Le portrait du maréchal Pétain peut-il être accroché au mur de la salle d’un conseil municipal ?
Cette décision du tribunal administratif de Caen du 26 octobre 2010 « Préfet du Calvados c/ Commune de Gonneville » (n° 1000282) constitue un rappel intéressant des contours de la notion de neutralité du service public.
Les circonstances du litige
Par une lettre en date du 21 janvier 2010, le préfet du Calvados a demandé au maire de la commune de Gonneville-sur-Mer de procéder au retrait du portrait de Philippe Pétain, accroché en mairie au mur de la salle des délibérations du conseil municipal ; ce dernier, par courrier du 27 janvier 2010, a notifié au préfet le refus de procéder à ce retrait en précisant que « les conseillers municipaux se sont réunis, non en réunion du conseil municipal mais de façon informelle et ont (…) décidé le maintien, à la majorité, de l’exposition du portrait aujourd’hui litigieux » et que la commune « est attachée à son passé et donc à son histoire et ne peut accepter de voir partiellement détruite une exposition objective de portraits de chefs d’Etat sous le bénéfice de considérations personnelles et empreintes d’une subjectivité sans frontière ».
La requête du préfet
Par une requête, qui conservait son objet dans l’ensemble de ses conclusions dès lors que c’était seulement dans l’attente du jugement à intervenir que le maire de la commune de Gonneville-sur-Mer a fait procéder au retrait du portrait en cause, le préfet du Calvados a demandé au tribunal administratif, d’une part, de prononcer l’annulation de cette décision, d’autre part, d’enjoindre au maire de ladite commune, en application de l’article L.911-1 du Code de justice administrative, de procéder au retrait du portrait de Philippe Pétain dans le délai de 24 heures à compter de la notification du jugement.
La nature de la décision
Compte tenu de ses termes mêmes, la décision contestée doit être regardée comme ayant été prise, non par le maire de la commune de Gonneville-sur-Mer, mais par les conseillers municipaux dès lors que la lettre du 27 janvier 2010 du maire de ladite commune mentionne que les conseillers municipaux « se sont réunis » et « ont décidé le maintien, à la majorité, de l’exposition du portrait » de Philippe Pétain dans la salle du conseil municipal ; il est constant que, comme le soutient le préfet, cette décision n’a pas été prise par le conseil municipal dans les formes et selon les modalités définies par les articles L.2121-9 et suivants du Code général des collectivités territoriales et qu’elle est entachée d’illégalité.
La violation du principe de neutralité
Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes exprimant des opinions politiques, religieuses ou philosophiques ; ainsi, la décision attaquée, par laquelle le maire de la commune de Gonneville-sur-Mer a fait savoir au préfet le refus de faire procéder au retrait du portrait de Philippe Pétain, qui était accroché, en mairie, au mur de la salle des délibérations du conseil municipal, porte atteinte au principe de neutralité du service public, alors même que le portrait de Philippe Pétain figure parmi les portraits, affichés dans la salle du conseil municipal de la commune, des chefs d’Etat depuis 1871.
On lira dans les conclusions de Mme Tiger (à paraître in BJCL n° 11/10) le débat sur l’erreur de droit commise en alléguant que Philippe Pétain serait chef de l’Etat alors qu’il a cessé d’être chef de l’Etat au moment du rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire national par l’ordonnance du 9 août 1944 et parce que la Haute Cour de justice a, par son arrêt du 15 août 1945, condamné Philippe Pétain à mort pour intelligence avec l’ennemi et haute trahison et l’a frappé d’indignité nationale, d’où la perte de la qualité de chef d’Etat.
Commentaire
Le jugement fait droit à l’argumentaire de l’Etat qui soulignait que la tradition républicaine de laquelle procède l’affichage du portrait de chefs d’Etat dans les bâtiments communaux ne peut se concilier avec l’affichage du portrait de Philippe Pétain, en l’absence de forme républicaine du gouvernement, que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne concernent que les principes issus d’une législation républicaine, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et que la présence de ce portrait au sein de la mairie, qui présente, indépendamment de l’intention de la municipalité, le caractère d’une revendication politique, constitue une atteinte au principe de neutralité du service public.
Le préfet ajoutait que la reconnaissance par l’Etat de sa responsabilité du fait des persécutions antisémites commises par l’autorité de fait se disant « gouvernement de l’Etat français » ne saurait permettre le maintien dans une mairie, lieu symbolique de la République, du portrait du chef de cette autorité de fait.