Thibaut Guignard, maire de Ploeuc-l’Hermitage (22) et président de Leader France, et Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques, le 20 novembre 2018 au 101e Congrès des maires
© Fabien Calcavechia
Alors que les élections européennes se profilent au sein d’une Union fragilisée par le Brexit et la montée des discours europhobes, les maires se sont penchés, mardi 20 novembre, sur la question des fonds européens. Incompréhensions avec l’autorité de gestion régionale, mais aussi avec Bruxelles : le chemin est encore long pour que les élus locaux profitent mieux des financements européens. Consciente de ces enjeux, la Commission propose de réformer ses procédures, une petite révolution… qui n’est pas encore « actée ».
« Je connais une collectivité qui souhaitait mener une action en faveur des SDF, mais le projet a été retoqué, car Bruxelles souhaitait que les adresses des SDF soient mentionnées dans le dossier... » a raconté Christophe Rouillon, maire de Coulaines (72) et président de la Commission Europe au sein de l’Association des maires de France (AMF), emportant avec lui les rires des congressistes. Une anecdote qui résume finalement bien le fossé qui sépare aujourd’hui les communes de la lointaine Bruxelles… les régions ne jouant, au passage, pas toujours le rôle de « modérateur » que les maires attendent pourtant d’elles.
Avant même Bruxelles, les régions pointées du doigt par les communes
Les régions, confortées ces dernières semaines dans leur rôle d’autorité de gestion des fonds Feader par le gouvernement, apparaissent aux yeux de certains élus, non comme un point d’appui indispensable mais plus comme un « premier obstacle » à franchir avant de pouvoir accéder à Bruxelles et à ses fonds. Pointées du doigt pour leurs visions parfois « trop tatillonnes » des champs entrant dans le cadre des financements européens, mais aussi pour leur propension à ne « discuter et n’accompagner » que les EPCI ou les plus grosse communes, les régions semblent représenter dans certains territoires un véritable frein aux financements.
« Nous n’avons pas l’ingénierie suffisante pour monter les dossiers complexes que l’on nous demande » dénonce ainsi Agnès Le Brun, maire de Morlaix (29). La vice-présidente de l’AMF insiste sur les bizarreries des rouages de notre administration : « pourquoi est-ce plus facile d’obtenir telle ou telle pièce administrative en Espagne ? Pourquoi est-ce toujours si compliqué chez nous ? »
« Demandez-vous ce que vous pouvez faire avec l’Europe ! »
[caption id="attachment_78500" align="alignright" width="300"] Pierre Moscovici, commissaire aux affaires européennes, le 20 novembre au 101è Congres des maires[/caption]
« L’avenir, c’est bien avec les régions qu’il faut le construire, la recentralisation étatique de la gestion des fonds européens n’a ici aucun sens » a prévenu le commissaire européen, Pierre Moscovici, tout en admettant que les régions « devaient se mettre à jour sur les montage de dossier ». Face aux élus locaux, l’ancien ministre des Finances a tenu à défendre Bruxelles en rappelant que 33 000 fonctionnaires travaillent à la Commission européenne pour 500 000 millions d’habitants. « Vous trouverez des interlocuteurs dévoués à la Commission mais il faut aussi que ‘ça monte’ vers la Commission car nous n’avons pas les moyens humains pour mener des expertises. Avant de vous demander ce que l’Europe peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire avec l’Europe ! » a donc enjoint Pierre Moscovici, rappelant que les communes et la Commission avaient désormais un bout de chemin à faire l’une vers l’autre.
Un chemin qui semble encore bien long et sinueux. En effet, selon Thibaut Guignard, maire de Ploeuc-l’Hermitage (22) et président de Leader France, sur les 10% de crédits Leader promis sur la période précédente, seuls 3% ont été réglés par Bruxelles… une situation qui laisse certaines communes exsangues au bord de la route.
La fin du financement par projet après 2020 ?
Wallis Goelen-Vanderbrock est cheffe de l’unité Développement territorial et urbain à la Commission européenne où elle gère les fonds Feader. Il est peu dire que son intervention sur les « trucs » permettant de « débloquer » des financements européens était très attendu par les élus. Et si les négociations en cours venaient à aboutir, c’est bien une petite révolution qui attend les collectivités après 2020. En effet, selon Wallis Goelen-Vanderbrock, il sera désormais demandé aux collectivités de transmettre à Bruxelles, non pas un dossier sur un projet mais « une stratégie globale intégrée » en matière de développement durable – qui peut être préexistante et donc être réutilisée pour le montage du dossier – développée autour de trois axes :
- une approche multisectorielle/ champs ;
- une approche transversale en termes de gouvernance (collaboration avec la région, EPCI, communes, etc.) ;
- une approche multipartites prenantes (citoyens et entreprises du territoire).
Le projet potentiellement finançable devra donc entré dans ce programme. « C’est la fin d’un financement au coup par coup » annonce la fonctionnaire bruxellois, qui porte par ailleurs une autre proposition : celle d’obliger les régions à présenter au « moins 6 % de projets » émanant des communes – contre 5 % actuellement ! Une manière d’inciter à un dialogue en direct avec les territoires plus petits. « Sachez qu’il n’y a aucune limite de taille pour prétendre aux financements Feader, ce qui compte pour nous c’est la zone fonctionnelle, et le projet territorial qui est porté ».