« Arrêtons de considérer les maires comme des héros solitaires ! »

Hugo Soutra
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patricia - 26/02/2020 10h:44

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« Arrêtons de considérer les maires comme des héros solitaires ! »

Municipales 2014 : le passage d'écharpe

© Flickr-CC-Henrion

Consultants-chercheurs en stratégies territoriales, Manon Loisel et Nicolas Rio estiment que la France a plus que jamais besoin d'élus locaux, à fortiori communaux. Mais leurs rôles n'est pas immuable pour autant. Les maires n'auront d'autres choix que de changer de postures et faire évoluer en profondeur leurs pratiques pour espérer retrouver des moyens d'action lors du prochain mandat.

Assumer un mandat d’élu local est-il mission impossible ? Pas encore, non... Mais peut-être bientôt... Un an après la crise des gilets jaunes et à moins d'un mois des élections municipales 2020, les candidats feraient bien de s’interroger au préalable sur le partage des rôles qu’ils envisagent lors du prochain mandat avec leurs colistiers, les fonctionnaires, les partenaires institutionnels de leurs territoires, leurs habitants, etc. L'importance du politique à l'échelle locale demeure indispensable, mais la nécessité de coopérations s'est affirmée entre temps. Les maires devront transformer leurs modes de pensée et pratiques du quotidien, au niveau communal et intercommunal. Sous peine de déchanter rapidement, avertissent Manon Loisel et Nicolas Rio dans une note diffusée par la fondation Jean-Jaurès.

Les maires demeurent les élus préférés des Français, qui restent attachés à leurs communes. Depuis la crise des Gilets Jaunes, le gouvernement salue de nouveau le rôle stratégique joué par les premiers édiles. Alors, tout va bien dans le meilleur des mondes pour les élus locaux ?

Manon Loisel : Quand bien même la « crise des vocations » ne soit pas aussi forte qu’annoncée, un malaise persiste. Et pour cause, les maires sont confrontés à un tas d’injonctions contradictoires : répondre aux petits tracas du quotidien tout en portant une vision de long-terme, être en proximité et faire preuve d’empathie tout en devenant expert des politiques les plus techniques, etc. L’Etat lui-même ne se montre pas très clair : après les avoir superbement ignoré depuis 2017, Emmanuel Macron a salué des héros de la République lors du dernier Congrès des maires. Or, il n’y a rien de pire qu’être présenté comme un super-héros lorsque vous n’avez pas de super-pouvoirs.

La pression exercée sur leurs épaules serait-elle trop forte ?

Nicolas Rio : Le périmètre communal sur lequel repose les pouvoirs des maires est largement dépassé. De plus en plus d’habitants travaillent et consomment dans des communes voisines que celles où ils dorment. En outre, quels leviers les maires peuvent-ils encore activer pour répondre aux problématiques de leurs citoyens ? La plupart de leurs décisions doivent dorénavant passer par le filtre de l’administration, de la concertation avec la population, de l’intercommunalité, des services de l’Etat et de la délégation aux acteurs privés ou associatifs. Il ne faut pas être surpris que certains éprouvent un sentiment d’impuissance…

L’incapacité des maires à répondre seuls aux « préoccupations du quotidien » s’explique-t-il par le manque de coopération intercommunale ?

Nicolas Rio : Oui, et ce n’est pas seulement un problème de moyens ou de compétences intercommunales. A nos yeux, cela interroge aussi les pratiques et la posture des élus. La technostructure saucisonne les enjeux dans des silos administratifs. Prenez la question de la dépendance à la voiture, au cœur de la crise des Gilets Jaunes : elle révèle la difficulté des services en charge des politiques environnementales ou des mobilités, à prendre en compte la dimension sociale de la transition écologique… car elle dépasse leur champ d’intervention sectoriel.

