L'APA, le RSA et la PCH pèsent lourd dans les finances des conseils généraux. Ceux-ci attendent des réponses rapides sur le financement de la perte d’autonomie, tandis que les dépenses de fonctionnement explosent.
Les finances sociales des départements liées aux trois allocations universelles de solidarité obligatoires sont sous tension. La sous-compensation structurelle de ces allocations, assortie d’une augmentation des dépenses d’aide sociale générée par la crise, conjuguée à la baisse des ressources fiscales -droits de mutations -et de celles de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ont fortement aggravé la situation des départements.
En 2009, 20 d'entre eux étaient jugés vulnérables. Début 2010, 30 sont en difficulté", constate Yves Daudigny, président du conseil général de l’Aisne.
Ressources amoindries
L’avenir ne s’annonce pas plus radieux: Les effets de la crise perdurent et les ressources fiscales restent amoindries, la perspective à court terme n’est pas bonne. Le redémarrage de la progression des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) se concentre sur Paris, le pourtour méditerranéen et atlantique, et quelques grandes agglomérations.
A ce rythme, il faudra plusieurs années pour revenir au niveau atteint en 2007 de 7,9 milliards d’euros, contre 5 milliards fin 2009, alors que le panier RSA-APA-PCH progresse de plus de 800 millions en 2010", alerte le sénateur. Sur trois ans, de 2007 à 2009, le seul taux de couverture de ce "panier" a baissé de 66,6% à 61%, représentant une augmentation du reste à charge pour les départements de 3,8 milliards à 5 milliards d'euros.
Ce constat de sous-compensation, partagé par une majorité de conseils généraux, s’ajoute à l’effet de ciseau qui touche les finances départementales depuis plusieurs années.
Philippe Adnot, président du conseil général de l’Aube, plaide pour "revenir à un financement national", lui qui, dans son département, a dû "diminuer investissement, subventions aux communes, dépenses de fonctionnement et les subventions à certains secteurs". "Même l’embellie des droits de mutation ne rapporte dans l’Aube que 2 millions d’euros sur 10 millions d’effet de ciseaux !" déplore-t-il.
Nécessaire péréquation
Comme lui, Bruno Sido, président du conseil général de la Haute-Marne et à la tête du groupe de l’opposition à l’Assemblée des départements de France (ADF), regrette que ces prestations aient été décentralisées. "Que les départements s’en occupent est une bonne chose. Mais ce financement par les ressources départementales est une négation de la solidarité nationale !"
Parmi les propositions de l’élu pour faire face au défi financier des dépenses sociales et de la perte d’autonomie, figure une journée de solidarité nationale "qui rapporterait 2 milliards sur les 4 qui manquent aux départements".
Autres pistes évoquées:
"L’assurance volontaire, obligatoire ou non, et l’augmentation de la CSG, notamment pour les retraités".
A cela, Bruno Sido ajoute une quatrième condition: "La nécessaire péréquation entre les départements". De fait, en 2011, environ 400 millions d'euros (sur un produit de 6 milliards de DMTO) seront péréqués. Une soixantaine de départements en bénéficieront. La péréquation sur le produit de la CVAE sera connue début 2012.
Dépendance: les pistes de financement
Faut-il créer une nouvelle branche de la Sécurité sociale ou se tourner vers les assurances privées ?
La députée UMP Valérie Rosso-Debord plaide pour une assurance privée obligatoire dès 50 ans, encadrée par l'Etat. L'une des pistes polémiques avancée par un rapport sénatorial (A. Vasselle, UMP) est la récupération d'une partie des aides versées sur le patrimoine du bénéficiaire lors de son décès.
L'alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs et la création d'une journée de solidarité (L. Hénart, UMP) sont également à l'étude.
"Les départements financeront la dépendance, mais l'Etat doit d'abord apurer sa dette"
Entretien avec Yves Daudigny, sénateur, président du conseil général de l’Aisne et de la commission des affaires sociales et familiales de l'ADF
- L’actuel financement des allocations de solidarité par les départements est-il tenable à long terme ?
Y. Daudigny - "Il n’est pas tenable et c’est exactement le constat du rapport de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance, qui propose de réaffirmer le principe de parité de financement de l’APA entre l’Etat et les conseils généraux.
