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Voté à l’Assemblée, le texte constitutionnel sur la ratification de la charte du Conseil de l’Europe est avant tout un ballon d’essai pour compter les parlementaires favorables. La charte ne fait pas l’unanimité, tout comme la « déclaration interprétative » qui l’accompagne suscite les craintes des hérauts des langues régionales.
Le 28 janvier 2014, une confortable majorité (361 voix pour, 149 contre) s’est prononcée à l’Assemblée en faveur de l’adoption de la proposition de loi (PS) de ratification de la Charte européenne des langues régionales.
Si le Sénat devait ensuite l’adopter dans les mêmes proportions, le seuil des trois cinquièmes des parlementaires serait alors atteint, permettant au gouvernement de faire adopter le texte en présentant, plus tard, un projet de loi constitutionnelle, adoptable par les sénateurs et députés réunis en Congrès.
Car, pour la majorité, cette proposition de loi n’est qu’un ballon d’essai, destiné à compter précisément les bataillons parlementaires favorables à l’adoption. Il n’est en effet pas question pour l’exécutif de recourir au référendum, obligatoire pour faire faire adopter une proposition de loi constitutionnelle proposée par un parlementaire.
Un « patrimoine » à vivifier
Se mesurer, tel est donc l’objectif principal. En témoigne le soutien apporté au texte par l’un des nombreux députés favorables à la charte européenne, Paul Giacobbi. « Nous ne devons pas nous intéresser fondamentalement au texte, nous devons nous compter », plaide le président de l’exécutif de l’assemblée territoriale de Corse, dont la collectivité vient de signer une charte de coopération avec le conseil général du Haut-Rhin pour la promotion du bilinguisme.
Pourtant, l’idée même de ratifier la charte a ses opposants, comme le montre l’incapacité – ou le peu d’empressement – des gouvernements successifs à faire adopter un texte signé par la France en 1999 et qui date de… 1992 !
Remise au goût du jour par le Premier ministre comme gage de sa bonne volonté décentralisatrice en plein cœur des manifestations des « bonnets rouges » régionalistes, la charte divise la classe politique et transcende les habituelles frontières partisanes.
Si le PS, les Verts et l’UDI y sont largement favorables, le Front de Gauche, une partie de l’UMP et le MRC y sont farouchement opposés, tout en se disant favorables au libre développement de la pratique privée ou associative d’une langue régionale.
Pour ces derniers, il serait dangereux pour l’unicité de la République, et pour l’utilisation de sa langue, le français, comme langue unique entre les citoyens et les administrations, de constitutionnaliser des langues régionales. Qui, de plus, sont déjà présentes dans la loi fondamentale française depuis la révision constitutionnelle de 2008 affirmant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (art. 75-1).
Il est vrai pourtant que cette reconnaissance n’a pas eu d’effets très concrets. « Les châteaux forts aussi sont reconnus comme des monuments historiques. Mais il est interdit de les utiliser dans leur fonction d’origine, militaire. De même pour les langues régionales aujourd’hui : vous pouvez les utiliser, mais pas dans les cercles publics de la vie… », persifle Paul Giacobbi.
Enseignement prioritaire
De même, les promoteurs de la charte attendent peu de progrès de la récente promulgation de la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l’école, dont l’article 40 prévoit que « les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage. Cet enseignement peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’Etat et les collectivités territoriales ».
Ainsi, seule la constitutionnalisation permettrait selon eux d’asseoir et de pérenniser la pratique des langues régionales en engageant l’Etat dans des dispositifs de valorisation et de protection de ces langues sur le long terme.
Et notamment une obligation de moyens en matière d’enseignements : « On ne produit plus les enseignants capables d’enseigner la langue alsacienne. […] L’objectif est de pouvoir restaurer, au moins à la base, la possibilité d’une éducation bilingue », plaide le président (UMP) du conseil général du Haut-Rhin, Charles Buttner, selon qui 10 000 des 36 000 chômeurs alsaciens n’auraient pas trouvé d’emploi car ils n’étaient pas bilingues…
Reste que la charte est loin d’être adoptée. D’abord parce que le choix du gouvernement d’utiliser une proposition de loi comme ballon d’essai avant de déposer un nouveau texte sous forme de projet de loi obligera à reprendre la discussion parlementaire à zéro. Ensuite car seulement la moitié des articles de la charte seraient ratifiés (voir en chiffres).
