Bixente Etcheçaharreta
© B. Firroloni
Apôtre de l’accès à l’enseignement supérieur pour tous, le président de la fédération « Des territoires aux grandes écoles », Bixente Etcheçaharreta, travaille en parallèle sur les programmes de revitalisation des villes petites et moyennes. Tout sauf un hasard : ce basque voit dans le renfort des politiques d’égalité des chances et l’élévation du niveau de formation des jeunes des classes populaires un véritable outil d’aménagement du territoire.
Plutôt que mettre en place des politiques d’attractivité à destination des « Parisiens » et autres urbains diplômés, les villes petites ou moyenne en voie de dévitalisation ne devraient-elles pas d’abord parier sur leur propre jeunesse ? C’est ce que pense l’association basque « Des territoires aux grandes écoles » (DTGE), devenue aujourd’hui une fédération nationale intervenant dans une vingtaine de territoires ruraux (Béarn, Loire, Moselle, Yonne, Mayenne, etc). Elle sensibilise les étudiants attachés à leurs territoires à s’en émanciper temporairement et poursuivre coûte que coûte leurs études. Et appelle aujourd’hui les collectivités, qui auraient tout intérêt elles aussi à démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur, à la rescousse.
Les maires partagent avec l’Education nationale une compétence pour le niveau primaire. Leur rôle s’arrête-t-il là ?
Bixente Etcheçaharreta : Non, il ne devrait pas. Il suffit de se remémorer l’importance des inégalités d’accès à l’université et aux filières d’excellence entre les classes populaires et les autres pour prendre conscience que les élus ne peuvent délibérément pas se contenter d’entretenir des écoles primaires.
Garantir aux enfants des quartiers populaires ou des zones rurales en souffrance les mêmes facilités d’orientation et donc le même accès aux études supérieures que la jeunesse des centres-villes est une exigence républicaine, sociale. Mais pas seulement : de par mon activité d'auditeur à la Caisse des Dépôts, je considère qu’il s’agit aussi d’un élément de stratégie territoriale à part entière. A ce titre, je suis extrêmement surpris que cette question ne soit pas davantage mise à l’agenda local. A tout le moins, en tête des priorités des territoires aujourd’hui les plus en difficulté, en voie de paupérisation.
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Accompagner les jeunes dans leurs études supérieures ne revient-il pas plutôt à l’Etat ?
Du ministère de l’Education nationale à l’Enseignement supérieur en passant par les élus locaux, chacun doit faire sa part. L’Etat n’a jamais pris en compte les spécificités du monde rural dans ses politiques d’éducation et d’enseignement supérieur. Soit. Mais les collectivités devraient davantage s’employer à lever les blocages gênant la poursuite d’études. Les principaux freins de l’accès à l’enseignement supérieur ne sont pas intellectuels, mais d’abord sociaux, financiers, territoriaux et culturels.
Et concrètement, me direz-vous ? Cela pourrait commencer par des actions de lutte contre l’auto-censure d’une partie de notre jeunesse, puis des ateliers ou animations visant à combler le déficit d’information sur l’orientation et l’accès à l’enseignement supérieur. Les élus, et certains le font déjà, pourraient aussi mettre en place des programmes de solidarité ou des bourses. Etudier signifie pour beaucoup partir du domicile parental, donc nécessite de l’argent, ce que toutes les familles n’ont pas forcément…
Que vous inspire le combat des villes moyennes pour essayer de maintenir ou attirer une offre de formation de premier cycle ?
Que du bon ! Les élus ne doivent pas attendre que d’autres agissent à leur place. A eux d’assumer leur rôle profondément politique, et d’impulser des dynamiques et projets d’aménagement et développement de leurs territoires. Rien n’est plus efficace que l’installation d’une antenne universitaire ou d’une école à proximité pour augmenter le taux de poursuite d’études de la jeunesse des territoires environnants, tout particulièrement celui des boursiers. Les bacheliers précaires peuvent ainsi s’en servir de marchepied, avant de se projeter éventuellement dans une grande ville pour terminer leurs cursus ou rallier une grande école.
