Mendiant sur le Pont-Neuf
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Alors que l’exclusion est de plus en plus visible en centre-ville, les collectivités ont quelques outils pour chasser les mendiants… mais aussi pour combattre la misère.
Hénin-Beaumont, Chalon-sur-Saône, Reims, Roanne… Autant de villes où des arrêtés municipaux contre la mendicité ont été signés par leurs maires au lendemain de leur élection en mars. Et comme à l’accoutumée, ces textes ont été aussitôt contestés par des associations – avant d’être, souvent, suspendus par la justice.
« Nous demandons leur annulation car ces arrêtés ne résolvent pas le problème : ils ne font que rejeter et précariser les personnes », argue Jacques Montacié, secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme.
Certes, fort de ses pouvoirs de police municipale, le maire a compétence pour « assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique ». Pour autant, demander la charité est une activité licite en France, depuis que les délits de mendicité ou de vagabondage ont disparu, en 1994, avec l’ancien Code pénal.
Dès lors, s’ils sont saisis, les tribunaux administratifs ne confirment les arrêtés dits « anti-mendicité » que si certaines conditions sont réunies (lire encadré ci-dessous).
Prérogatives de l’Etat
Lorsque la « manche » est jugée trop envahissante, « les collectivités territoriales sont assez dépourvues, car c’est l’Etat qui a la main », résume Julien Damon, professeur associé à Sciences-po((Auteur d’« Eliminer la pauvreté », PUF, 2010.)).
D’une part, il revient aux forces de l’ordre et à la justice de réprimer certains délits spécifiques : la mendicité avec un enfant de moins de six ans((Article 227-15 du Code pénal)), ou bien « en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d’un animal dangereux »((Art. 312-12-1 du Code pénal)), ou encore l’exploitation de la mendicité((Art. 225-12-5 du Code pénal)).
D’autre part, en décentralisant en 1983, l’Etat s’est réservé la charge de l’aide sociale aux personnes sans domicile fixe – dont bon nombre sont contraints à la mendicité. Le Conseil d’Etat l’a encore précisé en 2012 : il appartient à l’Etat, notamment, de « mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence ».
Les départements et les communes disposent toutefois de quelques compétences contre la mendicité. Le conseil général demeure responsable de l’aide sociale à l’enfance, et notamment de la protection « en urgence » des mineurs mis en danger. Des jeunes poussés à quêter en bord de route doivent bénéficier de son soutien.
De leur côté, les villes, et éventuellement les intercommunalités, peuvent prévenir la mendicité au titre de l’aide sociale facultative. Leurs centres d’action sociale sont ainsi habilités à offrir aux sans-abri une adresse, afin qu’ils puissent exercer leurs droits ; certains leur dépêchent même des travailleurs sociaux, dans la rue, pour les hisser, tant bien que mal, vers l’insertion.
Les limites des arrêtés anti-mendicité
« Que les maires qui veulent prendre de nouveaux arrêtés anti-mendicité sachent que les associations feront recours et qu’ils devront se justifier », prévient Jacques Montacié, secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme. De fait, dès lors qu’ils sont été saisis par une personne ayant intérêt et qualité à agir, nombre d’arrêtés anti-mendicité sont finalement suspendus ou annulés par les tribunaux administratifs.
En effet, si le pouvoir de police du maire l’autorise à porter atteinte à la liberté d’aller et venir, cette limitation doit néanmoins être « nécessaire et proportionnée ». Et le caractère « nécessaire » doit être dûment prouvé, par exemple par des plaintes ou des pétitions d’habitants, en nombre suffisant. La seule mobilisation de commerçants est généralement rejetée puisqu’elle renvoie à des intérêts privés. Quant au caractère « proportionné », il implique que l’interdiction de la mendicité soit limitée dans le temps, par exemple pendant la saison touristique, mais aussi dans l’espace, à l’instar de quelques rues du centre-ville.
