Le centre de ressources « Profession Banlieue » et le studio-chantier d’insertion « Making waves » signent une série de podcasts dédiés au département de Seine-Saint-Denis, intitulée « Penser le 9-3 ». Les quatre épisodes tissent un fil entre ceux qui produisent des recherches, ceux à qui elles sont destinées (travailleurs sociaux, bailleurs ou politiques) et ceux qui n’en sont aujourd’hui que les sujets (les habitants). Un documentaire sonore qui invite à la réflexion, très loin des stéréotypes sur les quartiers populaires.
« Loin des JT, loin des clichés ». À chaque début d’épisode, le journaliste Antoine Tricot qui incarne la série « Penser le 9-3 » nous fait cette promesse : celle d’amener « micro au poing » l’auditeur à la découverte de toute la diversité de la Seine-Saint-Denis, mais aussi de ses contradictions. Construits comme des déambulations sonores, ces reportages nous plongent au fil des épisodes dans les quartiers Emile Dubois puis Villette d’Aubervilliers, les jardins L’autre Champ à Villetaneuse, et le centre « Confluences » de Saint-Denis.
Et les habitants ?
Le journaliste et ses invités – urbaniste, politiste, géographe et sociologue – deviennent alors nos guides. Lentement, nous nous accrochons à leurs pas, à leurs souffles, à leurs descriptions mais surtout à leurs réflexions pour nous laisser immerger. Car si de nombreux chercheurs « pensent » depuis des décennies la Seine-Saint-Denis, il est plus rare que les fruits de leurs travaux passent les murs des universités. Et encore moins qu’ils parviennent jusqu’à ceux qui vivent ou travaillent dans le 9-3.
La déambulation démarre donc à Aubervilliers avec l’urbaniste Marie-Hélène Bacqué, qui vit et écrit sur la Seine-Saint-Denis depuis près de 40 ans. Elle raconte ses recherches mais aussi cette question qui la taraude : comment « rendre » ses écrits et ceux des nombreux chercheurs qui travaillent sur le département aux habitants du département ? « C’est un enjeu essentiel, car ce territoire est beaucoup parlé par d’autres, mais on écoute finalement peu la parole de ses habitants. Ils sont objets d’étude, il faudrait qu’ils deviennent producteurs d’études, en débattant des résultats, en se les appropriant ».
Ceux d’en face
Pour nouer ce dialogue, le journaliste convie donc à partir du second épisode des citoyens dans ses reportages. Et certaines rencontres s’avèrent savoureuses… Notamment celle entre Maguy Ly (habitante et militante associative) et le sociologue-politiste spécialiste de la rénovation urbaine, Renaud Epstein. « Ça fait 20 ans qu’on fait de la rénovation urbaine, on a suffisamment de recul maintenant pour dire que ça ne marche pas… L’idée qu’en transformant la forme urbaine, on transforme la population, ça, ça ne marche pas ! »
Maguy Ly semble ne pas en croire ses oreilles. Ce que l’auteur de « Démolition-reconstruction de l’Etat » et « On est bien arrivés » explique, elle le vit tous les jours ! Elle lui raconte alors les « nouveaux habitants », « ceux d’en face », qui ont de beaux espaces architecturaux avec de si grandes fenêtres et ouvertures qu’ils sont obligés de « faire tout un tas de trucs pour se cacher des regards ». Elle décrit la distance insidieuse qui s’est installée entre les « anciens » et les « nouveaux » : « c’est vrai qu’ils ont eu beaucoup de problèmes ; quand on voit tout le temps chez vous, ben vous vous faites cambrioler, cambrioler, cambrioler et en plus ils ont le coin pipi juste en-dessous chez eux, alors pour ceux qui habitent au rez-de-chaussée c’est vrai que ce n’est pas drôle. »
Bobos Vs Habitants historiques
Au jardin partagé de Villetaneuse, dans l’épisode suivant, il est encore question de cette mixité sociale, tant recherchée par les pouvoirs publics et finalement toute théorique. La géographe Flaminia Paddeu – qui a étudié d’autres expériences du genre, notamment aux États-Unis – interroge ces pratiques d’agriculture urbaine ayant le vent en poupe. Quelle peut être la place des habitants historiques dans de tels dispositifs ? En clair, comment éviter d’en faire une simple expérience « bobo » de retour à la terre ? « La confiance », répond Samuel Lehoux, « car nous sommes aussi des habitants du quartier ».
La confiance, c’est aussi sur cette base que travaille justement Mamadou Soumaré au centre social au cœur de la ville de Saint-Denis. Dans le quatrième épisode, il raconte au micro d’Antoine Tricot ses petites victoires de tous les jours : voir les collégiens s’enthousiasmer pour le « challenge 12 » (de moyenne), emmener ses « grands » faire du char à voile ou encore convaincre un ado de consulter un médecin pour ses problèmes de peau.
Animateur et plus encore…
« Officiellement on est animateur, on fait découvrir des activités aux jeunes, mais officieusement, on est là pour créer du lien » résume de lui-même l’animateur. Le journaliste missionné par « Profession Banlieue », déjà auteur de « Cheville ouvrière, essai de journalisme critique en quartier populaire », décrypte ensuite avec la sociologue Christine Bellavoine les injonctions parfois contradictoires auxquelles les politiques locaux soumettent ces professionnels et qui cassent la motivation de beaucoup d’entre eux : attirer les ados mais sans faire d’occupationnel, s’engager dans des gros programmes énergivores sans laisser tomber les autres projets, faire venir des filles à l’âge où les groupes sont très genrés quel que soit le milieu social… « On y travaille, on y travaille » souffle M. Soumaré. Christine Bellavoine acquiesce : « C’est important de ce que dit Mamadou : 'ils y travaillent’. Cela ne sera pas résolu par un projet ponctuel, oui. Ils y travaillent, mais sur le long terme ».
« Penser le 9-3 », série de podcasts sur la Seine-Saint-Denis co-produite par Profession Banlieue et Making Waves. Les quatre épisodes peuvent être téléchargés sur toutes les plateformes de podcasts (gratuit, février 2023)