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Spécialiste des questions de démocratie locale et de participation des populations aux politiques publiques des collectivités, Alice Mazeaud décrypte l’expérimentation en cours par la Ville de Paris d’un budget participatif. Pour le Courrier des maires, la chercheure en sciences politiques à l’université de La Rochelle revient sur les expérimentations précédentes et détaille les clés pour réussir la mise en place d’un budget participatif par une collectivité locale.
Courrierdesmaires.fr. Le budget participatif annoncé par la Ville de Paris constitue-t-il une vraie innovation ?
Alice Mazeaud. Oui, si l’on considère qu’il y a peu de budgets participatifs en France - une dizaine, et dans des communes de moindre ampleur - et étant donné l’ampleur du projet parisien : 5% du budget d’investissement, soit plusieurs millions d’euros en jeu, ce qui attise l’intérêt.
La référence, pendant longtemps, a été celle des budgets participatifs pour les lycées de Poitou-Charentes : 10% du budget d’investissement de la région pour ses lycées. Toutefois, plus d’un millier de villes dans le monde en réalisent, dont 200 à 300 en Europe : Séville, Rome, Cordoue, Fribourg, etc.
Vous réalisez des formations en matière de conduite par les élus de démarches participatives, notamment sur les budgets. Faut-il voir le peu d’initiatives en France comme une frilosité des élus locaux vis-à-vis de cet outil ?
A. M. Le faible intérêt des élus pour les budgets participatifs tient moins d’une réticence à faire participer les citoyens, qu’à une volonté de garder in fine le pouvoir décisionnel, de ne pas le déléguer. Même si l'on manque de données sociologiques sur les élus, on observe que les entrants, moins professionnalisés, avec une moindre carrière politique derrière eux, sont peut-être plus sensibles à l’idée de participation de la population. C’est notamment le profil d’Eric Piolle, à Grenoble. Et là où des élus plus anciens ont réalisé des budgets participatifs, il s’agit souvent de mairies communistes.
En quoi consiste selon vous un budget participatif ?
A. M. Pendant longtemps, on a juste permis aux citoyens locaux de participer à des opérations budgétaires quartier par quartier via des enveloppes, des fonds de participation des habitants. Cela se fait encore beaucoup mais cela ne constitue pas une opération de budget participatif. Celui-ci implique de déléguer une partie du pouvoir décisionnel, comme à Paris.
En revanche, cela ne s’arrête pas là. Cela doit aussi s’accompagner d’une mobilisation des populations pour faire émerger des projets jusqu’alors non exprimés. Et cette mobilisation vise une certaine justice sociale : redistribuer une partie des ressources vers les moins favorisés.
En cela, même le budget participatif de Paris ne le serait pas vraiment ?
A. M. Non, car d’abord, c’est la Ville qui a présélectionné les projets pour cette première étape. C’est uniquement dans un second temps que la population pourra faire des propositions. Et puis les projets proposés par la mairie ne vont pas fondamentalement changer la vie des Parisiens, entre végétalisation de bâtiments, terrains, de jeu, petites interventions urbaines, etc. Et s’agissant du transfert de ressources, on imagine mal des transferts massifs du 16e arrondissement au 19e…
Le budget participatif n’est-il réservé qu’aux grandes agglomérations et villes moyennes ?
A. M. Toutes les strates sont représentées, des grandes villes aux petites communes, en passant par des villes moyennes comme Grigny (27 000 habitants), dans l’Essonne, qui en a un depuis longtemps. Mais domine tout de même l’idée que si la commune est petite, la démocratie participative sera naturelle, au contraire des grands centres urbains, avec une population parfois modeste, étrangère, plutôt retirée de la participation – mais où l’outil sera plus utile encore.
Quels sont les objectifs des élus instaurant ce dispositif ?
A. M. Clairement, il s’agit d’abord d’une stratégie politique, de trouver des ressources pour établir un lien avec la population. Cela correspond au message d’Anne Hidalgo : « Je vous donne les clefs de la ville »…
A l’inverse, certains élus, et c’est tout à fait compréhensible, estiment qu’ils ont d’abord été élus sur un programme qu’ils veulent appliquer et ont du mal à adopter cette rhétorique. Pourtant, l’élu se lançant dans un budget participatif pourra s’apercevoir qu’en faisant participer à la population, il sera gagnant en matière d’affichage de ses objectifs, de sa ligne politique.
Est-il encore réaliste et utile d’instaurer un budget participatif à l’heure où les dotations aux collectivités locales chutent ?
A. M. Bien au contraire, c’est justement dans ce contexte de raréfaction des ressources qu’il est important de permettre aux gens de participer aux décisions publiques. Quand il y a beaucoup d’argent à disposition, on a les moyens de se tromper… Avec moins, le budget participatif est l’un des moyens de s’assurer que l’argent public est bien utilisé et aussi de re-légitimer l’impôt.
Et ne nous trompons pas de débat : un budget participatif ne constitue pas une enveloppe supplémentaire, mais un pourcentage d’une enveloppe d’investissement préalablement définie. Les seuls coûts supplémentaires sont ceux de communication et de procédure, mais ils sont très faibles. Et les participants ne sont pas du tout dans une logique de gaspillage, comme l’affirment les opposants aux budgets participatifs.
Quelles sont selon vous les clés pour réussir un budget participatif local ?
A. M. D’abord créer les conditions d’une véritable prise de décision collective. Les informations chiffrées, les contraintes de temps… tous les éléments des projets proposés doivent être connus.
Il faut aussi fixer les règles du jeu, s’y tenir et réaliser ce qui a été décidé. Car rien ne serait pire que d’avoir « vendu » un projet à la population qui ensuite ne se réalise pas. D’autant qu’il y a peu d’espaces dans la vie locale où l’on discute des choix publics.
La procédure doit être claire et présenter un intérêt pour les participants : trop souvent les élus restent au milieu du gué et hésitent à donner à la population les moyens de faire des arbitrages. L’élu doit prendre ce risque et être transparent sur ce que la collectivité peut faire.
Albert - 07/10/2014 12h:41
Madame Alice Mazeaud a raison de dire que le budget participatif doit être encadré au niveau budgétaire. C'est uniquement dans un cadre précis sur les budgets, que peut se dérouler cette "démocratie participative". Sinon la collectivité se trouve face à une hausse des demandes dont elle ne peut répondre favorablement, et les habitants sont déçus. Dire « Je vous donne les clefs de la ville » est intéressant sur le "symbole" politique mais peu réalisable dans la réalité des collectivités.Il est vrai que les communes communistes ont mis en place cette démarche bien avant les autres, depuis plus de 10 ans, dans un cadre maitrisé. Cela fonctionne.Sur le fond, cette forme de gouvernance est une incitation à l'appropriation des citoyens pour les actions sur leurs quartiers, un renforcement du dialogue entre élus et administrés , ce qui peut être favorable pour l'avenir, et ainsi éviter l'abstention et les votes extrêmes.http://www.courrierdesmaires.fr/wp-admin/edit-comments.php#comments-form
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