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Déjà passablement remontées sur les problématiques de l'inégal accès aux soins et de la qualité variable de l'offre, les associations d'élus locaux questionnent ouvertement la gouvernance et l'organisation du système français de santé, depuis l'apparition de la pandémie de Covid-19. Dans leur viseur ? Les multiples inégalités de santé, à la fois sociales et territoriales, mises en lumière ces deux dernières années. De gauche ou de droite, nombre d'élus des campagnes comme des quartiers populaires des grandes villes ou de villes petites ou moyennes en perte de vitesse profitent de la sensibilité de l'opinion publique à ce sujet pour provoquer le débat et tenter de faire avancer leurs positions.
Accès réduit aux soins, antécédents médicaux, modes de vie, niveaux de revenu… Non seulement les catégories populaires sont plus exposées à la Covid-19, mais elles ont aussi plus de probabilités d’en mourir. La vulnérabilité accrue des « premiers de corvée » habitant un logement sur-occupé d'un quartier prioritaire de la politique de la ville, comme des travailleurs indépendants sous-protégés vivant dans des campagnes isolées, n'a en rien surpris les élus alertant sans relâche sur l’ampleur de la désertification médicale. S’il n’y a jamais eu autant de médecins en France, leur répartition très inégale dans l’Hexagone produit des conséquences sanitaires bien concrètes, que ces responsables politiques ne connaissent que trop bien.
« On observe, plus globalement, chez les populations résidant dans les déserts médicaux, des retards de prise en charge des pathologies aigues (AVC, infarctus), un manque de dépistage et de suivi de certains cancers, mais aussi et surtout des maladies chroniques (diabète, hypertensions) – qui demandent des soins de supports chez des paramédicaux (kinésithérapie, orthophonie) eux aussi moins disponibles. Et, au final, davantage d’abandon de soins : lorsque vous avez des délais importants avant de voir un professionnel de santé, ou beaucoup de kilomètres à effectuer, vous avez tendance à vous décourager plus rapidement » énumère le docteur Hélène Colombani, directrice du service Santé de la ville de Nanterre et présidente de la Fédération nationale des Centres de santé.
Des solutions palliatives... qui ont montré leurs limites
Et pourtant, rien n’y fait ! Au pays de l’égalité, l’illusion selon laquelle l’état de santé et l’espérance de vie seraient homogènes – dans toutes les couches de la population, de Cluses à Vannes en passant par Cannes, Lens ou Neuilly-sur-Seine – a la peau dure. Si la crise sanitaire a mis en lumière une capacité d’adaptation et d'ancrage territorial insoupçonnée des CPAM, des délégations départementales de certaines ARS ainsi que des professionnels de santé, elle a aussi révélé, en creux, l’extrême centralisation du système de santé français en temps normal… Et braqué les projecteurs sur un certain nombre de dysfonctionnements imputables tantôt à l’incurie des hauts-fonctionnaires du ministère de la Santé, tantôt à la passivité de la Caisse nationale d’Assurance-Maladie, et tantôt à la rapacité de l’Ordre des médecins. Avant que le sujet ne tombe – à nouveau - aux oubliettes durant la campagne présidentielle…
Combien de temps encore les collectivités consentiront-elles à signer des chèques les yeux fermés à des directeurs d'ARS défaillants et des praticiens libéraux à l’appétit débordant ? Continueront-elles encore longtemps à demander, poliment, le droit de coller des pansements sur un hôpital dont les services à commencer par les Urgences ferment les uns après les autres compte tenu notamment de la dégradation des conditions de travail des soignants ? Et à poser des sparadraps sur une offre de soins en ville en berne, accentuant les concurrences et inégalités territoriales sans remédier à la pénurie de médecins béante ? Jusqu’à quand adjoints aux maires à la santé et praticiens étant devenus élus s’époumoneront-ils, sans être entendus, à dénoncer le déficit de prévention et les errements produits par la trop faible coordination entre hôpital et médecine de ville ?
