Le droit dans tous ses états
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Comment garantit-on l’accès au droit les droits de l’Homme au niveau local ? C’est sur cette problématique que la sociologue du CNRS Aude Lejeune a travaillé et dévoilé les résultats de son enquête lors d’un colloque dédié aux droits de l’Homme et aux collectivités territoriales, organisé au Sénat le 6 décembre. Et la chercheuse de montrer comment cette politique publique a d’abord été imposée par l’Etat aux collectivités, restreignant notamment le champ de réponses apportées par les Maisons de justice et du droit.
« Il y a des tensions, parfois vives, entre les élus et les magistrats locaux, le ministère de la Justice et le Défenseur des droits. Cette politique de l’accès aux droits de l’Homme provoquent des débats plus ou moins importants… dans les territoires » constate Aude Lejeune, chargée de recherche CNRS en sociologie au Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales (CERAPS) et qui a donc consacré une partie de ses travaux aux maisons de justice et du droit.
Des installations imposées par le gouvernement
Des « tensions » qui peuvent notamment s’expliquer par la manière dont cette politique territoriale a été créée. « Au départ, dans les années 90, c’est une politique pensée par le ministère de la Justice, dans un contexte de transformation des modes d’actions de l’État qui entend agir via justement les collectivités » rappelle Aude Lejeune, qui évoque ainsi des collectivités « sollicitées pour ouvrir des maisons de la justice et du droit ». Les locaux et les agents d’accueil étant fournis par les mairies, le ministère de la Justice se chargeant de son coté de détacher un greffier comme responsable de la structure.
Soit une politique publique déconcentrée aux frais des collectivités : à l’époque, la question avait déjà fait grincer quelques dents chez les élus locaux ! Aussi, si les premières installations et les signatures de conventions se font prioritairement dans des territoires déjà sensibilisés à ces questions, la refonte de la carte judiciaire, et la disparition de certains tribunaux, a redonné un coup de fouet à l’intérêt que les élus locaux pouvaient porter à ces Maisons de justice et du droit.
Une vision juridique modelée par le ministère
Aujourd’hui, les critiques des élus locaux sont essentiellement concentrées, non plus sur le financement, mais sur la vision juridique imposée par le ministère. « Les greffiers sont là pour traduire en droit les problèmes qui sont souvent morcelés : lorsqu’une personne demande des éléments sur le divorce, elle s’interroge aussi sur les conséquences que la séparation aura sur ses droits sociaux etc. » détaille la sociologue. Le risque étant pour la sociologue de « renvoyer » ces publics vers d’autres institutions et de les « perdre en cours de route ».
« Les collectivités regrettent ainsi que l’on demande aux usagers de rentrer dans un cadre pré-défini et qui réponde nécessairement aux exigences de la procédure juridique ; car aujourd’hui un grand nombre de demandes seraient mises à l’écart » détaille Aude Lejeune. Les collectivités poussent donc fortement pour que les droits sociaux soient également abordés dans ces maisons locales du droit et de la justice. Des enceintes certes locales… mais finalement pilotées depuis Paris.