Banlieues Rural
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Faut-il d’abord renforcer la politique de la ville ou soutenir les territoires non-métropolitains en déprise ? Elus de territoires ruraux isolés, de petites et moyennes villes ou de banlieues enclavées refusent de choisir et font front uni contre l’Etat. Sans misérabilisme, ils alertent sur leur situation susceptible d’entraîner de graves conséquences politiques et sociales, si le pouvoir central refuse de distiller un peu plus de discrimination positive.
L’Etat est-il en train de déshabiller Paul pour habiller Jacques ? Pour beaucoup d’élus vigilants qui revendiquent de parler sans tabou, la question mérite plus que jamais d’être posée en ce printemps 2018. Sinon, enchaînent-ils, comment expliquer autrement la fermeture de centaines de classes rurales, en même temps que des milliers de CP et CE1 du réseau d’éducation prioritaire - majoritairement situés en milieu urbain - sont dédoublés à 12 élèves ?
Un raisonnement légitime et logique, vraiment ? « Non, la plupart de ces fermetures répondent à des considérations démographiques avec des départements qui perdent des centaines d'enfants à chaque rentrée, rectifie le premier vice-président de l’Association des maires ruraux (AMRF), Michel Fournier, pour qui la polémique se situe ailleurs. L’Education nationale reconnaît l’intérêt d’avoir des classes à petits effectifs pour la réussite des enfants de classes populaires mais, paradoxalement, part du principe qu’il faut 24 à 25 élèves pour maintenir une classe en milieu rural, où nombre de familles ne sont pas moins modestes », s’étonne le maire (SE) de Voivres (Vosges). Applaudissant le gouvernement dans un premier temps, qui « se donne les moyens de son ambition », le premier édile (PS) de La-Seyne-sur-Mer et président de Ville et Banlieue, Marc Vuillemot, finit assez rapidement par rejoindre son homologue : « Si l’Etat se préoccupe réellement des territoires ruraux, il aurait dû former et recruter de nouveaux enseignants afin de faire République partout. »
Contradictions des hauts-fonctionnaires de l'Etat
Même lorsque toutes les conditions semblent réunies pour les opposer dans une guerre fratricide, les élus locaux de banlieues populaires et du monde rural isolé préfèrent donc pointer les contradictions du gouvernement… C'est le cas des élus de Castillon-la-Bataille, petit poucet girondin (3070 habitants) cherchant à tout prix à faire entendre raison à l'Etat jacobin qui refuse de l'intégrer à la géographie prioritaire de la politique de la ville. «Castillon-la-Bataille est à 13 km de Saint-Émilion : ce n’est pas forcément le territoire le plus malheureux de France », disait Jacques Mézard, cinglant, en mars à l'Assemblée nationale.
Passant sur le peu d’égard accordé par le ministre de la Cohésion des territoires à la précarité des ouvriers des grands vignobles bordelais, Jacques Breillat (LR) déplore surtout son manque de souplesse. « La grande fragilité sociale de nos habitants – 27 % sont au chômage, dont près de la moitié sans qualification – et l’importante vacance des logements (20 %) nous permettent en théorie d’être éligibles à la politique de la ville, au plan « Action coeur de ville » ou aux dispositifs de redynamisation rurale », expose cet édile girondin. En théorie, car c’est sans compter sur « d’absurdes seuils démographiques fixés depuis Paris par des technocrates. Si l’État se souciait encore de l’aménagement du territoire, des moyens spécifiques auraient déjà été débloqués pour une opération de résorption de l’habitat dégradé, combinée à la revitalisation commerciale dans un tel pôle d’équilibre territorial. Il ne s’agit pas de financer un terrain de pétanque » !
Effet cumulatif des difficultés
Sentiment partagé à Decazeville (6 000 hab.), commune désindustrialisée de l’Aveyron en proie au vieillissement de sa population, qui voit dorénavant fuir ses jeunes les plus qualifiés vers la région de Toulouse. « Je n’ai pas l’habitude de me plaindre de la métropolisation ni du retrait de l’État pour expliquer nos maux. Il faut tout de même bien avouer que les fermetures récentes de la maternité et même du centre de formation professionnelle, qui s’ajoutent à d’importantes difficultés d’accès à la santé, ne nous aideront pas à concrétiser notre projet de territoire », analyse lucidement son maire, François Marty.