Les 150 millions dégagés par le gouvernement (ndlr: dans le collectif budgétaire pour 2010) sont totalement insuffisants. Le transfert de compétences aux collectivités par l’Etat sans transfert de financements pérennes et suffisants porte atteinte au principe fondamental de solidarité nationale de notre système de protection sociale et au principe constitutionnel de libre administration des collectivités.
Le tribunal administratif de Montreuil vient d’ailleurs de valider la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le conseil général de Seine-Saint-Denis sur la compensation par l’Etat de ces transferts de compétences."
La péréquation est-elle une réponse pour aider les départements à supporter ces coûts ?
La péréquation n’a ni la capacité ni la vocation à résoudre le problème de la sous-compensation du coût des allocations de solidarité. Les dispositifs actuels, hors ceux prévus dans le cadre de la suppression de la taxe professionnelle, opèrent principalement par la DGF, mais leur effet péréquateur est très réduit et sans perspective d’amélioration.
Au-delà, la péréquation sera d’un effet très limité sur le déficit de compensation des allocations de solidarité, car le problème est structurel: prélever les ressources des uns pour financer les dépenses des autres n’aboutit qu’à déplacer le problème sans le résoudre, sauf à se contenter de répartir la pénurie. Il faut donc bien distinguer l’objectif de péréquation de l’objectif de compensation. A cet égard, la tentation qui consisterait à "jouer" de la part péréquée de la nouvelle cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises réaliserait cette confusion.
Les départements pourront-ils intégrer rapidement des prestations liées à la perte d’autonomie?
"Les départements ont la capacité d’assurer cette prise en charge, à la condition indispensable que l’Etat apure sa dette. Le financement de la dépendance n’est pas le tsunami dont certains se gargarisent. Si l’on table sur un besoin de 8 milliards à l’horizon 2030 sur un coût total de 30 milliards dont 22 sont d’ores et déjà financés, cela représente un effort parfaitement supportable pour la collectivité. La question portera plus légitimement sur la gouvernance de cette prise en charge, compte tenu de la mise en place des agences régionales de santé (ARS) qui va nécessiter de coordonnerles acteurs départementaux et régionaux, de l’expertise bien installée de la CNSA et de sa composition qui rassemble l’ensemble des intervenants."
"L'équivalent de neuf collèges neufs non compensés"
Entretien avec Michel Dinet, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle
Le département de Meurthe-et-Moselle peine-t-il à financer ses dépenses sociales obligatoires?
Michel Dinet - "Comment pourrait-il en être autrement puisque le décalage entre ses dépenses et les recettes qui lui sont attribuées s’accroît chaque année ! En 2011, sur les 186 millions d’euros répartis entre les trois allocations servies, 90 millions ne seront pas compensés. Soit l’équivalent de l’ensemble des dépenses du conseil général pour les routes ou de neuf collèges neufs… Ce décalage représente tout de même 15 % de notre budget total de 650 millions d’euros ! S’ajoute à cela une évolution démographique qui conduit au vieillissement de la population du département et une situation économique tendue avec un nombre de bénéficiaires du RSA en hausse."
Quelles sont les marges de manœuvre du département pour assumer le coût des trois allocations?
"Ces droits individuels décidés par la Nation et au périmètre fixé par le Parlement ne devraient être financés que par le niveau national. Résultat: je me retrouve à rendre des comptes sur la base de décisions qui ne sont pas les miennes ! Et la suppression du pouvoir financier et fiscal du département aggrave le tout: je ne peux plus compenser comme avant en augmentant les quatre taux de taxe. La seule marge qui me reste est le foncier bâti !"
Les surcoûts de fonctionnement sont-ils aussi problématiques?
"Ces surcoûts restent faibles, même si l’Etat est redevable au département car il n’a pas transféré tous les personnels sur notre maison départementale des personnes handicapées et n’a pas apporté tous les crédits au fonds de compensation du handicap. Globalement, je plaide pour que le financement des allocations individuelles revienne totalement au niveau national mais que les modalités d’intervention, les politiques d’accompagnement, relèvent du niveau local."
A. Hélias (mars 2011)