Las de devoir s’accommoder des ordres et contre-ordres de l’Etat en temps de crise tout en fournissant aide logistique et fournitures médicales à ses opérateurs, las de devoir colmater les brèches avec plus ou moins d’efficacité le reste du temps, certains élus appellent à repenser plus globalement le système de santé français.
Vers un changement de pied de l’Etat, ses alliés et ses opérateurs ?
Sans désavouer le rôle plus que légitime de l’Etat, ni la tentative – timide - de certains de ses opérateurs de prendre en compte les caractéristiques sanitaires et socio-économiques ou bien encore les différences culturelles de certains patients, les représentants des collectivités accentuent la pression sur les ARS et le personnel politique national. Objectif de la transformation en profondeur visée par certains élus de terrain : faire émerger et consolider une approche territoriale de la santé encore embryonnaire aujourd’hui, mieux adaptée aux besoins et aux problématiques de leurs habitants. Ils n’hésitent plus, pour cela, à mettre en débat les sujets qui fâchent – de la dégradation des conditions de travail des soignants synonyme de dégradation des conditions d’accueil des malades alimentant le déficit d’attractivité de certains hôpitaux à la perte de confiance de certains patients vulnérables à l’égard de la médecine conventionnelle en passant par la déconnexion de certains technocrates.
Dans le « monde d’après », les associations d'élus rêvent que la santé publique ne soit plus seulement l’apanage de la Cnam et du ministère de la Santé – les deux protagonistes officiels derrière lesquels Bercy se cache souvent. Que la corporation des médecins et les doyens de facs fassent, eux aussi, leur aggiornamento… Si elles ont profité de la campagne présidentielle pour engager le débat sur les impensés de l’organisation actuelle du système de santé et identifier quelques pistes de progrès, lever les résistances de chacun de ces acteurs demandera du temps. La bataille n’est pas gagnée d’avance. Loin de là.
Pour les élus, le plus dur reste à faire
Rien ne dit que les collectivités parviendront réellement à revivifier la démocratie sanitaire et à s’imposer en acteurs opérationnels de la santé publique sur le dernier kilomètre dans un avenir proche. Ni qu’elles auront leur mot à dire sur l’aménagement sanitaire du territoire, les difficultés structurelles de l’hôpital public, les grandes lignes du PLFSS 2023 ou bien qu’elles pourront en faire en plus en matière de prévention, en contrepartie de l’abandon par l'Etat central d’une forme de « jacobinisme sanitaire ». Mais une chose est sûre : le combat pour mettre le système de santé au service du plus grand nombre mérite d’être mené. Le ministère de la Santé comme les médecins ne pourront privilégier éternellement leur approche indifférenciée quel que soit le groupe social ou le territoire visé... Tout comme Emmanuel Macron ne pourra plus faire du retour à l’équilibre des comptes financiers l’unique boussole des politiques médicales et sanitaires, mais devra parvenir à l’articuler avec la nécessaire amélioration de l’état de santé.
Le nouvel exécutif, qui a confirmé vouloir faire de la santé l'une de ses principales priorités après le pouvoir d'achat, est prévenu. Fini les rustines posées sans grande cohérence au gré de décrets et lois aussi bavards que techniques ! A côté d’un certain nombre de réformes structurelles – déséquilibres de la géographie hospitalière, financement des hôpitaux et de la Sécurité sociale, prévention des conflits d’intérêts, refonte des études de médecine -, le président de la République et Brigitte Bourguignon, sa nouvelle ministre de la Santé et de la Prévention, devront tôt ou tard tirer les leçons – de la gestion de crise de l’épidémie de Covid-19, qui n'a fait que révéler tous les dysfonctionnements antérieurs. Et ils n’auront guère le choix que d’y associer les collectivités et territorialiser bien davantage les politiques médicales et sanitaires, s’ils espèrent bien réduire les inégalités devant l’accès aux soins, la maladie ainsi que la mort.