Manon Loisel : En portant une vision transversale au plus proche de l’expérience vécue des citoyens-usagers, les élus communaux pourraient interpeller les fonctionnaires et les forcer à tenir compte ces éléments. Sauf que très peu jouent le jeu, la majorité reste focalisée sur l’échelle communale. La campagne électorale le montre : l’intercommunalité reste penséee comme une recomposition administrative, à dénoncer, ou un simple guichet à subventions, et non pas comme un objet politique, à activer. Mais quel sens y-a-t-il encore à ne s’investir dans l’intercommunalité que pour défendre sa collectivité plutôt que les intérêts des habitants qui vivent sur son territoire ?

L’ensemble des candidats mènent encore des campagnes municipalo-centrées en 2020, y compris dans les métropoles. Croyez-vous que ces égoïsmes cesseront  ?

Manon Loisel : Ce qui est sûr, c’est que la crise des Gilets Jaunes ouvre une fenêtre pour rénover les pratiques politiques locales. Et que rien ne sert d’attendre un quelconque Grand Soir institutionnel ! L’élection au suffrage universel direct des intercommunalités est souhaitable pour la démocratie locale. Mais ce n’est ni un préalable indispensable, ni une condition suffisante pour inaugurer de nouvelles manières de faire ! Essayons d’abord d’agir à cadre juridique constant, en donnant plus de place aux espaces de débat entre élus pour que les conseils municipaux et communautaires ne soient plus de simples chambres d’enregistrement de délibérations techniques. En parallèle, il serait souhaitable de travailler à une meilleure articulation entre les élus, de la majorité comme de l’opposition, et les services.

Soit, mais le début de campagne, les débats publics locaux ayant trait aux « municipales 2020 » vous rendent-ils confiants ?

Manon Loisel : Pas forcément, non. Le format des élections incite à la surenchère de propositions « innovantes » et d’objectifs chiffrés, qu’il s’agisse de construction de logements ou de plantation d’arbres, pour permettre à chaque équipe de se différencier. Ce réflexe contraste avec le besoin d’élus locaux exprimés par les citoyens. « On n’attend pas de notre futur maire qu’ils sortent des nouveaux projets de leur chapeau, mais qu’ils accompagnent les initiatives à l’œuvre sur le territoire ». Voilà ce qu’on a entendu dans les ateliers que nous avons organisés à Brest, Paris ou Nevers.

Nicolas Rio : En s’enfermant dans la posture du « super-chef de projet » ou plutôt « chef-de-chantier », les futurs élus risquent de renforcer les concurrences entre territoires, comme les rivalités entre échelons. Or les citoyens sont de plus en plus mobiles. Ils auraient plutôt besoin de démarches collectives, coopératives, pour accéder plus facilement à tel service ou tel équipement sur leurs bassins de vie. En positionnant la commune comme un prestataire de services de proximité, cette logique d’action publique locale risque aussi d’accentuer la posture consummériste des « usagers », que les élus ont justement tendance à dénoncer…

Mais que voulez-vous dire : les candidats ne devraient-ils plus mener campagne ?

Nicolas Rio : Bien sûr que si ! Loin de nous l’idée de prêcher pour une dépolitisation de l’action publique locale, avec la sacralisation d’« élus-gestionnaires » jouant les « bons pères de famille. » La question est plutôt de savoir à quoi ressemble un élu visionnaire en 2020. Par rapport aux années 1990, le contexte et les besoins ont changé. On n’attend plus de nos élus qu’ils multiplient les « grands projets » couteux, mais plutôt qu’ils fluidient notre quotidien et qu’ils soulignent les liens qui nous unissent sur un territoire.

Construire un projet, ce n’est pas uniquement multiplier les propositions. C’est aussi répondre à la question : « de quels élus locaux avons-nous besoin, ici et maintenant ? ». Dans chaque commune, les réponses sont multiples. Elles sont fondamentalement politiques, car elles déterminent un mode de gouvernance et des priorités d’actions.

Quel intérêt les têtes-de-liste auraient-ils à questionner la « fiche de poste » de maire mais aussi celles de leurs colistiers ou de délégués communautaires, à la veille des municipales ?

