Anne-Marie Escoffier : "Nous concevons une architecture fiscale adaptée aux réalités locales"

Aurélien Hélias

Le gouvernement confirme le gel des dotations aux collectivités en 2013, puis une baisse en 2014 et 2015. Pour accompagner les nouveaux transferts, il étudie plusieurs scénarios renforçant leur autonomie financière. La prise en compte des revenus dans le calcul de la taxe d’habitation est à l’étude. Entretien avec Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la Décentralisation.

"Toutes les pistes qui permettront de renforcer l’autonomie des régions seront examinées", Anne-Marie Escoffier

Le Courrier : Quel sera le contenu du "pacte de confiance et de responsabilité entre l’Etat et les collectivités" que le chef de l’Etat a appelé de ses vœux, le 5 octobre 2012, devant les Etats généraux du Sénat ?

A.-M. E. Le contexte financier est très complexe, d’où la nécessité pour l’Etat, les citoyens et les collectivités locales de participer au même effort de solidarité dans la résorption des déficits publics. Mais, et c’est déjà un geste fort qui scelle le pacte de confiance entre l’Etat et les collectivités locales, les dotations aux collectivités en 2013 sont stabilisées en valeur. La trajectoire budgétaire prévoit, en revanche, que l’Etat baisse ses concours financiers de 750 millions d’euros en 2014, puis en 2015, sur un total annuel de 50 milliards, comme cela a été annoncé devant le Comité des finances locales (CFL), fin septembre. Un groupe de travail constitué au sein du CFL, sous la présidence d’André Laignel, réfléchit d’ores et déjà à des propositions et aux modalités de mise en œuvre de cette diminution.

En parallèle, un travail important est mené pour doter les collectivités locales d’assiettes fiscales plus appropriées. Ce pacte doit aussi être un pacte de croissance. Autrement dit, il doit soutenir la croissance qui repose en partie sur l’investissement local des collectivités qui, faut-il le rappeler, participent pour plus de 70 % à l’investissement public.

Le nouvel acte de décentralisation s’accompagnera-t-il d’un renforcement de l’autonomie fiscale des collectivités ?

A.-M. E. Les élus appellent de leurs vœux plus d’autonomie fiscale avec, en corollaire, un renforcement de leurs responsabilités. Cette question sera examinée dans le cadre du Haut conseil des territoires qui sera le lieu de réflexion commun à l’Etat et aux collectivités sur l’ensemble des problématiques locales.

  • Toutes les pistes – du partage ou du transfert d’impôts nationaux aux collectivités à la création d’un impôt local – qui permettront de renforcer l’autonomie des régions seront examinées. Les régions se verront confier des compétences renforcées dans le domaine du développement économique, mais aussi de la mise en cohérence des politiques d’accompagnement vers l’emploi.
  • Concernant les départements, confrontés à une inflation des dépenses liées aux allocations de solidarité, un système de compensation pérenne devra être trouvé.
  • Pour le bloc local, communes et intercommunalités, l’effort de péréquation verticale – la DSU et la DSR progresseront en 2013 – et horizontale sera poursuivi.

Comment ferez-vous coïncider les ressources fiscales avec les compétences assumées de manière parfois hétérogène par chaque niveau de collectivités ?

A.-M. E. Il y a effectivement un paradoxe entre des règles fiscales nationales, qui s’appliquent uniformément sur le territoire, et la volonté du gouvernement de favoriser la diversité, voire l’expérimentation, dans l’exercice des compétences. Il faut donc concevoir une architecture fiscale générale qui s’adaptera aux réalités locales, en fonction des modalités d’exercice des compétences arrêtées dans le cadre des conférences territoriales.

La fiscalité rénovée n’est toutefois pas le seul levier d’accompagnement des compétences : plusieurs pistes font l’objet d’approfondissement, en lien avec les associations d’élus, afin de produire les solutions les plus appropriées.

Engagerez-vous la révision des valeurs locatives des logements, si souvent annoncée mais toujours reportée ?

A.-M. E. La modernisation des bases locatives des locaux professionnels est en cours et sera achevée d’ici à 2015. Le gouvernement réfléchit activement aux modalités d’extension de la révision de ces valeurs locatives pour les locaux d’habitation. Une telle réforme ne peut en effet s’engager que dans la durée : il faut anticiper les choses et évaluer l’étalement sur une longue période de la révision des bases pour atténuer dans le temps l’impact de cette réforme sur les contribuables locaux.