Restrictions interprétatives
Mais la ratification est d’autant plus incertaine que le texte l’autorisant est accompagné d’une déclaration interprétative qui la restreint, en précisant notamment que la charte ne confère « pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires » ou encore que « l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics ». Une restriction que regrettent de nombreux députés corses, ultramarins, alsaciens et bretons.
Enfin, si les hérauts de la charte espèrent que cette dernière obligera l’Etat a plus de bonne volonté, notamment financière, dans la sauvegarde des langues régionales, l’Etat s’en remet pourtant depuis plusieurs années aux… collectivités pour assumer ce rôle. Ainsi l’article 75-1 figure dans le titre XII de la Constitution consacré aux collectivités territoriales.
Une tendance que la charte pourrait ne pas suffire à infléchir et qui donne du grain à moudre aux opposants à la ratification, dont la députée Marie-Françoise Bechtel : « Tout cela risque de peser financièrement sur les collectivités locales, les coûts de promotion des langues régionales risquant de se faire au détriment d’autres politiques publiques locales. »
Les régions confortées
Le conseil régional a « compétence pour […] assurer la préservation de son identité et la promotion des langues régionales, dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des départements et des communes », proclame l’article 1er de la loi de modernisation de l’action publique. Une action déjà souvent réalisée par différents offices publics régionaux pour le bilinguisme.
« Adopter la charte sans aucune restriction »
« Concrètement, l’adoption de la proposition de loi de ratification changerait peu de chose car le gouvernement n’a retenu que 39 des 98 articles de la charte((39 engagements sur les 98 que contient la charte avaient été retenus par le gouvernement Jospin en mai 1999, un minimum de 35 engagements étant nécessaire pour pouvoir signer la charte.)), qui portent sur beaucoup de choses s’appliquant déjà sur plusieurs fractions du territoire. Mais l’inscription dans la Constitution lui donnerait une autorité dans le temps et l’imposerait à l’avenir au législateur. Ce qui signifie qu’on évitera au moins des reculs demain en matière de langues régionales. Reste que la déclaration interprétative qui accompagne l’adoption comporte trop de restrictions ! Le risque est que cette déclaration soit utilisée à l’avenir par les opposants aux langues régionales et par le Conseil constitutionnel pour restreindre sa portée dans d’autres textes, comme les décrets. Il faut aller vers l’adoption de la Charte sans aucune de ces restrictions. »
Marc Le Fur, député (UMP) du Morbihan
« Nous avons déjà les instruments suffisants »
« Etant moi-même basco-béarnaise, je comprends qu’on veuille valoriser les langues régionales. Mais nous avons déjà les textes suffisants pour le faire, et ce, sans porter atteinte à la Constitution. Ainsi, 274 000 élèves apprennent une langue régionale, soit 24 % de plus depuis 2010 ! L’Education nationale fait de gros effort avec 570 professeurs de langue régionale rémunérés par l’Etat. Aller plus loin signifierait prendre en charge des enseignants qui ne feront que ça. Quant à publier des actes administratifs des services publics en langue régionale, la loi autorise déjà les documents bilingues dans tous les services publics. Qu’en sera-t-il du testament du grand-père rédigé en breton et qui ne peut être lu par le petit-fils auvergnat ? La seule demande recevable est celle de renforcer les moyens là où il y a une demande. »
Marie-Françoise Bechtel, députée (MRC, app. PS) de l’Aisne
« Une sécurisation juridique nécessaire »
Les outils existants pour développer les langues régionales, comme les offices régionaux, restent limités. Et il n’y a pas de sécurisation juridique, notamment pour l’affichage bilingue des panneaux toponymiques ! Quant à l’enseignement, si la demande d’ouverture de classes bilingues est forte, l’administration ne remplit pas son rôle en formant trop peu d’enseignants, faute de places aux concours. La charte aurait aussi pour intérêt qu’on n’oblige pas deux personnes à parler le français dans les services publics, centre des impôts ou Pôle emploi, quand elles ne peuvent communiquer que par la langue régionale, comme le créole, langue vernaculaire dans les DOM. Le coût, pour l’enseignement est négligeable, car il ne s’agit pas d’ajouter des heures mais seulement d’avoir un enseignant bilingue. »
Paul Molac, député (app. EELV) du Morbihan