Ignorée par la loi, l’astreinte des élus est néanmoins une réalité pour nombre d’entre eux. Les maires et leurs adjoints sont régulièrement « sur le pont » pour mobiliser, rassurer et agir. Petits aléas ou grands tracas, ils interviennent au titre du service public et de leurs pouvoirs de police.
« Quand j’ai accepté d’associer mon nom à la liste, j’avais pensé à toutes les conséquences, sauf à celle-là ! », avoue Lydie Philippe, première adjointe à Lamballe (12 000 hab., Côtes-d’Armor).
Rarement abordée, la question de l’astreinte est pourtant un des moments clés de l’engagement local. En effet, si aucun texte n’impose une telle veille pour les élus, le dispositif s’avère indispensable dans chaque commune où, du chien écrasé - et ce n’est pas une image - à l’accident majeur, les élus d’astreinte font face à toutes les situations…
Force est de constater qu’élus des villes et élus des champs ne sont pas égaux devant la charge. Pas question en effet, d’imposer une astreinte à un personnel en effectif réduit, ni même à des adjoints à l’indemnité dérisoire. Dans les communes modestes, c’est donc au maire lui-même qu’il revient de « s’y coller », seul face à ces multiples soucis, trop insignifiants pour nécessiter de se tourner vers l’administration supérieure mais trop pressants pour attendre l’ouverture des services.
L’élu rural « multifonctions »
« Panne de chauffage, alarme bloquée, conflit de voisinage… Nous devons être multifonctions, rapides et efficaces, en quelque sorte le couteau suisse de la commune. Non bricoleurs s’abstenir ! », résume joliment le maire de Moncrabeau (810 hab., Lot-et-Garonne), Nicolas Choisnel. Amateurs de nuits calmes et de week-ends farniente aussi : « Poney échappé ou décès à annoncer, c’est une disponibilité de tout instant, d’autant que tout le monde dispose de mon numéro, depuis les services d’urgence (pompiers, gendarmerie, DDT, gaz, électricité…) jusqu’aux habitants », rapporte Joël Debuigne, maire de Huisseau-sur-Cosson (2 200 hab., Loir-et-Cher).
L’activité s’affiche moins chronophage en milieu urbain, où les élus bénéficient de l’appui des services. Dans le cadre d’une organisation bien huilée, ordinairement calée par roulement hebdomadaire - soirées, nuits et week-end compris -, l’élu n’intervient qu’en second plan, lorsque les services internes ou - selon la procédure validée - ceux de secours, jugent son information, voire sa présence, indispensables. C’est le cas lors d’une hospitalisation d’office, d’un décès à domicile, de risques majeurs.
Ainsi, à Villetaneuse (12 900 hab., Seine-Saint-Denis), le premier adjoint Jean-Michel Milliez n’est « sur le pont » que toutes les neuf semaines pour sept jours pleins, lesquels incluent « tous les événements diurnes requérant la présence d’un représentant du maire : AG associatives, épreuves sportives, animations culturelles et mariages ».
Des délégations plus contraignantes
Pour autant, même en ville, certaines délégations s’avèrent plus sollicitées que d’autres. Ainsi, à Hazebrouck (21 700 hab., Nord), le mobile de Serge Roussez, adjoint à la voirie, aux bâtiments et à la sécurité, est ouvert 24 heures sur 24. « A tout moment, l’astreinte technique peut me contacter pour évaluer une situation et, le cas échéant, décider d’une évacuation en cas de montée des eaux ou de l’ouverture d’un forage en cas d’incendie », explique-t-il.
A Béziers (Hérault), Geneviève Carrière est également fortement sollicitée, délégation à l’action sociale oblige… Au point d’avoir inscrit dans le marbre un système d’urgence sociale avec les quatre conseillers municipaux de son secteur, en lien avec le 115 et le service prévention-médiation de la ville, ouvert 7 jours sur 7 jusqu’à 23 heures. « Enfant en danger, femme battue à reloger, grands froids… Quel que soit l’événement, il faut être immédiatement réactif », confie-t-elle.
D’où la nécessité d’avoir prévu l’imprévisible ! En effet, être débrouillard ne suffit pas toujours. L’expérience non plus. « Certaines situations laissent désemparé alors que l’élu est justement là pour prendre la décision la plus pertinente et coordonner de la manière la plus efficace, sans se laisser envahir par l’émotion », précise Jean-Michel Milliez.
Premier impératif : connaître sa commune sous tous les angles, de l’emplacement des compteurs à celui des coudes de canalisations ! Bernard Pozzoli, maire de Prémilhat (2 400 hab., Allier) veille à « faire faire un tour de repérage des bâtiments communaux » à ses adjoints en début de mandat. A Survilliers (3 800 hab., Val-d’Oise), un classeur recense tous ces éléments, ainsi que les numéros de contrats et la liste des contacts utiles.