Nicolas Rio : C’est effectivement une prise de risque, qui peut conduire à réinterroger leur pouvoir. Peut-être d’ailleurs que cette question devrait venir de la société civile. Mais pour les futurs élus, c’est aussi un moyen d’éviter le burn-out. Construire la fiche de poste avec les citoyens, c’est définir ensemble le bon niveau d’ambition… et faire passer le message qu’on ne peut pas tout attendre de ses élus locaux !

Nous avons bien conscience que la priorité des candidats, aujourd’hui, consiste à boucler la composition de leurs listes et aller chercher les voix qui leur manquent pour gagner les élections. Mais, à six semaines du scrutin, ils peuvent aussi organiser un séminaire avec leurs équipes et peut-être futures majorités, pour débattre sereinement du partage des rôles tout au long du mandat, de l’évolution des modes de dialogue avec les citoyens ou les associations, des méthodes pour engager le contact avec l’administration ? Il sera peut-être déjà trop tard, le 22 mars, pour mener ce travail quasi-introspectif.

Concrètement, comment devraient-ils s’y prendre pour définir les attendus de leurs fonctions ?

Manon Loisel : La fiche de poste des élus n’est pas seulement à discuter entre élus, au sein du conseil municipal ou du bureau de l’AMF. Elle nous concerne tous : politiques, citoyens, fonctionnaires... Cela tombe bien : la loi Engagement et Proximité oblige les prochains présidents d’intercommunalités à élaborer des « pactes de gouvernance. » On peut le voir comme une démarche diplomatique, destinée à stabiliser les rapports de force entre les nouveaux élus. Mais on peut aussi s’en saisir pour renouveler la démocratie locale et l’action publique de proximité, en ouvrant le débat sur le bon partage des rôles. Comment organiser la coopération entre élus et services ? Quelles sont les contributions des élus communaux à l’action communautaire ? Comment associer les forces vives des territoires à la mise en œuvre de l’intérêt général, et pas uniquement à sa définition ? Autant de défis qu’il va falloir relever face à la transition écologique et sociale.

Et cela changerait du tout au tout le quotidien des élus locaux, estimez-vous ?

 Nicolas Rio : En partie, car le « sentiment d’impuissance » des élus est aussi affaire de représentations. Ce ressenti ne découle pas tant de l’« intercommunalisation » des modes de vies, que de la difficulté à actualiser la fonction d’élu local dans ce contexte nouveau. C’est dans la coopération interterritoriale que les maires retrouveront de la capacité d’action. Cela suppose de sortir du face-à-face institutionnel des communes avec l’intercommunalité et/ou l’Etat, comme du face-à-face stérile entre élus et citoyens-consommateurs de services publics. L’intérêt général se construit, et sa partage, à plusieurs. Pour penser l’action collective, arrêtons de considérer les élus comme des héros solitaires !

Mais alors à quoi ressemblera, selon vous, la fonction de maire, demain ?

Nicolas Rio : Dans la note que nous avons écrite pour la fondation Jean Jaurès, nous pointons trois évolutions majeures : la hausse des mobilités qui élargit notre quotidien bien au-delà des frontières communales ; la crise des corps intermédiaires qui modifient les interlocuteurs des élus ; et la montée en puissance de l’intercommunalité dans une logique de mutualisation. Ces trois tendances renforcent l’importance du politique à l’échelle locale. Mais elles en modifient la fonction.

Face à des administrations qui construisent leur légitimité sur leur capacité à objectiver la situation, les maires ont un rôle décisif pour faire entendre nos besoins plus subjectifs. Au plus près des citoyens, ils sont les mieux placés pour saisir leurs difficultés et aider les administrations à y répondre. La crise des Gilets Jaunes illustre la limite des mesures rationnelles qui ne prennent pas en compte le vécu des personnes. Dans un monde d’incertitudes, les élus sont aussi indispensables pour donner à voir les changements qui affectent nos territoires et énoncer ce qui nous unit localement. De plus en plus d’individus et d’associations agissent face au défi climatique. Mais, plus que des élus récitant des programmes très formatés et des promesses sonnant creuses, ils ont besoin de politiques qui inscrivent ces actions fragmentées dans un récit commun.

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