Sur la durée, mis à part quelques cas isolés, cela ne semble toutefois pas en prendre la tournure…
Malheureusement, les derniers ministres de l’Enseignement supérieur avaient tous les yeux rivés sur le classement de Shangaï. Plutôt que de se concentrer sur la répartition de l’offre universitaire synonyme de réussite des étudiants, ils ont accompagné les tendances lourdes de l’économie et renforcé son hyper-concentration dans les métropoles. En cela, l’Etat en France n’a pas seulement trahi les classes populaires n’ayant pas forcément les moyens de se payer des études à des centaines de kilomètres, il a également renoncé à se servir de l’enseignement supérieur comme outil d’aménagement du territoire.
Revenons-en au rôle des élus. Les maires de petites communes en voie de dévitalisation ne devraient-ils pas retenir leurs étudiants plutôt que les encourager à partir étudier au risque de ne jamais y revenir ?
Ce raisonnement pourrait a priori se tenir : si les hommes et femmes capables de créer de la croissance continuent d’être happés par les métropoles, l’anémie des territoires se poursuivra. Sauf qu’en réalité, il n’y a rien de pire. Retenir les jeunes sur leur territoire d’origine générerait un cercle vicieux, totalement pervers. L’élève serait perdant, en premier lieu : ne pas se former au XXIe siècle revient à s’enfermer dans une trappe à précarité, dont il ne pourra essayer de sortir qu’au travers d’emplois peu qualifiés et peu rémunérés. Mais, au-delà de son cas, le maire serait tout aussi perdant : le territoire louperait une chance de voir un de ses habitants partir acquérir de la matière grise et la ramener un jour pour rendre l’économie locale plus qualitative et donc le territoire plus robuste.
Je donne souvent ce conseil aux jeunes qui me disent ne pas vouloir quitter leurs terres qu'ils aiment profondément : la meilleure façon de servir sa ville, c’est de partir temporairement se former, se faire une expérience ailleurs et y revenir plus tard injecter la valeur ajoutée acquise.
Sauf que rien ne dit qu’ils reviendront, un jour…
C’est un risque à prendre. Les maires, et tout particulièrement ceux élus sur des territoires en difficulté, doivent se montrer visionnaires pour consolider leurs dynamismes économique et social à moyen et long terme. La revitalisation de nos territoires ne se fera pas toute seule ! Si vous voulez soutenir le développement des PME locales créant des emplois donc embauchant des habitants qui vivront et consommeront sur place, vous devez aider les chefs d’entreprise à attirer une main-d’œuvre qualifiée pour faire monter en gamme leurs productions.
Vous auriez tort, dès lors, de ne pas tout mettre en oeuvre pour encourager votre jeunesse à se former. Objectif : la rendre capable de valoriser les savoir-faire locaux, et d’apporter une expertise nouvelle manquant aujourd’hui pour partir à son tour à la conquête de nouveaux marchés… L’élévation du niveau de qualification de votre jeunesse est votre meilleur atout pour revitaliser vos territoires.
Quelle attention les élus doivent-ils prêter aux jeunes locaux partis étudier ailleurs ?
Pour mettre un maximum de chances de leur côté, les collectivités doivent mieux animer leurs diasporas de jeunes bacheliers. Même s’ils n’y rentrent pas tous les week-ends, leurs étudiants ayant rejoint une filière d’excellence peuvent être utiles aux territoires où ils ont grandi et continuer à s’y investir lorsqu’ils sont de passage. S’il a pu nourrir une relation forte sur le temps long avec sa ville d’origine, un haut diplômé travaillant dans un centre de décisions orientera probablement ses choix vers elle lorsqu’il aura une décision structurante à prendre.
Les étudiants ont-ils seulement envie de vivre dans cette « France périphérique » ?
Depuis la crise des gilets jaunes, j’ai l’impression que tous les territoires éloignés de Paris ou d’une métropole sont considérés comme étant des zones rurales reculées, pour ne pas dire sous-développées. Il s’agit d’une caricature dans laquelle la jeunesse des villes petites et moyennes, du périurbain ou des campagnes ne se retrouve absolument pas. Malheureusement, ce misérabilisme est entretenu par certains élus eux-mêmes… Or, si vous inculquez à la population locale qu’elle vient du bout du monde et ressemble aux nouveaux Indiens d’Amérique, comment voulez-vous qu’ils osent ensuite des parcours ambitieux ? Faites attention à ce que ce discours ne devienne pas contre-productif et ne génère une prophétie autoréalisatrice.