De plus en plus de collectivités s’offrent un "vrai-faux" guide touristique

Emilie Denetre
De plus en plus de collectivités s’offrent un

Routard PetitFuté

© DR

En favorisant les vacances en France, la crise sanitaire a confirmé une tendance qui préexistait depuis quelques années maintenant. De nombreuses intercommunalités, pays ou départements commandent des guides « territoriaux » à des maisons d’édition spécialisées dans le tourisme, comme Le Petit Futé ou Le Routard. S’il leur est difficile de mesurer pleinement l’efficacité de ce nouvel outil de communication, il demeure moins onéreux que les traditionnelles campagnes d’affichage pour mettre en valeur leur potentiel touristique.

Quel est le point commun entre le Petit Futé dédié au « canal du Nivernais » et le guide du Routard sur le « pays de Gers » ? Ils sont tous les deux le fruit d’une commande publique, passée par des collectivités soucieuses d’accroître la visibilité de leurs territoires à des maisons d’édition spécialisées dans la production de guides touristiques. Au-delà de ces deux cas, les exemples ne manquent pas dans le monde urbain comme rural : la métropole du Grand Paris vient de s’en offrir un recensant « les plus belles balades du Grand Paris » (Le Petit Futé), tout comme la métropole de Lille l’an dernier à l’occasion d’un évènement sur le design (Le Routard), ou encore la Thiérache en 2019 et les différentes intercommunalités de La Tarentaise un peu plus tôt.

L’ANPP, qui fédère plusieurs centaines de pays et de pôles d’équilibres territoriaux, situe cet engouement pour les guides « territoriaux » en 2015, après la refonte des frontières administratives des régions. « On a senti un véritable besoin de proximité chez les Français, qui coïncidait avec le souhait des élus de réorienter leurs stratégies touristiques vers des choses plus authentiques, la mise en valeur des patrimoines locaux » analyse Michael Restier, directeur de l’association. Une lame de fond qui a pris plus d’ampleur encore avec la crise sanitaire de 2020, donc, et le retour en force des séjours domestiques en France.

Lire la suite : "Quand Airbnb parie sur le potentiel touristique de la France rurale"

Accompagner à la redécouverte de la France 

S’étant constitué en groupement d’achat dès 2014 pour le compte de ses 272 adhérents, l’ANPP a développé un solide partenariat avec Hachette France. Depuis, l’association sélectionne chaque année, sur dossier de candidature, cinq collectivités qui sont ensuite mises à l’honneur par le « Guide du Routard » à hauteur de 20 000 exemplaires. Ces dernières années, le succès a été tel pour l’Alsace du Nord ou bien encore la Vallée du Loir que ces guides ont dû faire l’objet d’une réédition. Son concurrent « Le Petit Futé » fonctionne sur un mode identique avec l’Assemblée des départements de France (ADF), et vient d’éditer la seconde édition du Guide « Vélo & Fromages, la France sur un plateau » mêlant itinéraires cyclables et produits du terroir, pour le plus grand bonheur des présidents de conseils départementaux.

https://twitter.com/PascalCOSTE/status/1419643875447148545?s=20

« Nous répondons à des appels d’offre, mais nous sommes souvent sollicités, aussi, en direct par des collectivités dans le cadre d’une prestation de service » éclaire Jean-Paul Labourdette, le président de cette maison d’édition pour qui les affaires avec les collectivités ne semblent jamais avoir aussi bien marchées. Rien qu’en 2021, l’éditeur a en effet déjà réalisé et publié pas moins de dix guides en partenariat avec des collectivités territoriales (Autun, Cap d’Agde, Faucuny-Glières, Métropole du Grand Paris, Sud Côte Chalonnaise, etc.) !

Entre 15 et 50 000 euros le guide 

Selon les chiffres communiqués par les acteurs de ce marché B2B, l’acquisition d’un guide coûterait aux collectivités entre 15 000 et 60 000 euros selon la pagination, le tirage et l’angle retenus. Les modalités varient selon les maisons d’édition. S’agissant d’une édition du Routard élaborée dans le cadre du partenariat avec l’ANPP, la collectivité avancerait 50 000 euros mais serait susceptible de se rembourser sur la vente des guides.

« Nous discutons avec nos clients en amont, afin de mieux comprendre leurs attentes et pouvoir les orienter, décrit pour sa part l’éditeur du « Petit Futé » : certaines collectivités veulent un guide généraliste, d’autres un guide thématique sur les sentiers de randonnées, le tourisme fluvial, les activités à faire avec les enfants. Il est certain que si vous êtes une collectivité bretonne, il est plus intéressant de vous démarquer avec un guide thématique qu’avec un énième guide généraliste ».

Un jeu dangereux ? Non selon l'ANPP et Le Petit Futé

Au « Petit futé », les rédacteurs des guides indépendants – classiques – et des guides faisant l’objet d’un partenariat rémunéré avec les collectivités ou leurs associations sont les mêmes. « C’est logique, car ils connaissent déjà les territoires. Et puis nos clients y tiennent : ce qu’ils veulent c’est un guide « labellisé Petit Futé » donc nous travaillons avec les mêmes rédacteurs, les mêmes méthodes, les mêmes maquettes afin que ces guides puissent entrer in fine dans nos collections classiques et soient également distribués – en partie – par nos réseaux » poursuit Jean-Paul Labourdette.

Il est ainsi très difficile pour le grand public de distinguer ces guides « partenarisés »  de ceux ayant fait la renommée de ces maisons d’éditions. Le partenariat, affiché et revendiqué d’un côté, ne fait l’objet que d’une mention discrète dans les pages des guides. Un détail sans importance, pour le patron du « Petit Futé », qui estime qu’ils sont de qualité égale au reste de la collection. « Nous travaillons en bonne intelligence avec nos clients et, même si nous devons tenir compte de leurs attentes éditoriales, nous n’avons jamais eu de demande déraisonnable de leur part. En fait, leur connaissance du territoire enrichit plutôt nos travaux ». À l’ANPP, qui travaille avec le Guide du Routard, l’éditorial reste en dernier ressort dans la main de l’éditeur qui a donc le dernier mot, le « final cut », pour une question d’indépendance. Mais là encore, Michael Restier décrit un climat plutôt serein : « nous n’avons jamais eu de pression d’un élu qui tenait absolument à voir figurer l’hôtel de son cousin dans son guide alors qu’il était miteux » illustre le directeur de l’ANPP.

Quelques retombées touristiques… et de la fierté 

Au vu des retombées pour les pays et PETR s’étant prêtés au jeu, Michael Restier estime que l’investissement vaut le coup : « nous constatons une hausse de fréquentation du territoire de 10 à 20% après la parution d’un guide et puis surtout, cela fédère les acteurs du territoire dans une dynamique positive et constructive. Les habitants sont assez fiers, également, des articles dans la PQR lors de leur sortie ; c’est aussi une manière pour eux, finalement, de redécouvrir leur région ».

Même sentiment chez l’éditeur du « Petit Futé », qui note que les collectivités se servent des guides comme de véritables outils de promotion du territoire en les distribuant dans les salons, dans les offices du tourisme, dans les hôtels. « Si ces collectivités avaient dû se payer des pages de publicité dans un quotidien national ou une campagne d’affichage dans le métro parisien, cela leur aurait coûté beaucoup plus cher » conclut Jean-Paul Labourdette. « Et l’avantage du guide papier, c’est que c’est au moins un support qui reste et qu’on garde dans le temps » complète Michael Restier.

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