Penser le monde rural sans nostalgie
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Consacrée à l’avenir du développement rural, la 7e édition des « Entretiens de la gouvernance publique » a été l’occasion pour le ministre de l’Agriculture, des élus ruraux et un sociologue d’appeler unanimement à changer de regard sur le monde rural pour élargir les horizons. Loin d’être un « monde fini », les ruralités sont en pleine évolution. Au-delà de graves difficultés, de nombreuses potentialités restent à développer pour préparer l’avenir du monde rural, insiste l’organisateur de la conférence, l’Institut de la gouvernance et de la décentralisation.
Le monde rural se caractérise-t-il uniquement par des villages paisibles marqués par leurs clochers, leurs marchés artisanaux organisés chaque semaine sur leurs places centrales, et où le vivre-ensemble n’est pas qu’un vain mot ponctuant les discours politiques ? Ou bien n’englobe-t-il à contrario que des centres-bourgs en perdition, manquant de médecins autant que de commerces ou de ménages aisés ayant les moyens de rénover le bâti et de payer des impôts locaux ?
« Ces différents clichés, aussi caricaturaux les uns que les autres – véhiculés par les médias, les politiques mais aussi de nombreux Français – sont en décalage complet avec la réalité », déplore Jean-Marie Guilloux, directeur de la mission Agrobiosciences de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Ou plutôt en décalage avec les réalités, tant le monde rural est pluriel et en constante évolution, sur le plan économique comme sociologique.
Un monde à part ?
Le choix d’inviter ce chercheur à introduire la 7e édition des « Entretiens de la gouvernance publique », interrogeant les réalités rurales dans les dynamiques territoriales, ce mardi 4 octobre à Paris, n’était pas vraiment anodin.
Pour l’Institut de la gouvernance territoriale et de la décentralisation, le propos introductif de Jean-Marie Guilloux a le mérite de planter rapidement le décor : « Cette vision tantôt idyllique, tantôt “hasbeen” empêche les ruraux d’énoncer leurs propres aspirations à la modernité dans la mondialisation. De plus, s’ils permettent de continuer à aménager pour le seul plaisir d’aménager (routes, ronds-points, bretelles de ronds-points, etc), ces discours donnent aussi l’image d’un monde à part, d’un parent pauvre à aider constamment. »
Non à une « reductio ad agricultorem »
Pourtant, depuis une dizaine d’années, près de 100 000 habitants s’installent chaque année dans les territoires ruraux. Rarement des agriculteurs, d’ailleurs : la mécanisation du secteur aidant, ceux-ci emploient de moins en moins de salariés et font vivre, au passage, de moins en moins de commerçants ou d’artisans installés dans les villages.
« Le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) a une vision totalement faussée des ruralités. N’en déplaise à ce cimetière d’éléphants concentrant des hauts-fonctionnaires en mal de reconnaissance, nos territoires ne peuvent plus être réduits à leur seule fonction agricole », insiste le député-maire (LR) de Fournels (Lozère), Pierre Morel A L’Huissier.
Le défi de l'aménagement du territoire
Si trois cantons sur quatre connaissent une démographie positive depuis 1999, il ne faut pas occulter pour autant que le monde rural se vide peu à peu de ses services. Sous l’influence notamment des rurbains ayant quitté la ville pour des questions de coût de la vie mais continuant d’aller y travailler tous les matins, les pratiques et modes de consommation ont changé au point de modifier radicalement le paysage commercial.
« Nous vivons correctement, nous avons des industries et quelques commerçants sur nos territoires. Il y a même des jeunes désireux de poursuivre leurs études, bien qu’ils soient confrontés à la faible offre en matière d’enseignement supérieur. En réalité, nos principales difficultés concernent l’aménagement du territoire », poursuit Pierre Morel A L’Huissier.
Attirer et socialiser
Cet élu rural expérimenté conserve une dent contre l’Etat – et tout particulièrement l’ex-Datar – en raison des obstacles qu’il a dû affronter pour équiper la Lozère de hautes technologies (téléphonie, haut-débit), condition sine qua non, selon lui, de l’attractivité et du développement de son territoire.
Une vision que vient utilement compléter Julien Dive, député-maire (LR) d’Itancourt, dans l’Aisne : « L’accès au numérique est indispensable pour favoriser l’installation d’entreprises, d’hôtels, de restaurants, de médecins ainsi que le maintien d’agriculteurs télédéclarant de plus en plus. Mais, au-delà d’être facteur d’attractivité, les hautes technologies doivent aussi être considérées comme des outils de socialisation. »
Nouvelle culture, vieille fracture
Autrement dit : le numérique représenterait non seulement un moyen de répondre de façon pragmatique et fonctionnelle à la dévitalisation des territoires ruraux, mais serait utile aussi pour casser l’entre-soi du monde rural.
Pour Julien Dive, il est certes « plus que temps de reconnaître que nos territoires ne concentrent pas seulement des déclassés de la ville ou des agriculteurs subissant la crise mais aussi des talents ayant besoin du haut débit pour télétravailler. Il faut, toutefois, affronter en parallèle la fracture culturelle qui pénalise certains jeunes inactifs et retraités ne disposant pas de moyens de locomotion et donc confrontés à de graves problèmes de mobilités. »
Prendre en compte le réel
« Ne minimisons surtout pas ces difficultés », prévient Jean-Pierre Balligand, directeur de l’Institut de la gouvernance et de la décentralisation :
« Lorsque je vous dis qu’il n’y a pas plus désertique que les bourgs ruraux de la Beauce ou de l’Aisne, c’est un fait et non une caricature. Nous devons prendre en compte le réel, ne serait-ce que pour comprendre les derniers résultats électoraux dans le monde rural, et analyser comment le sentiment d’abandon d’une partie de ses habitants se traduit par des votes de plus en plus extrémistes. »
Préparer l'avenir
Arrivé au milieu du séminaire, le porte-parole du gouvernement et ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll demande à ce qu’on « arrête de parler du monde rural avec nostalgie : c’est le meilleur moyen d’alimenter les angoisses et donc les discours sur l’abandon du monde rural. Maintenant que les réformes territoriales ont fixé de nouveaux cadres institutionnels et de compétences aux régions et aux nouvelles intercommunalités, il faut réfléchir au sens que nous souhaitons donner à ces institutions ».
De la transition énergétique à la santé en passant par les transports collectifs, l’urbanisme commercial notamment dans les zones périurbaines, les solidarités, le lien social ou la territorialisation de l’économie, il cite un certain nombre de grands objectifs sur lesquels les acteurs publics devraient davantage travailler en synergie. Histoire de préparer ensemble l’avenir des territoires ruraux.
« Comme vous pouvez le constater, il y a du boulot », lance Stéphane le Foll, en guise de conclusion, aux nombreux étudiants de l’Institut supérieur du management public et politique (Ismapp) présents dans la salle de conférences. On ne saurait mieux dire.
Pierre Ygrié - 12/10/2016 11h:04
Je suis bien d'accord sur l'urgence de repenser la ruralité . Je comptais beaucoup sur la loi montagne mais, pour l'instant, pour le peu que j'en ai vu, elle ne fera pas la (nécessaire) révolution !Je l'ai dit à ma façon ce matin dans un "petit mot" aux députés https://websdugevaudan.wordpress.com/2016/10/12/les-montagnards-ne-sont-pas-la/ La lutte continue ! Ne lachons rien !!! https://websdugevaudan.wordpress.com/2016/09/29/loi-numerique-un-texte-de-combat-chiche/
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