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Depuis l’octroi d’un statut spécifique aux grandes villes en 2014, marquant la reconnaissance par la loi française du fait métropolitain, les métropoles sont en proie aux critiques. Le terme même de « métropole » fît immédiatement couler beaucoup d’encre. Les maires ruraux ont rapidement tiré à boulets rouges sur ces entités, rapidement rejoints par les Gilets Jaunes, des essayistes, des militants, des experts et même certains citadins eux-mêmes à l’occasion de la crise sanitaire. Un flot d’accusations et de blâmes qui ne semble pas prêt de s’arrêter…
Mises sur orbite en 2010, hissées sur un piédestal par loi MAPTAM votée en 2014, les vingt-deux « métropoles » françaises se retrouvent aujourd’hui au cœur des controverses territoriales, euphémiseront les plus optimistes. Les autres, plus réalistes peut-être, conviendront qu’elles ne cessent d'être vilipendées. De toutes parts. Et ce depuis plusieurs années, maintenant, bien avant le déclenchement de la pandémie de Covid-19.
Les maires ruraux se sont très vite saisis de l'octroi d'un statut spécifique aux grandes conurbations urbaines en 2014. D'abord pour dénoncer l’injustice de l’Etat central, de « Paris », qui avantagerait les grandes villes les plus « compétitives » au détriment du reste du pays grâce à un surplus de dotation. Pour pointer, aussi, le ruissellement tout relatif de cette politique inspirée par quelques gourous du libéralisme pur et dur : loin de jouer le rôle de « locomotives » leur étant dévolu sur le plan économique, ces « aspirateurs de richesses et d’emplois » auraient surtout accéléré, à entendre l’AMRF, le creusement des « inégalités territoriales »…
Un discours opportunément relayé à partir de 2017 par quelques maires LR et PS de villes petites ou moyennes. Evitant de s'épancher publiquement sur l'absence de projets de territoires partagés localement, les rivalités intercommunales et les concurrences que leur livrent leurs périphéries, ils tombent à bras raccourcis sur les maires des grandes villes responsables de toutes leurs difficultés ainsi qu'Emmanuel Macron, grimé en « président des métropoles ».
Procès en place publique
Ces éléments de langage ont ensuite été repris et amplifiés par certains porte-paroles du mouvement des Gilets Jaunes, eux aussi remontés contre le gouvernement d'Edouard Philippe et la classe politique urbaine – égoïste, par définition. Une partie des catégories modestes et du bas des classes moyennes ne s’est ainsi pas fait prier pour instruire le procès des grandes villes au cours des différents « Actes » s’y déroulant quasi-systématiquement. Dépeintes en « gagnantes de la mondialisation heureuse », les métropoles sont devenues il est vrai de moins en moins accessibles à toute une partie des citoyens ordinaires n'ayant plus les moyens de se loger dans le parc privé des grandes villes. Ceux-ci se retrouveraient alors, toujours selon cette réthorique, automatiquement relégués dans une « France périphérique » constituée uniquement de campagnes désindustrialisées et villes petites ou moyennes en souffrance…
En résumé, la nouvelle dénomination juridique de « métropoles », qui était jusqu'au milieu des années 2010 l’apanage d’académiciens et de technocrates, n'a donc pas mis longtemps à entrer dans les esprits. Elus locaux et Gilets Jaunes ne sont pas les seuls à avoir soufflé sur les braises de Paris et des capitales régionales, ces dernières années. Plusieurs universitaires, essayistes, éditorialistes ou bien encore des militants associatifs de différents bords ont également mis en doute de façon plus ou moins véhémente les bénéfices supposés des processus de métropolisation, parfois avant même l'enclenchement de la crise sanitaire.
Les citadins profitent-ils véritablement de la priorité donnée par nombre d’exécutifs métropolitains à « l’attractivité », se traduisant aussi bien par la reconquête des berges de fleuves ici ou là que la densification des cœurs de villes, la création d'équipements superflus à grands coups de Partenariats publics-privés et l’aménagement de nouveaux parcs d’immobilier tertiaire en dépit de la vacance des quartiers d’affaires voisins ? Toutes ces politiques urbaines ont-elles réellement permis d’améliorer le cadre de vie ou le bien-être des populations locales ? Pour eux, cela fait nul doute : si la concentration des activités économiques et des investisseurs, entrepreneurs, fondateurs de start-ups et cadres supérieurs sur un même périmètre peut effectivement dynamiser le marché de l’emploi, il ne profite pas forcément aux habitants des grandes villes au quotidien. Ce mouvement se serait également accompagné, dans un certain nombre de villes désormais au bord de l’hypertrophie, de quelques effets pervers sur le plan social ou environnemental.
