Christine Lazerges, présidente de la CNCDH : « Nous assistons à un recul prononcé de la tolérance »

Denis Solignac
Christine Lazerges, présidente de la CNCDH : « Nous assistons à un recul prononcé de la tolérance »

Christine Lazerges

© CNCDH

Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), souligne, à l’occasion de la sortie du rapport 2013 de la commission, face à la montée de l’intolérance, le rôle central des élus locaux. Elle s’alarme des effets d’une libération de la parole raciste chez les politiques.

Courrierdesmaires.fr. Le rapport 2013 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie montre-t-il une évolution dans ces domaines ?

Christine Lazerges. Le racisme a changé de figure. Le racisme biologique, celui qui croit à la différence entre les races, cède le pas. Le racisme et la xénophobie ont connu un recul de 13,6 points en 2013, passant de 724 actes recensés par le ministère de l’Intérieur en 2012 à 625 faits.

Ce n’est plus la couleur qui est rejetée, mais le fait que les codes religieux ne conviennent pas, que la personne est supposée ne pas s’intégrer. Le racisme est devenu culturel avec un recul prononcé de la tolérance.

Comment mesure-t-on cela ?

C. L. Avec l’indice longitudinal de tolérance qui agrège 65 séries de questions posées à plusieurs reprises au fil des années. Par exemple : « Les gens du voyage de nationalité française sont des Français comme les autres », ou : « Il y a trop d’immigrés en France ».

Des scores sont établis en fonction des proportions de réponses tolérantes ou intolérantes de façon à obtenir une note globale allant de 0, si personne ne donne la réponse tolérante, à 100 si tous la donnent. Une augmentation de l’indice indique une progression de la tolérance.

Ou en est donc le score de tolérance ?

C. L. En 2013, nous sommes revenus au niveau degré de tolérance de 1990, année de début de cette observation. Depuis 1990, l’indice a régulièrement augmenté à partir de 1991, jusqu’en 2008. On en tirait la conclusion que les choses s’amélioraient.

Depuis 2009, la tolérance des diplômés du supérieur a reculé de 16 points, autant que celle des moins diplômés.”

Puis, en 2008, explosion de la crise. L’indice part à la baisse, avec une diminution de 3,3 % entre 2012 et 2013. Depuis 2009, l’indice a perdu 12 points. Avec 56,307 points il se rapproche du niveau le plus bas, en 1991, avec 51,406 points.

Comment expliquer cette diminution de la tolérance ?

C. L. La crise économique n’est pas la seule explication. Elle se double d’une crise morale issue de l’individualisme grandissant et d’un repli sur ses propres problèmes. La crise économique a exacerbé ces facteurs sous-jacents. Tous les groupes sociopolitiques sont concernés.

Depuis 2009, la tolérance des diplômés du supérieur a reculé de 16 points, autant que celle des moins diplômés. Les digues se fissurent aussi du côté des électeurs de gauche où la baisse est de 7 points en quatre ans. Quant aux électeurs de droite, ils sont revenus 14 ans en arrière, avec une polarisation croissante droite-gauche sur cette question.

Le niveau d’intolérance varie-t-il selon les minorités ?

C. L. L’indice se dégrade pour toutes les minorités : Roms, musulmans, Maghrébins, mais aussi Noirs et juifs, pour lesquels on constate une inflexion de la courbe entre 2012 et 2013.

L’augmentation de l’intolérance se traduit-elle dans les faits ?

C. L. Selon les données du ministère de l’Intérieur, les actes antimusulmans ont augmenté de plus de plus de 11 points entre 2012 et 2013, avec 226 faits enregistrés. L’antisémitisme a, lui, connu une chute de 31 points en matière d’infraction pénale depuis 2012, avec 423 faits enregistrés.

Il faut cependant signaler que l’affaire Merah avait été suivie d’une augmentation des actes antisémites de plus 50 % en 2012, avec 615 faits, par rapport à 2011. Nous sommes donc encore au-dessus du niveau de 2010. Mais nous ne voyons que l’écume des choses, les musulmans en particulier déposent très peu plainte pour des injures ou des discriminations. C’est pourquoi nous demandons au ministère de l’Intérieur de mener une enquête de victimation.

En ce qui concerne les juifs, 75 % des Français considèrent qu’ils sont des Français comme les autres. Mais il reste un antisémitisme latent, qui leur attribue un rapport particulier à l’argent, une réussite sociale réelle ou supposée, tout en reconnaissant que ceci est mérité puisqu’il s’agit de personnes cultivées et travailleuses. Ce discours est donc complexe.

Quant aux musulmans, ils ne sont considérés comme des Français comme les autres que par la moitié des personnes interrogées. Ce qui est particulièrement honni, ce sont les prières de rue, le voile.

Quelle vision de la laïcité se dégage de l’enquête ?

C. L. La laïcité, elle, est plébiscitée, même par les catholiques les plus réactionnaires, car elle est comprise comme hostile à l’Islam.

Je pense qu’avec la déchristianisation de la société et Vatican II, la religion est devenue peu visible dans l’espace public. On ne voit plus de procession, de prêtres en soutane, de religieuses en cornette… Ce qui fait que l’affirmation publique de sa foi est vilipendée et vue comme anormale, ne relevant pas de la liberté de conscience. Avant Vatican II, le catholicisme s’exprimait de façon assez ostentatoire dans l’espace public !

Les politiques n’ont-ils pas une responsabilité dans la mauvaise évolution de l’indice ?

C. L. Si, c’est le deuxième grand enseignement du rapport : la libération et la banalisation d’une parole raciste, y compris chez les politiques. Il en résulte une hostilité aux Roms démesurées. On estime qu’ils sont 12 000 à 15 000 en France, pour une population de près de 66 millions. Le maire de Cholet les traite de vermines et il est réélu. Le ministre de l’Intérieur dit qu’ils ne peuvent pas s’intégrer…

La parole des maires, élus de proximité, compte beaucoup. Et pas seulement dans les petites communes.”

Plus généralement, les discours de Dakar et de Grenoble du président Sarkozy ont inscrit dans certains esprits, y compris à gauche, que beaucoup de difficultés viennent du nombre d’étrangers en France. En outre, depuis l’alternance, il n’y a pas d’intérêt marqué pour la lutte contre les discriminations.

Nous avons besoin d’une parole forte et cohérente, venant de la part de tous les ministres. La gauche n’ose plus s’afficher antiraciste comme auparavant.

Et qu’en est-il de la responsabilité des élus locaux ?

C. L. La parole des maires, élus de proximité, compte beaucoup. Et pas seulement dans les petites communes. Par conséquent, si un élu doit contrôler plus que les autres sa parole publique, c’est bien le maire. Et il doit transmettre ce message au conseil municipal, au sein duquel il doit il y avoir un consensus absolu sur la question de la tolérance.

En ce qui concerne les Roms, le maire doit soutenir les écoles maternelles et primaires qui font des efforts pour accueillir les enfants. Il doit aussi soutenir les associations qui servent de relais entre les Roms et la société, celles qui luttent contre l’exclusion des arabo-musulmans.

Les maires peuvent communiquer positivement ou négativement, taire ou mettre en avant une opération exemplaire. Ils doivent comprendre qu’il vaut mieux que le pacte républicain n’explose pas. Par exemple, lorsqu’une famille musulmane s’installe dans un village avec une femme voilée, le maire peut organiser un débat sur l’expression religieuse plutôt que de laisser les tensions s’installer.

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