Vie politique : les règles de la transparence
© T. I. F
Agence nationale anti-corruption, Haute autorité à la transparence de la vie publique, lois Sapin 2 et Déontologie… Face aux multiples affaires politico-financières, la France a connu dernièrement une révolution déontologique. L’Observatoire de la SMACL revenait le 13 décembre à Paris sur ce mouvement et l’impact pour les élus et fonctionnaires locaux de ce nouveau culte de la transparence.
« Jusqu’en 2010, la France des Lumières, pays des Droits de l’Homme, se situait à l’avant-dernière position des Etats-membres de l’Union Européenne en matière de règles sur la transparence. Beaucoup de chemin a été réalisé, depuis. Elle se situe aujourd’hui dans les meilleurs standards internationaux » se félicite Daniel Lebègue, président de Transparency International France. Comment cela se traduit-il, concrètement ? Quels sont les droits, devoirs et obligations des élus mais aussi de leurs collaborateurs de cabinet, des directeurs généraux de collectivités ou de satellites, en matière de transparence et de déontologie aujourd’hui ? Lors de sa 15ème journée d’étude, l’Observatoire de la SMACL(( mutuelle d'assurance des collectivités et de leurs agents)) leur a bien fait comprendre que les acteurs politiques locaux devaient apprendre à se poser les bonnes questions… avant qu’il ne soit trop tard.
Les élus les plus exposés au risque, tels les présidents d’exécutifs régionaux, départementaux, intercommunaux et communaux (collectivités de plus de 20 000 habitants), ainsi que certains de leurs adjoints disposant d’une délégation de fonction ou de signature, sont depuis peu assujettis à une déclaration d’intérêts et de situation patrimoniale. C’est-à-dire qu’ils doivent indiquer à la HATVP – dont les prérogatives ont été renforcées et les moyens décuplé – leur profession, d’éventuelles adhésions à des associations, leurs divers mandats ou encore parts détenues dans des entreprises, leurs revenus ou l’activité professionnelle de leurs proches. « Certains de mes pairs élus se montrent réticents car ils associent la transparence à une forme de soupçon de culpabilité que l’on ferait peser sur leur intégrité » témoigne Chantal Cutajar, adjointe au maire de Strasbourg en charge de la déontologie, de la démocratie locale, des marchés et des achats publics.
Jouer le jeu de la transparence pour regagner la confiance des citoyens
La France est-elle vraiment en train de procéder à un virage à 180° au point de sombrer dans une démocratie-paparazzi ? « La transparence totale n’est appliquée que pour les ministres et les parlementaires, pas pour les élus locaux ni leurs collaborateurs ou les fonctionnaires qui ne verront pas leurs déclarations publiées » se défend Gabriel Poifoulot, administrateur territorial détaché à la HATVP : « il s’agit avant tout de prévenir le risque de conflits d’intérêts ou d’enrichissements illégaux. »
De la pure prévention, donc, qui débouche au demeurant très rarement sur des mises en causes judiciaires. Si tous les interlocuteurs présents à ce colloque de la SMACL ont pu prendre connaissance de l’explosion du nombre d’élus locaux poursuivis (337 en 2014, contre 185 par an en moyenne lors de la mandature précédente), ils se rassurent, à raison, en mettant en avant la faible proportion que ces statistiques représentent : à peine moins de 1%.
Tout ça pour ça, seraient alors tentés de penser certains… Daniel Lebègue, qui ne veut pas être assimilé à un « ayatollah de la transparence », convient que « la France dispose d’un personnel politique et d’une des administrations les plus intègres et compétentes au monde. Mais faut-il rappeler que 76% des Français estiment leurs dirigeants corrompus ou du moins n’agissant pas au seul service de l’intérêt général mais plutôt en fonction d’intérêts locaux ou de carrière personnelle ? » fait mine de questionner le président de la section française de Transparency International. « Nos concitoyens réclament une démocratie plus vivante. La transparence constitue simplement un outil pour que les Français reprennent confiance vis-à-vis de leurs institutions et de leurs élus » explique Chantal Cutajar, elle-même universitaire spécialisée dans l’éthique et la lutte contre la corruption. C’est pourquoi, au terme de transparence, Daniel Lebègue privilégie d’ailleurs celui de « redevabilité, qui consiste pour celui qui exerce une charge publique à rendre des comptes à ceux qui l’ont mandaté. »
Les collectivités désormais contrôlées... par leurs fonctionnaires ?
D’autres changements interviendront dans les mois à venir pour mieux protéger les fonctionnaires qui chercheraient à signaler à leur hiérarchie des infractions criminelles ou délictuelles. Les lanceurs d’alertes ne pourront, théoriquement, plus faire l’objet de représailles. Autant de mécanismes de contrôle supplémentaires, qui semblent légitimes eu égard à la décentralisation, au renforcement des rôles des métropoles, des régions ainsi qu’à la complexification des règles d’urbanisme ou de la commande publique. Quoi qu’il en soit, ils changeront en profondeur le paysage des collectivités. Tandis qu’elles étaient supervisées jusqu’ici seulement par des audits à posteriori des chambres régionales des comptes ou des contrôles de légalité réduits comme peau de chagrin, seules les collectivités volontaires, c’est-à-dire une infime minorité, avaient mis en place un audit interne ou du contrôle de gestion.
Pour l’heure, l’enthousiasme ne se fait guère davantage entendre du côté des fonctionnaires que des élus. Directeur général des services de l’agglomération Sophia Antipolis, Stéphane Pintre reconnaît « qu’il se commet des conflits d’intérêts chaque seconde qui passe. » Contrairement aux délits de favoritisme ou de détournements de fonds publics, les dirigeants condamnés pour prises illégales d’intérêts ne sont pas tous de mauvaise foi mais pêchent par méconnaissance ou manque de formation. « Nous sommes passés d’une situation où il n’y avait aucun dispositif de contrôle ou presque à une situation où l’on nous demande de jouer les chevaliers blancs. Compte tenu du fonctionnement parfois clanique d’une collectivité, aller dénoncer son supérieur hiérarchique – qui peut être son ami ou son cousin – n’est pas chose aisée » prévient celui qui est aussi président du SNDGCT, syndicat national des DG de collectivités.
Agents : passer de la théorie à la pratique, en évitant d'être placardisés
« Pour avoir lancé de telles alertes sur des faits advenus et condamnés par la suite, des collègues ont brisé leur carrière et n’ont toujours pas retrouvé d’emplois fonctionnels. C’est peu dire qu’ils n’ont pas reçu de décorations, au mieux, ils seront placardisés et stigmatisés » continue Stéphane Pintre. A l’entendre, ces évolutions législatives, aussi pertinentes soient-elles sur le plan théorique, font toutes fi des réalités et d’un environnement toujours plus contraint. Au point d’être déjà mort-né ? Pour une conseillère juridique de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), Florence Cayla, « ces dispositifs d’alerte obligeront justement les élus locaux et les directeurs généraux à acquérir la culture de la déontologie et à la faire essaimer jusqu’aux agents. »
Attention néanmoins : les déontologues et référents en déontologie ne devront pas se contenter d’une posture attentiste et conseiller les élus ou agents en cas de besoin, mais être, pour cela, « les premiers vecteurs de la culture déontologique : à eux de montrer que l’éthique n’est pas un carcan qui bloque tout mais, au contraire, que cette valeur donne du sens à l’action à côté des contraintes financières ou managériales » ajoute Samuel Dyens, avocat et président de l’Association nationale des juristes territoriaux (ANJT). Tout un programme !