Ville&Banlieue, Gilles Leproust, secrétaire général et Marc Vuillemot, président (de gauche à droite)
© Ville & Banlieue
Sollicités pour plancher sur la prévention des dérives sectaires dans les quartiers prioritaires, les maires de Ville & Banlieue revendiquent de ne rien avoir inventé avec leurs propositions. Selon eux, les solutions sont connues et répétées depuis des années. Il faut redonner à la République les moyens d'agir, via des services publics locaux, pour regagner la confiance des quartiers populaires, a martelé l’association d’élus le 14 janvier.
L'Association des maires de Ville & Banlieue, représentée par son président Marc Vuillemot, son secrétaire général Gilles Leproust et Philippe Rio, membre du bureau, a été reçue par le ministre de la Ville, Patrick Kanner, le 14 janvier 2016. Les trois élus étaient venus lui présenter officiellement le résultat des réflexions menées par leur association sur la prévention des dérives sectaires et fondamentalistes dans les quartiers prioritaires, à la demande du ministère, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015.
"Patrick Kanner va croiser nos propositions avec les réflexions du ministère", a rapporté Marc Vuillemot, maire de la Seyne-sur-Mer, à l'issue de la rencontre, à l'occasion d'une conférence de presse. "Il veut avancer vers une convention qui lierait Ville & Banlieue, son ministère et le ministère de l'Intérieur, a-t-il précisé, et qui se présenterait comme un guide, en cadre opérationnel pour agir sur le terrain. De notre point de vue, cela permettra au moins de “cosuivre” l'évolution de la mise en œuvre des mesures qui seront décidées."
Ramener les services publics dans les quartiers prioritaires
Les quelque 70 propositions de l'association n'ont "rien d'original", assume le maire Marc Vuillemot. Pour partie, elles figuraient déjà parmi les 120 propositions de l'association, formulées à l'attention des candidats à l'élection présidentielle de 2012. Elles sont organisées en 3 thèmes, toutes dans le sens d'un renforcement de l'égalité :
- éducation scolaire et populaire, parentalité et santé mentale,
- formation, insertion sociale et professionnelle et accès à l'emploi
- prévention, sécurité, justice et formation des acteurs publics.
Car, pour les élus de l'association, le meilleur moyen de prévenir les risques de radicalisation dans les quartiers prioritaires, phénomène qui concerne avant tout les jeunes adultes, c'est de rétablir la République, d'assurer sa présence concrète dans les zones prioritaires, au travers du renforcement – voire du retour – des services publics et du soutien au tissu associatif, qui, s'inquiètent les trois élus, "depuis 5 ou 6 ans, se meurt dans nos quartiers".
Renforcer les moyens de la justice des mineurs
"Il y a plus de chômage dans nos quartiers que la moyenne. Les discriminations y sont plus fortes. Il y a beaucoup plus de décrochages scolaires. Le nombre de licenciés des clubs sportifs est 3 fois inférieur au reste du territoire, a insisté Gilles Leproust, maire d'Allonnes (Maine-et-Loire). J'arrête là la liste, mais l'échec que produisent ces inégalités, dans un monde en profonde mutation, vient placer dans les bras d'apprentis sorciers ceux qui sont les plus déstabilisés dans leur vie."
On est en butte au dogme de la baisse du déficit public, alors qu'en réalité on a plus de besoins qu'il y a 25 ans."
Gilles Leproust
Philippe Rio, maire de Grigny, commune voisine du centre pénitencier de Fleury-Mérogis, a insisté à son tour sur l'affaiblissement des institutions de la Justice. "Le manque de moyens de la justice des mineurs, par exemple, fait qu'un gamin qui commet une erreur ne sera sanctionné qu'au bout de 6 mois à un an", constate-t-il.
"Une fois condamné, il n'y a pas d'accompagnement, poursuit-il, car les services d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ont été réduits de manière drastique. C'est déstructurant. Cela crée un sentiment d'impunité, car qu'est-ce qu'être hors-la-loi, quand la loi ne s'applique pas ?". Et d'évoquer la "machine à récidives" que constituent les prisons, où les conditions de vie délétères et l'affaiblissement des services de suivi des peines font que "les détenus sortent de là encore plus dingos".
Scepticisme sur l’Agence France entrepreneur
Tous ces constats sont connus, ont rappelé les représentants de Ville & Banlieue. Autour du ministère de la Politique de la ville, à l'époque de François Lamy, des conventions avaient déjà été signées avec 12 ministères pour les engager à renforcer les politiques de droit commun dans les quartiers sensibles. Mais le résultat est loin d'être satisfaisant, faute de volonté politique et surtout de moyens débloqués. "On est en butte au dogme de la baisse du déficit public, regrette Gilles Leproust, alors qu'en réalité on a plus de besoins qu'il y a 25 ans."
On annonce des trucs 'baguette magique' qui font de notre République une addition de mesures-symboles"
Philippe Rio
"On annonce des trucs 'baguette magique' qui font de notre République une addition de mesures-symboles", constate Philippe Rio, en évoquant France entrepreneur, la future agence nationale pour le développement économique des territoires, destinée à favoriser la création d'entreprises dans les quartiers dits "fragiles", souhaitée par le président au lendemain des attentats de janvier 2015 et dont le rapport de préfiguration a été dévoilé cette semaine.
Besoin d’un cadre de travail stable
"On va créer une agence qui doit révolutionner la création d'entreprise, mais ce n'est pas de cela dont nous avons besoin, s'insurge Philippe Rio. Il faut, en revanche, revoir la conduite des politiques publiques, qui, depuis quelques années, changent perpétuellement, à chaque succession ministérielle ou scrutin local."
Les élus de Ville & Banlieue n'attendent pas que le gouvernement produise de nouvelles mesures. Ils réclament, en revanche :
- un cadre de travail stable,
- une réponse homogène de l'Etat qui ne varie pas en fonction de ses représentants locaux
- et, surtout, des moyens à hauteur des engagements ministériels souvent déjà pris mais non tenus.
[caption id="attachment_58512" align="aligncenter" width="520"] Ville&Banlieue, représentée par Philippe Rio, membre du bureau, Marc Vuillemot, président, et Gilles Leproust, secrétaire général (de gauche à droite), après la remise des propositions de l'association d'élus au ministre de la Ville, Patrick Kanner, le 14 janvier 2016. Pour prévenir l'embrigadement de jeunes par Daech et autres fanatismes, les élus ne souhaitent pas de nouvelles mesures de l'Etat, mais une politique de la ville qui tiennent enfin compte des solutions qu'ils préconisent depuis des années.[/caption]