Mallette pour gérer la crise
Le second impératif est en effet de savoir qui avertir, bien avant la mise en œuvre du plan communal de sauvegarde, activé uniquement dans les cas extrêmes (lire ci-contre). La liste des numéros des mobiles d’astreinte est un précieux allié. Mais, pour ne rien laisser au hasard, plusieurs communes, comme Mâcon (36 000 hab., Saône-et-Loire), ont adopté la mallette d’astreinte (lire témoignage ci-dessus), « premier échelon dans la gestion de crise », comme la qualifie le chargé de la sécurité civile de la ville de Saône-et-Loire, Frédéric Roche.
A Saint-Egrève (16 000 hab., Isère), où un tel outil existe aussi, une formation est même dispensée aux élus en début de mandat afin d’en expliquer le contenu, identifier les circonstances d’intervention et distiller quelques conseils sur le mode « faites/ne faites pas », précise la maire de la commune, Catherine Kamowski. Bien sûr, en cas d’incertitude, il est toujours possible d’appeler un collègue ou la sous-préfecture. Mais « l’élu est moins un expert qu’un pondérateur chargé de synthétiser l’information et de la diffuser », rappelle le maire d’Annecy (50 300 hab., Haute-Savoie), Jean-Luc Rigaut, qui voit ainsi, dans l’astreinte, « une des plus fortes expressions de la responsabilité ininterrompue du maire en matière de protection de ses concitoyens ».
Le PCS, aide à l’astreinte. La loi (article L.731-3 du Code de la sécurité intérieure) rend la réalisation d’un plan communal de sauvegarde (PCS) obligatoire dans les communes exposées à un risque majeur, naturel, sanitaire ou industriel. Mis en œuvre sous la responsabilité du maire, son contenu détermine les mesures immédiates de sauvegarde des personnes, fixe l’organisation nécessaire à la diffusion de l’alerte, recense les moyens locaux et nationaux disponibles et en coordonne l’action.
Que représente l’astreinte dans votre mission d’élu ?
« Cela relève quasiment du sacerdoce »
« Dans les villages qui ne disposent d’aucun agent pour assurer ces périodes de veille, l’astreinte relève quasiment du sacerdoce et peut phagocyter toute la vie privée. Aucun élu ne se plaindra d’être appelé pour une urgence réelle, mais il arrive fréquemment d’être réveillé pour un problème secondaire. Ces intrusions intempestives ont mené mon prédécesseur à démissionner, las de devoir, à minuit passé, régler des problèmes de voisinage ou de chien fugueur ! L’élu doit également savoir faire preuve d’esprit pratique, être capable en quelques minutes de résoudre un petit problème de chauffage pour sauver une fête familiale dans une salle municipale sans passer par les services compétents ! C’est une vraie disponibilité, physique et morale, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. »
Nicolas Choisnel, maire de Moncrabeau (810 hab., Lot-et-Garonne)
« Les moments les plus humains de mon mandat »
« Décidée chaque mois en bureau municipal en fonction des disponibilités de chacun, l’astreinte occupe sept jours par mois, aux heures où la police municipale n’est plus joignable. Si les week-ends sont plus calmes depuis le décret autorisant la pose des bracelets d’identification par des tiers (les opérateurs funéraires ou personnels des établissements de santé), il y a des situations devant lesquelles je me sens émotionnellement atteinte, voire dépassée : hospitalisation d’office, victimes de la route dont il faut reconnaître l’identité ou annoncer la disparition, enfant en danger… Alors que policiers ou pompiers peuvent ensuite évacuer entre eux, l’élu reste seul, sans pouvoir partager ce vécu douloureux. Mais ces moments si forts donnent aussi du sens à mon mandat, et affirment pleinement ma qualité d’élue, dans toute sa dimension humaine. »
Lydie Philippe, première adjointe à Lamballe (12 000 hab., Côtes-d’Armor)
« Etre des plus efficace dans ces circonstances »
« Malgré son organisation en trinôme - agent/cadre/élu - l’astreinte réservait des surprises avant 2008. Depuis, la ville équipe cadres et élus d’astreinte d’une mallette d’urgence, véritable mairie de campagne. Outre les téléphones mobiles et gilets fluo, elle contient deux classeurs inventoriant les situations selon leur degré de gravité, chaque scénario étant assorti d’une grille d’aide à la décision : actions à mener, personnes à contacter et informations à connaître. S’y ajoutent, en cas de besoin, la constitution d’une cellule de crise au sein d’une salle d’urgence aménagée et, bien sûr, le plan communal de sauvegarde pour tout événement majeur. Gagner du temps est décisif en situation de crise et il est de la responsabilité de l’élu d’être des plus efficace dans ces circonstances. »
Jean-Patrick Courtois, sénateur-maire de Mâcon (36 000 hab., Saône-et-Loire)