Damien Carême, maire EELV de Grande-Synthe, élu député européen le 26 mai 2019
© Twitter/@DamienCarême
Il est le seul maire, avec Stéphanie Yon-Courtin, parmi les 79 eurodéputés français élus ce 26 mai : Damien Carême, maire (EELV) de Grande-Synthe (Nord) depuis 18 ans, s'est rapidement constitué en héraut de la cause des réfugiés et de la lutte contre le réchauffement climatique, quitte à en découdre avec l'Etat. Portrait d'un élu local qui portera très bientôt ses dossiers au cœur de la machine bruxelloise.
[Portrait initialement publié dans le Courrier des maires n°305, octobre 2016]
Soudain, il a fait irruption à la « Une » de la presse. Jusqu’alors, il s’était fait un nom dans les milieux écolos pour sa politique environnementale. Là, en annonçant qu’il allait installer un camp de réfugiés aux normes internationales dans sa commune de Grande-Synthe, Damien Carême change de catégorie. Et relance une version locale de David contre Goliath, le maire d’une ville moyenne (21 800 hab.) contre l’Etat. Car, de ce camp, l’Etat ne veut à l’origine pas entendre parler.
Dans le dur. Des réfugiés, Grande-Synthe en accueille quelques dizaines depuis 2006, comme toutes les communes aux alentours de Calais. Mais, avec le blocage du port de Calais et le durcissement des conditions de passage en Angleterre, leur nombre explose. Jusqu’à 2 500 personnes en décembre 2015, entassées au camp du Basroch, dans des tentes, sur un terrain inondable près d’un quartier résidentiel. Inacceptable pour la dignité et la sécurité des réfugiés, mais aussi pour la population qui commence à pétitionner. Le « camp de la honte », Damien Carême n’en veut plus. Mais, au lieu de demander à l’Etat son démantèlement, il prend une décision radicale : il décide de transférer tout le monde dans des baraquements en dur et chauffés, avec sanitaires collectifs. Bernard Cazeneuve attend des maires qu’ils reprennent l’initiative ? Ce maire le prend au mot. Las, l’Etat craint que la parcelle, entre autoroute et voies ferrées, n’attire réfugiés et passeurs.
L’élu EELV met alors le pied dans la porte du ministère jusqu’à obtenir l’accord de la préfecture. Qui, le jour de l’inauguration, le 7 mars 2016, met le maire en demeure sur la réglementation incendie… « Je l’ai vu tendu face à la sous-préfecture », relate Franck Esnée, chef de mission pour la mission « France » de Médecin sans frontières (MSF), gestionnaire du camp. Autre moment de tension, avec MSF, lorsque Damien Carême, soucieux de voir le camp se réduire rapidement, refuse l’accueil aux hommes seuls. « Il était très en colère lorsque nous avons publié notre communiqué sur ce désaccord. Il est très ferme sur ses engagements pris vis-à-vis de la population. Le désaccord persiste, mais le partenariat n’est pas remis en cause.»
« La facilité aurait été de ne pas agir et, dans cette affaire, il n’a pas choisi le confort, reconnaît son premier adjoint, Martial Beyaert. Mais Damien est pugnace, il va au bout des dossiers, quitte à se mettre les gens à dos. » S’il est une personne qu’il n’aurait pas souhaité décevoir, c’est son père, René Carême. Au cours de l’entretien, cet ancien maire de Grande-Synthe est sans cesse évoqué. « Mon père s’est bagarré pour avoir une polyclinique associative et non une clinique privée. Il a construit avant même d’avoir les fonds, avec la confiance des entrepreneurs. Puis Simone Veil a donné son accord. C’était un fonceur, qui ne se satisfaisait pas de ce qui existait. »
Paternel. « Lorsque j’ai été élu, en 2001, il m’a dit, maintenant, je peux mourir », se souvient Damien, encore ému et admiratif de ce père d’origine lorraine, syndicaliste retourné à l’usine pour ne pas se couper de sa base, et « toujours dans l’innovation ». La première barre de logement social abattue, c’est lui, la première mission locale de France, c’est lui, l’idée du RMI, reprise par Rocard, c’est lui - avec le minimum social garanti -, la ceinture verte et la gestion écologique des espaces verts de la ville, c’est encore lui… Loin de l’écraser, cette figure paternelle le booste pour encore plus d’innovation sociale, plus d’engagement environnemental. De préférence en liant les deux.
Une prise de conscience progressive chez cet ancien animateur socioculturel devenu informaticien. « Les crises sont la suite des trente piteuses et non des Trente Glorieuses. Comme la crise de l’amiante. On savait, mais on a laissé faire », martèle-t-il. « Damien porte la vision et les valeurs de l’écologie politique », salue Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine de Dunkerque dont Damien Carême est deuxième vice-président. Il comprend pourquoi son partenaire au basket à l’Olympique Grande-Synthe lorsqu’ils étaient enfants a quitté le PS pour les Verts en 1992. « Il a mis en cohérence ses valeurs avec son appartenance partisane. C’est quelqu’un d’entier, son engagement pour les réfugiés ne m’étonne pas. »
Modèle économique. Ce père de deux enfants, dont aucun n’a repris le flambeau de la politique, voit au-delà des limites communales. A l’échelle de la communauté urbaine, où il est chargé de la « transformation écologique et sociale », il souhaite mettre en place un modèle économique différent, à base de petites unités, tirant parti de l’acquis industriel. « Je voudrais un concept global dans le domaine de l’énergie, depuis la formation, la recherche et les incubateurs jusqu’à l’ingénierie. Nous ne devons plus subir de fermetures industrielles, ajoute-t-il. Aujourd’hui nous avons une centrale nucléaire. Mais demain ? Nous devons en discuter avec tous les partenaires. Je veux écrire l’avenir. »
Dans cette ville qui a subi toutes les crises - « nous en avons listé treize, comme la crise énergétique, financière, démocratique, migratoire, sanitaire, climatique… » -, il aura appris que les solutions ne viendront pas de l’Etat, mais des maires. « Les maires doivent sortir de leur attitude timorée, avoir de l’audace ! ». Aussi, apprend-on avec une certaine surprise qu’il se présentera aux législatives et abandonnera son mandat local. Paradoxe ? « Je suis élu depuis quinze ans. J’ai vu les blocages législatifs. A l’Assemblée, il faut des mecs qui osent !, s’esclaffe-t-il. Le terrain, la mise en œuvre me manqueront. Mais j’aurai les contacts nécessaires. » Et là, enfin, il s’émancipe du père qui lui avait dit : « Ne sois jamais député. Maire, c’est le plus beau des mandats. »