Etes-vous favorable à une prise en compte plus importante des revenus dans la fiscalité locale ?

A.-M. E. C’est effectivement une piste de travail pour la taxe d’habitation. A cela, deux avantages :

  • lier la taxe d’habitation à la capacité contributive des habitants
  • et réduire la prise en charge, par l’Etat, des dégrèvements liés au plafonnement de cet impôt par rapport aux revenus.

Beaucoup de communes estiment avoir perdu une part de recette fiscale après la réforme de la taxe professionnelle. Que leur répondez-vous ?

A.-M. E. Cette réforme a été menée trop rapidement. Les collectivités n’ont pu anticiper ses effets sur leur budget. Les communes industrielles notamment. Beaucoup se plaignent d’avoir perdu le lien fiscal avec les entreprises et le dynamisme de cet impôt.

L’objectif est de redonner aux collectivités la motivation pour accueillir des entreprises sur leur territoire.

Parallèlement, pour 2013, les dispositifs de péréquation horizontale à partir de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) entre régions et départements sont modifiés afin de corriger les dysfonctionnements constatés sur ces deux fonds.

Allez-vous amender le dispositif de péréquation horizontale au sein du bloc local, instauré par la loi de finances pour 2012 ?

A.-M. E. En accord avec le Comité des finances locales, le projet de loi de finances pour 2013 intègre dans les critères de calcul du prélèvement du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) le revenu moyen par habitant à hauteur de 20 %. Cette mesure prend notamment en compte les difficultés des communes industrielles et des villes centres qui s’estiment trop prélevées au regard de leur potentiel financier, alors que les revenus de leurs habitants sont faibles. Cet ajustement équilibrera également les contributions et les reversements entre territoires ruraux et urbains.

Comment le gouvernement accompagnera-t-il les collectivités locales confrontées aux emprunts structurés toxiques ?

A.-M. EDexia a commercialisé environ 10 milliards d’emprunts toxiques aux collectivités. Plusieurs d’entre elles ont engagé des contentieux dont on ne connaît pas aujourd’hui l’issue. Si le juge devait annuler les contrats conclus parce que les banques n’auraient pas respecté leurs obligations de conseil et de transparence, les collectivités récupéreraient les intérêts versés à la banque, mais elles devraient rembourser immédiatement le capital qui leur a été prêté, ce qui ne manquerait pas de leur poser un problème de refinancement. Il faut dès lors être vigilant et privilégier la négociation en allant bien au-delà des premiers travaux de médiation pour les emprunts à risques.

FINANCES : DEUX QUESTIONS "D'URGENCE"

L'agence de financement des collectivités territoriales, au point mort

Malgré une nouvelle "supplique" des associations d’élus à l’adresse du gouvernement, la création cette agence  est au point mort. La lettre envoyée au Premier ministre fin septembre restant sans réponse, les associations du bloc local (AMF, AMGVF, Acuf, FVM, APVF et AMRF) ont redit, le 24 octobre 2012, devant la presse leur détermination à faire adopter par le Parlement, au sein du budget 2013, un amendement gouvernemental créant l’agence. Un moyen d’obtenir les "2 à 4 milliards d’euros de besoins de financement" restant cette année sans réponse et l’occasion pour l’Etat d’adresser "un geste fort de confiance" aux collectivités, a plaidé Jacques Pélissard. Seul problème : si la ministre de la Décentralisation est favorable au projet, Bercy y est opposé, craignant que l’Etat soit toujours garant en dernier ressort en cas de défaillance.

Le fonds d'urgence pour les départements : 170 millions d'euros promis

A l’inverse, les départements ont obtenu gain de cause, eux qui demandaient depuis plusieurs mois la reconduction du fonds d’urgence institué sous le précédent gouvernement. Reçue à l’Elysée le 22 octobre, l’Assemblée des départements de France  est repartie avec l’assurance de la création d’un fonds spécifique doté de 170 millions d’euros pour "mieux soutenir le financement des missions de solidarité" en 2013. "Les fonds seront alloués sur la base d’un diagnostic partagé entre les services de l’Etat et ceux des départements", est-il précisé dans une déclaration commune.
L’Etat s’engage par ailleurs à instaurer "à compter de 2014, des ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face […] au financement des trois allocations individuelles de solidarité". Enfin, la future Banque publique d’investissement consacrera 500 millions d’euros au soutien des interventions des départements en faveur de l’économie sociale.

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