« Avec la décision Marratier, l’Etat risque de se défausser encore plus sur les élus »

Denis Solignac
« Avec la décision Marratier, l’Etat risque de se défausser encore plus sur les élus »

Didier Seban, avocat

© Seban&Associés

Didier Seban, avocat du maire de La Faute-sur-Mer, René Marratier, revient sur la condamnation de son client le 12 décembre par le tribunal correctionnel des Sables-d’olonne. Suite à la tempête Xyntha qui fit 29 morts dans sa commune le 28 février 2010, certaines décisions prises par l'élu en matière d'urbanisme avaient été mises en cause, conduisant à cette sanction pénale.

Courrierdesmaires.fr. Quatre ans de prison ferme, le jugement a été très sévère pour le maire de La Faute-sur-Mer. Instruisait-il lui-même les permis de construire ?

Didier Seban. Non, la commune de La Faute-sur-Mer avait confié, par convention, l’instruction des permis de construire à l’ancienne DDE. Elle n’a jamais instruit elle-même ses permis. La commune recevait les dossiers et les transmettait aux services de la préfecture qui les instruisait. Et le maire signait les arrêtés préparés par ces services en se conformant à leur avis.

Aujourd’hui, on lui reproche d’avoir signé des permis de construire manifestement illégaux. C’est comme si on allait chez un médecin qui dit que tout va bien et qu’ensuite on reproche au patient de ne pas avoir su qu’il avait la tuberculose ! Une trentaine de personnes travaillaient sur les instructions de permis, mais personne de l’Etat n’a jamais eu à répondre de ces fautes.

Qu’en était-il des documents d’urbanisme ?

D. S. La ville avait un vieux POS, qui rendait la zone constructible, et auquel il n’a pas été touché durant toutes ces années. Les limitations de construction étaient censées être apportées par le plan de prévention du risque inondation (PPRI), dont je rappelle qu’il est la prérogative de l’Etat. Celui-ci a été lancé en 2001 et appliqué par anticipation en 2007.

La cartographie désignait la zone endeuillée comme constructible mais comportait une erreur matérielle : aucune cote minimale de construction n’y figurait. Les services de l’Etat, au lieu de prendre un arrêté modificatif du PPRI, imposeront une disposition rendant obligatoire de construire au-dessus d’une cote d’un PPRI en projet que personne ne connaissait.

Le maire, René Marratier, se voit reprocher de ne pas relever ce que personne n’avait vu, pas même les services spécialisés de la préfecture !”

De plus, la DDE qui instruisait les permis, venait également sur le terrain pour vérifier la conformité des constructions. Elle n’a jamais relevé la moindre difficulté à cette occasion. Et le maire, René Marratier, se voit reprocher de ne pas relever ce que personne n’avait vu, pas même les services spécialisés de la préfecture ! Le PPRI a été finalement adopté définitivement après Xynthia, en 2011.

Pourquoi un tel délai ?

D. S. L’adoption a beaucoup traîné essentiellement du fait de l’Etat, dont les services se restructuraient du fait de la RGPP.

Cependant, à défaut de PPRI, la commune ne pouvait-elle pas mettre en place un plan de secours ?

Il a été reproché a M. Marratier de ne pas avoir réalisé de plan de secours – devenu plan communal de sauvegarde – alors même que cela n’était pas obligatoire en l’absence de PPRI approuvé mis en application par l’Etat. D'ailleurs, même dans des communes où c'était obligatoire, il n'y en avait pas – aucun dans tout le sud Vendée.

Le même reproche lui est fait en matière de document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM) alors qu'aucune commune de Vendée n'en était dotée à la date de Xynthia.

La mission d'information du Sénat sur Xynthia avait souligné le retard pris sur la mise en place de ces outils sur tout le territoire. Condamner M. Marratier en lui imputant des retards généralisés – et touchant des communes beaucoup plus importantes – c'est profondément injuste.

N’y a-t-il pas eu un problème d’information de la population ?

D. S. Si, au regard de ce qui s’est passé, il y a eu clairement un manque d’information. Mais on n’écoute pas les prophètes de malheur. En fait, M. Marratier avait un raisonnement simple : la digue avait une hauteur de 4 mètres. Or le BRGM estimait le risque de submersion centennale à 3,90 m. Cette nuit-là, l’eau est montée à 4,50 mètres. Aucun expert ne prévoyait cette éventualité.

La commune voulait rehausser la digue avec des matériaux prélevés dans le lit de la rivière le Lay. L’Etat, au nom de la préservation de l’environnement, s’y est opposé.”

La digue a été submergée. L’Etat s’en était-il préoccupé ?

D. S. Il en assurait la maîtrise d’œuvre pour l’entretien. Il a arrêté après Xynthia, d’ailleurs en envoyant la facture à la commune. La crainte, concernant la digue, était plus une rupture qu’une submersion.

De plus, au moment de Xynthia, des travaux de rehaussement étaient en cours, à l’initiative de la commune. A deux mois près, il ne se passait rien…

C’est encore un problème de droit de l’urbanisme. La commune voulait rehausser la digue avec des matériaux prélevés dans le lit de la rivière le Lay. L’Etat, au nom de la préservation de l’environnement, s’y est opposé.

Il voulait le faire en expropriant pour prendre les matériaux de l’autre côté de la digue. La municipalité n’y était pas favorable, anticipant des recours qui allaient ralentir le processus. Ces désaccords ont fait prendre du retard au projet.

Quelles sont les conséquences du jugement ?

D. S. Il crée un risque énorme pour les collectivités locales. Il donne l’impression que M. Marratier est un meurtrier alors qu’il lui est reproché un homicide involontaire.

Une des premières conséquences est, puisque l’Etat s’en est retiré, que les communes doivent transférer l’instruction et la délivrance des permis aux intercommunalités. Il faut éloigner les élus des pressions des administrés et disposer d’instructeurs professionnels.

Mais aujourd’hui, la compétence gestion des milieux aquatiques et préventions des inondations (Gemapi), attribuée aux intercommunalités par la loi du 27 janvier 2014, inquiète beaucoup les élus.

L’Etat risque de se défausser encore plus sur les élus, notamment de la responsabilité sur les digues. Au lieu de créer un établissement public national pour la gestion des digues, il en rend les intercommunalités responsables. Les élus ont très peur, surtout depuis la décision Marratier.

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