4 conseils
S’appuyer sur la législation nationale
Face à l’exploitation de la mendicité d’un mineur, « on aurait tout intérêt à mettre en œuvre vigoureusement les dispositions pénales », estime le sociologue Julien Damon. « Les élus locaux peuvent demander à leurs services d’être vigilants » et alerter les forces de l’ordre lorsque l’un délit est constaté. Par ailleurs, en vue de la protection de l’enfance, le président du conseil général doit recueillir, traiter et évaluer les « informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être », selon l’article L226-3 du Code de l’action sociale et des familles. « Et il n’est pas assez sollicité », d’après Julien Damon.
Investir dans l’accompagnement social
« Ce qui est efficace pour réduire le nombre de personnes à la rue, c’est l’intervention d’équipes mobiles de travailleurs sociaux, constituées par des associations ou le centre communal d’action sociale », rapporte Florent Gueguen, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars). « Après avoir tissé une relation de confiance, elles peuvent convaincre les personnes d’accepter une solution d’hébergement et un accompagnement social. Il faut accepter que cela prenne un peu de temps. »
Miser sur la coordination
Puisque la mendicité peut appeler des réponses de l’Etat, du département, de la commune ainsi que des associations, il importe que ces différents intervenants jouent le jeu de la coopération pour coordonner leurs actions, mais aussi pour partager informations et solutions. Les municipalités peuvent également avoir intérêt à miser sur l’échelon intercommunal. « Ces publics bougent de ville en ville », rappelle Florent Gueguen. « Ainsi, l’un des enjeux de la métropole du Grand Paris est, pour nous, de pouvoir étendre notre coordination des équipes mobiles à toute la petite couronne, grâce à des financements mutualisés. »
Ajuster les réponses
« Les mendiants n’ont pas tous les mêmes raisons de faire la manche. Nous ne pouvons donc pas apporter à tous les mêmes réponses. » Le principe est affirmé par Yves Clappier, directeur adjoint du CCAS de Grenoble. Par exemple, « certains précaires se sont clochardisés au terme d’un processus d’autodestruction, ce qui peut appeler un traitement social, mais aussi clinique » ; en revanche pour des jeunes avec chiens, en révolte contre la société, « un accompagnement par, et dans, le logement » peut être efficace… Il reste à imaginer des solutions pour les sans-papiers privés de droits.
Sur le terrain
Grenoble va offrir des « alternatives à la manche »
Clochards à l’ancienne, Roms en familles, « punks à chiens », déboutés du droit d’asile… A Grenoble, les visages de la manche sont multiples. Et face à ces quêteurs, le nouvel adjoint au maire chargé de l’action sociale, Alain Denoyelle, se donne un double objectif : « Les accompagner dans leurs besoins, tout en veillant au bien-être des autres habitants. »
[caption id="attachment_41273" align="alignleft" width="323"] L’un des centres d’hébergement grenoblois. Chacun des éducateurs mandatés par le CCAS accompagne cinq personnes en difficulté.[/caption]
Il n’envisage ainsi pas « de faire la chasse aux mendiants », mais plutôt de poursuivre l’effort consenti par la ville, depuis des années, pour les réinsérer. Non contente de ses 309 000 euros de subventions aux associations spécialisées, la municipalité s’appuie sur son centre communal d’action sociale (CCAS) pour aider les personnes sans domicile à retrouver leur autonomie.
Maraudes avec les associations
Celui-ci met à leur disposition 146 lits, répartis en 4 centres d’hébergements et de réinsertion sociale (CHRS), et anime plusieurs services pour leur accompagnement social. Ainsi quatre salariés sont chargés d’aller au-devant des sans-abri, en ville. Ces maraudes sont menées en concertation avec les associations grenobloises et en lien avec les acteurs isérois de l’hébergement. Ceci étant, « toutes les structures sont saturées », déplore Alain Denoyelle.
Aussi, avec plusieurs associations, le CCAS travaille-t-il sur un projet d’« alternatives à la manche » pour 2015 : « L’idée est de proposer des emplois de courte durée, en chantiers et ateliers d’insertion, qui seraient payés au jour le jour », explique l’adjoint au maire. En attendant, le CCAS paraît parfois isolé. « Dans l’intérêt des populations, nous voudrions améliorer notre partenariat avec l’Etat et le département », souligne son directeur adjoint Yves Clappier.
Contact. CCAS : 04.76.69.45 00