Pourtant, Decazeville n’attend pas les bras croisés un hypothétique rebond qui viendrait de la relocalisation non moins illusoire d’une grande entreprise. Si elle réunit les financements nécessaires, la municipalité envisage de détruire des bâtiments vacants pollués à l’amiante pour créer un cadre de vie agréable, attirer de jeunes couples d’actifs et ainsi répondre aux besoins de main-d’œuvre des PME locales. Un développement endogène pour le moins compromis en l’état actuel des choses…
Réalisme et ambitions modestes
Comme lui, les élus locaux nourrissent des ambitions modestes et sont de moins en moins à croire en l’égalité des territoires parfaite, avec une présence identique d’équipements et de services quelles que soient les régions. Difficile de dire s’il s’agit de responsabilisation ou plus prosaïquement de fatalisme, mais la plupart intègrent les contraintes liées à la rationalisation des dépenses publiques et aux évolutions démographiques. A deux conditions : premièrement, que les pouvoirs publics investissent en parallèle dans la couverture des zones blanches et la réduction de la fracture numérique pour assurer une continuité d’accès aux services. En second lieu, « que l’Etat prenne garde à l’effet cliquet et veille au maintien d’un minimum de services de proximité pour conserver un potentiel de développement. Sinon, il risque de provoquer lui-même la désertification des villes petites et moyennes », ajoute le maire (PCF) de Vierzon (Cher), Nicolas Sansu, qui craint un avenir semblable à celui des campagnes anglaises et allemandes.
Élu d’une ville d’une communauté de communes (Vierzon Sologne Berry) à dominante rurale, cet ancien député connaît bien les différentes configurations de la pauvreté. Il réclame une approche renouvelée de l’aménagement du territoire. « Sans nier les difficultés sociales des habitants des banlieues des métropoles ni les besoins d’investissements dans les infrastructures de transports, pourquoi l’Etat s’évertue-t-il à arroser là où c’est déjà mouillé ? », s’interroge Nicolas Sansu. Concentrant la majorité des investissements – privés comme publics –, les grandes aires urbaines affichent en effet un dynamisme démographique, un taux de croissance et un nombre de création d’emplois à faire pâlir nombre de leurs voisins...
Discrimination positive pour tous
Ni le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), ni ceux de rénovation urbaine (PRU) ou le dispositif centres-villes de demain n’ont permis à Vierzon de « juguler la paupérisation qui s’accentue dans le centre-ville et la dévitalisation commerciale, dit-il, amer. Il manque des moyens publics dans les zones qui se dévitalisent. Il y a besoin d’une inégalité de traitement public pour remettre de l’égalité territoriale. Il nous faut une intervention différenciée selon les territoires et leurs problématiques résidentielles ou commerciales », clame le maire. « Pour peu que l’Etat ne prenne pas les moyens des uns pour les redistribuer aux autres, il pourrait s’inspirer de ce qui a marché dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville pour rétablir l’égalité républicaine et redynamiser les petites et moyennes villes », reconnaît Marc Vuillemot, maire de La-Seyne-sur-Mer.
Et Michel Fournier de conclure au nom de l’AMRF : « Les villes moyennes ou le monde rural ne reprochent rien aux banlieues, à l’outre-mer ou aux métropoles, mais pourquoi l’État n’arrive-t-il pas à porter une attention particulière aux difficultés du monde rural ? Pourquoi l’État augmente-t-il de façon unilatérale les prix du carburant sans tenir compte des énormes besoins de mobilité de nos habitants déjà fragilisés ? A force de vouloir gouverner nos territoires à notre place, sans prendre en compte nos difficultés, la haute technocratie parisienne participe à la montée des votes extrémistes. »
Vers une refondation de la politique de la ville ?
Après les promesses, le temps des actes ? Le chef de l’Etat doit dévoiler le 22 mai les détails de son plan en faveur des quartiers prioritaires, six mois après son discours de Tourcoing. Depuis sa visite dans le Nord, élus locaux, préfets, le Commissariat général à l’égalité des territoires ainsi que l’ex-ministre Jean-Louis Borloo planchent sur diverses recommandations, tout en prenant un soin particulier à ne pas opposer les territoires les uns aux autres, à ne pas monter les uns contre les autres. A l'occasion de la remise de son rapport le 26 avril, l'ancien député-maire de Valenciennes a souligné à plusieurs reprises les similitudes existantes entre les quartiers populaires, les villes moyennes en déprise comme les zones hyper-rurales, qui répondent d'après lui aux mêmes règles d'abandon.
En attendant, Emmanuel Macron leur a fixé une priorité, alors tous s’activent pour sortir la politique de la ville de l’inertie. Ils doivent trouver les milliards manquants au financement de la rénovation urbaine et réduire les écarts en termes de chômage. Autre chantier élyséen : orienter durablement les moyens de droit commun vers les quartiers prioritaires, afin de tenir compte de leur dynamisme démographique. Des territoires non-prioritaires étaient mieux dotés que certains quartiers, dernièrement, suite au retrait de plusieurs ministères et collectivités prenant prétexte de l’existence de crédits spécifiques... Redoutant que le président de la République leur ait jeté de la poudre aux yeux, les élus urbains jugeront sur pièces.