses murs en assumant une logique marketing de l’offre. Les équipes des directions régionales doivent aller voir les partenaires sur place pour présenter aux collectivités, SEM, SEM de projets, intercos, nos « produits » : prêts, fond propres, appui à l’ingénierie financière, etc. Cela suppose une certaine polyvalence de nos agents appuyée sur leur cœur de métier. Même si cela prendra du temps, ce processus est lancé.
40 conventions de 3 à 4 ans ont été signées avec des collectivités, dont une dizaine de grandes agglomérations. Et plus de 1 000 prêts de moins d’un million d’euros ont été accordés.
Où en est l’utilisation des 20 milliards de l’enveloppe de crédits de long terme destinés aux collectivités ?
P.-R. L. En janvier 2016, nous avions engagé la moitié de cette enveloppe, dix milliards, dont huit sont déjà signés. Sur ces 10 milliards, deux sont imputés à la « croissance verte ». Cela devrait produire 25 milliards d’investissement.
Le profil des collectivités bénéficiaires est large : 40 conventions de 3 à 4 ans ont été signées avec des collectivités, dont une dizaine de grandes agglomérations. Et plus de 1 000 prêts de moins d’un million d’euros ont été accordés.
Qu’en sera-t-il en 2016 de l’autre moitié de l’enveloppe restant disponible ?
P.-R. L. Je souhaite développer ces conventions avec les villes moyennes et les intercommunalités rurales. Il y a une demande très forte des villes moyennes dont beaucoup ne savent plus ce que peut faire la Caisse des dépôts pour elles.
Nous comptons aussi leur apporter davantage d’ingénierie. Beaucoup de projets de petite taille – usines de méthanisation, ferme éolienne, etc. – sont difficiles à financer en investissement. D’où l’intérêt de les faire monter sur des plateformes avec un même opérateur afin de les porter et les faire financer, notamment par Bruxelles.
A plus long terme – dans les cinq ans –, la Caisse mobilisera plus de 19 milliards d’euros en capital et 100 milliards en prêts pour le logement, les infrastructures et les équipements publics.
Les collectivités s’inquiètent parfois d’une remontée possible des taux à moyen terme. D’où notre proposition, via les deux milliards de la BEI, de prêts toujours à très long terme mais à taux fixe, que les collectivités peuvent mixer avec des prêts à taux variables.
Qu’en est-il de l’utilisation par la Caisse des dépôts des deux milliards de financement mis à disposition par la Banque européenne d’investissement ?
P.-R. L. 1,5 milliard est réservé à des prêts vers les collectivités et 500 millions à la réhabilitation du logement social. Cette ligne de financement nous permet de nous adapter aux singularités du monde local.
Si nos prêts sur l’enveloppe de 20 milliards se font à très long terme et à bas taux d’intérêt, les collectivités s’inquiètent parfois d’une remontée possible des taux à moyen terme. D’où notre proposition, via les deux milliards de la BEI, de prêts toujours à très long terme mais à taux fixe, que les collectivités peuvent mixer avec des prêts à taux variables.
Nombre d’élus ont regretté la complexité du préfinancement par la Caisse des dépôts du FCTVA, eux qui auraient préféré un remboursement dès l’année N pour toutes les catégories de collectivité…
P.-R. L. La ligne de préfinancement du FCTVA, ouverte en 2015, nous a permis d’apporter 818 millions d’euros de trésorerie l’année dernière aux collectivités. La somme montre bien, malgré les critiques du dispositif, que cela correspondait à un besoin en permettant que les montants en jeu ne pèsent pas sur les sections de fonctionnement des budgets locaux.
Cela nous a permis de participer à près de 10 milliards d’euros d’investissement local. Nous sommes d’ailleurs prêts à reconduire le dispositif en 2016, si le gouvernement le juge utile.
Des prêts à taux zéro sur 20 ans, soit quasiment des subventions, serviront à la réhabilitation thermique des bâtiments publics. Je plaide d’ailleurs pour une interprétation très large des bâtiments publics, intégrant certes les collèges, lycées, mairies, mais aussi les Ehpad par exemple.
En quoi les annonces du chef de l’Etat, lors du bicentenaire de la Caisse, permettent-elles d’appuyer les projets locaux d’investissement ?
P.-R. L. Le président de la République nous a demandé de dégager trois milliards de capacité supplémentaire par des cessions d’actifs et la diminution des prélèvements d’Etat, qui atteignent chaque année 1,8 milliard.
D’abord, je rappelle que l’argent utilisé ne sera pas celui du contribuable, mais bien celui de l’épargnant ! Ces trois milliards couvriront deux volets : le logement social et la transition écologique et énergétique. Des prêts à taux zéro sur 20 ans, soit quasiment des subventions, serviront à la réhabilitation thermique des bâtiments publics.
Je plaide d’ailleurs pour une interprétation très large des bâtiments publics, intégrant certes les collèges, lycées, mairies, mais aussi les Ehpad par exemple. Les collectivités ont des cartons remplis de ces dossiers d’investissement qui n’attendent que ces financements pour être lancés car, contrairement à d’autres projets d’équipements, il n’y pas là besoin de beaucoup d’études techniques. Et c’est un vrai besoin local.
Autre nouveauté : pour répondre aux besoins des petites et moyennes collectivités, qui ne savent pas comment réutiliser immédiatement les économies faites sur la diminution à venir de la consommation énergétique, une nouvelle filiale sera créée par la Caisse des dépôts. En tant qu’ « opérateur national de la rénovation thermique des bâtiments », elle prendra à sa charge le financement des travaux et se fera rembourser en loyers par les collectivités. Elle devrait être en place sous peu.
La Caisse des dépôts et consignations deviendra-t-elle bientôt « Caisse des dépôts et du développement durable » comme l’a suggéré le chef de l’Etat le 12 janvier ?
P.-R. L. Nous allons mener une consultation à l’intérieur du Groupe. Changer de nom à l’occasion du bicentenaire de la Caisse des dépôts est une bonne idée. Mais n’oublions pas que 120 000 personnes liées au groupe sont attachées à l’identité historique de la Caisse des dépôts…
« Sélectionner au mieux les investissements pour passer le cap budgétaire », deuxième partie de notre entretien avec Pierre-René Lemas