La nature de la coopération entre Etat et collectivités est-elle en train de changer définitivement de forme ? C'est ce que semblent observer les acteurs locaux qui font d'ores et déjà face au retrait de l'Etat sur des missions que celui-ci assurait encore hier, telle l'ingénierie publique.
Les réserves des collectivités tiennent aussi "au fonctionnement peu clair de certaines des nouvelles structures territoriales de l'Etat - comme les agences régionales de santé - et, plus généralement, au manque de déconcentration, qui rend plus difficile la construction de solutions adaptées aux situations locales, en association avec les collectivités", observent les inspections générales des finances (IGF) et des Affaires sociales (Igas) dans leur rapport sur la RGPP publié en septembre 2012.
L'Etat central reprend la main
A rebours de cet Etat local en retrait, les administrations centrales semblent reprendre la main et imposer leurs vues aux collectivités territoriales, par les cordons de la bourse.
"L'Etat central a retrouvé une certaine emprise sur les politiques développées dans les territoires, à travers différentes agences nationales et la mise en concurrence des territoires. "Parce qu'ils sont sélectifs, les appels à projets nationaux incitent les collectivités à se conformer aux attentes centrales." La distribution des crédits d'investissement nationaux s'opère de moins en moins par le biais de contrats négociés localement par les services déconcentrés, qui faisaient primer les projets des collectivités, et de plus en place au travers d'appels à projets nationaux : rénovation urbaine, pôle de compétitivité, plans campus, ville durable… Parce qu'ils sont sélectifs, ces appels à projets incitent les collectivités à se conformer aux attentes centrales. Faute de quoi, elles savent que les crédits iront à leurs concurrents", constate Renaud Epstein, chercheur associé à l'Institut des sciences sociales du politique (ENS Cachan)
Repenser les politiques de contractualisation
Le contrôle par les agences des projets locaux agace au plus haut point les associations d'élus, qui dénoncent, comme l'Association des communautés urbaines (ACUF), "une approche descendante" qui "induit une forme de concurrence entre les territoires". L'association réclame ainsi la fin de "la logique d'appel à projets".
De même, l'AdCF souhaite en finir avec "l'agencification" et "définir de nouveaux modes de travail avec […] les grandes agences nationales qui concentrent les moyens d'intervention budgétaires". Et l'association de demander "que soient repensés les politiques nationales de contractualisation et les contrats Etat-région" pour retrouver un pouvoir d'initiative dans leurs partenariats avec l'Etat.
ENTRETIEN
Georges LABAZEE,
sénateur des Pyrénées-Atlantiques et président du conseil général
"Un frein doit être mis à la multiplication des appels à projets"
Le Courrier des maires : Comment ont évolué les contrats de projet Etat-région (CPER) depuis leur création en 1984 ?
G. Labazée. Les secteurs d'intervention étaient très nombreux dans le premier contrat de plan 1984-1988 de l'Aquitaine : soutien à l'investissement, à l'emploi, développement agricole et rural, tourisme, culture, éducation et formation, mise en valeur des ressources régionales, désenclavement et solidarité. On constate aujourd'hui l'implication bien moindre de l'Etat qui ne finance que 43 % du CPER 2007/2013. D'où une déception perceptible sur les politiques d'aménagement du territoire.
La coproduction est-elle toujours de mise entre ces deux acteurs ?
— G. L. Des améliorations sont effectivement possibles. Mais il faut souligner que les contrats créent des habitudes de travail en commun entre les acteurs et offrent une vision transversale des enjeux d'un territoire, ce qui constitue une richesse indéniable. Ces éléments ont des répercussions sur l'action publique locale au-delà du contenu même des contrats.
Comment devraient évoluer à l'avenir ces CPER ?
— G. L. Un frein doit être mis à la multiplication des appels à projets aux effets pervers bien connus : mise en concurrence des territoires privilégiant les collectivités dotées de moyens importants en matière d'ingénierie ; généralisation d'une approche verticale qui va à l'encontre de la décentralisation et ne prend pas nécessairement en compte les spécificités territoriales ; perte de cohérence entre les différentes actions menées ; horizon de court terme… A l'aube d'une nouvelle législature, la question se pose : les futurs et massifs transferts de compétences envisagés ne mettront-ils pas un terme aux contrats Etat-régions ?
Aurélien Hélias