Des critiques à relativiser selon France Urbaine
Ce retournement d’une fraction de l’opinion publique rurale comme urbaine poussa quelques experts jusqu’ici plutôt partisans de la cause métropolitaine à se dédire à leur tour. Le Conseil d’analyse économique (CAE) en 2020 puis le think-tank libéral de l’Institut Montaigne en mars 2021 ont regretté la focalisation de l’Etat sur les conurbations urbaines où se concentrent une grande partie de la population française, et plaidé en faveur d’une politique d’aménagement du territoire plus équilibrée. Les maires des grandes villes n'ont pas échappé, non plus, aux désapprobations du CESE ou des magistrats de la Cour des Comptes.
L’association d’élus de grandes villes, « France Urbaine », tient bon pour sa part quoique légèrement esseulée. Ces différentes critiques, souvent binaires et parfois de mauvaise foi, ne résistent pas toujours à l’épreuve des faits, rétorque ainsi Olivier Landel, son DG qui y lit essentiellement une inquiétude liée à la recomposition du jeu politique provoquée par l’irruption de LREM, ainsi qu’une confusion entre « métropolisation » et la montée en puissance des intercommunalités parfois XXL qui tendrait à diminuer l’influence des élus municipaux de proximité un peu partout en France. Au-delà du statut juridique uniformisant de « métropole », pas une ville ne ressemblerait à l’autre tient-il en outre à rappeler, soulignant l’hétérogénéité des problématiques entre Paris, Nantes, Saint-Etienne, Strasbourg ou Tours.
Des vulnérabilités exacerbées par la Covid-19
N’en déplaise à France Urbaine, le débat autour des métropoles et de l'aménagement du territoire ne cessera pas de sitôt. A ces différentes critiques « structurelles », la pandémie de Covid-19 a en effet ajouté une inconnue plus « conjoncturelle. » La crise sanitaire qu’elle a engendrée a révélé au grand jour les vulnérabilités des grandes villes les plus denses et souvent inégalitaires, et mis sous cloche tout ce qui faisait le charme de l’urbanité ! Finies la profusion de cafés-restaurants ouverts jusque tard dans la nuit et autres établissements culturels proposant les dernières expositions à la mode ; place aux appartements aussi exigus qu’onéreux, sans extérieurs et/ou avec d’effrayants vis-à-vis, congestion automobile et saturation des transports collectifs, manque d’espaces verts et pollution atmosphérique…
Les principaux contempteurs métropolitains font bon usage de la caisse de résonnance offerte par l’actualité, à commencer par les édiles de villes petites ou moyennes faisant mine que la pandémie s’arrêterait aux frontières des métropoles. A les entendre, la propagation différenciée du virus entre territoires urbains et ruraux s’expliquerait davantage par le nombre d’habitants au kilomètre carré que par l’intensité d’usage des espaces publics et des liens sociaux, ou encore que la prégnance des inégalités sociales. Selon eux, toujours, les villes denses seraient aujourd’hui menacées d’un « exode urbain » massif. Gare à ne pas croire que la bataille est gagnée d'avance, pour autant...
Les élus métropolitains feront-ils leur aggiornamento ?
Dans ce contexte tumultueux, et face à l’émergence de nouvelles préoccupations sociales et environnementales se faisant jour parmi les habitants des grandes villes, certains présidents de métropoles et maires urbains ouvrent progressivement les yeux sur les fragilités et problèmes auxquels leurs populations font face. Certains prennent mêmes leurs distances avec la « course à l'attractivité ». Eux qui se projetaient encore jusqu’à peu dans la « compétition territoriale » et défendaient coûte que coûte le « rayonnement » de leurs métropoles se mettent aujourd’hui à discourir sur la ville « durable », « inclusive », « participative » ou « solidaire ». Ils n’utilisent plus que des oxymores pour souligner le fait qu’ils dirigent des métropoles « en transition ». Preuve que tout n’est pas perdu dans cette « guerre froide » territoriale, pour reprendre les mots de la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault…
Les élus des grandes villes disposent bien de quelques atouts dans leurs manches. Mais rien ne dit, toutefois, qu’ils trouveront les ressources et parviendront à faire – enfin, ensemble – de la politique, de s’accorder entre eux au-delà de consensus mous peu prescriptifs et d’accepter de changer de logiciel de développement comme de stratégies d’aménagement. Alors, quels défis les maires des grandes villes devront-ils relever pour faire advenir la métropole de demain ? Auront-ils seulement les moyens financiers de faire rebondir leurs territoires ? Les métropoles sauront-elles se réinventer ou feindront-ils seulement de réorienter leurs actions et leurs pratiques en espérant que cette parenthèse se referme un jour ?