Une série de propositions ont été émises, au cours des audits de 2011 de la commission d'enquête parlementaire sur les emprunts toxiques notamment, pour épargner aux collectivités territoriales de nouveaux emprunts à risque et refonder sur le long terme une relation de confiance avec les banques. Synthèse en 10 points et commentaire.
1. Interdire les produits structurés les plus dangereux
Un temps évoquée par les hérauts de la lutte contre les produits toxiques, l'interdiction absolue de vente des emprunts structurés aux collectivités territoriales est abandonnée, au nom notamment de principe de libre administration des collectivités territoriales.
La commission d'enquête parlementaire créée en juin 2011 sur les emprunts à risque souhaite néanmoins interdire la vente des produits les plus dangereux, avec multiplicateurs, et plafonner obligatoirement la charge d'intérêt.
Exit, donc, une interdiction générale, y compris aux collectivités de moins de 10.000 habitants, aux services financiers moins performants, mais pas forcément plus affectées que les grandes collectivités.
2. Soumettre les emprunts au Code des marchés publics
Réclamée par des élus comme des banquiers pour clarifier la relation contractuelle entre les deux acteurs dès la recherche d'un emprunt par l'acteur public, cette piste n'a pas les faveurs de la commission d'enquête.
"Pour acheter au bon moment, à un instant T, on doit aller très vite, ce que ne permet pas le code", explique Jean-Pierre Gorges, rapporteur de la commission, député d’Eure-et-Loire et président de la communauté d’agglomération de Chartres.
Une incitation à mieux renseigner le cahier des charges des emprunts est donc plus probable.
3. Provisionner les risques
Retenue par la commission d'enquête comme par la Cour des comptes, cette solution d'une gestion de "bon père de famille" obligerait à instaurer une réserve correspondant à des charges financières supplémentaires potentielles.
Mais outre que cela nécessiterait une ingénierie financière pour calculer le niveau de provisionnement minimal et efficient en cas de conjoncture défavorable, cela provoquerait un surcoût non négligeable pour la collectivité et pourrait peser sur ses capacités d'investissement déjà mises à mal par la conjoncture.
4. Accroître les obligations d'information
Face aux difficultés rencontrées par les élus pour comprendre les contrats souscrits, suffit-il de renforcer légalement les garanties offertes à ces "clients" ? Insuffisant, estime la commission d'enquête, pour qui c'est avant tout le manque de compétence financière interne qui est en jeu.
Ce serait plutôt aux banques, comme l'y engage la charte Gissler, de présenter les différents scénarios de réalisation des emprunts, selon la conjoncture et l'éventuelle détérioration des conditions de marché. Un engagement qui pourrait trouver force de loi.
5. Améliorer l'ingénierie financière dans les collectivités
Certaines grandes collectivités ont depuis longtemps musclé leurs services de gestion de la dette pour se financer au meilleur prix, mais les forces restent faibles face aux banques.
"Il n'y a pas de bonne formation dans la fonction publique territoriale sur les produits dérivés. Il faut travailler sur la culture financière, accroître la formation et obliger les services à se doter de moyens", estime Bruno Wertenschlag, avocat chez Fidal.
6. Renforcer le contrôle de légalité
Si le contrôle de légalité n'a pas freiné la conclusion d'emprunts structurés en nombre, c'est qu'il a été à la fois victime d'un volume d'informations en sa possession trop faible pour intervenir, mais aussi d'un manque de compétences en matière financière.
Etendre le contrôle de légalité à l'ensemble des contrats de prêt, comme le souhaite la commission d'enquête, n'aura d'effet que si une partie des équipes préfectorales se spécialise dans l'analyse des produits bancaires.
7. Affermir le rôle des juridictions financières
Une nouvelle formation commune aux chambres régionales des comptes (CRC) et à la Cour des comptes; des juridictions financières locales qui avaient averti les collectivités de la dangerosité de certains produits grâce à des équipes pluridisciplinaires qui manquent parfois dans les collectivités... Beaucoup d'éléments plaident en faveur d'un rôle accru des CRC pour sécuriser les relations financières locales.
De fait, les emprunts structurés ont été contractés faute d'une coordination plus pointue avec les services préfectoraux et les comptables publics. Des contrôles et des échanges d'information plus fréquents pourraient faire des CRC un outil plus efficace.
8. Réévaluer l'action des autorités de contrôle financier
Les autorités de contrôle financier semblent avoir failli, malgré un corpus réglementaire à leur disposition:
"Les textes législatifs édictant des règles de bonne conduite existent : le Code monétaire et financier et le règlement général de l'Autorité des marchés financiers disposent que la banque doit elle-même vérifier que les contrats correspondent à un besoin du client !" assure Olivier Poindron, avocat chez Fidal.
"Que les pouvoirs publics obligent les banques à appliquer le code financier existant ! Peut-être faut-il des contrôles plus sévères", propose Bruno Wertenschlag.
La création récente de l'Autorité de contrôle prudentiel constitue une opportunité pour cela.
9. Encadrer le calendrier pour conclure l'emprunt
Le premier tour des municipales est passé. Quelques jours avant de voir sa liste battue par l'opposition au second tour, l'exécutif local signe pour un vaste emprunt structuré qui engagera la ville et la nouvelle équipe pour plusieurs années.
Cette situation étant fréquente, selon la commission d'enquête, il conviendrait de suspendre durant la campagne électorale la délégation donnée par l'assemblée délibérante à l'exécutif pour souscrire de nouveaux emprunts.
10. Réviser le statut de conseil financier
Les cabinets de conseil financier ont souvent joué un rôle aussi discret que décisif, pour le meilleur comme pour le pire.
"Certains ont dit "attention", d'autres ont encouragé les élus", constate Jean-Pierre Gorges.
"D'autant que certains étaient rémunérés sur la base des économies réalisées pendant la période bonifiée de l'emprunt !" s'emporte Claude Bartolone. D'où "un risque de collusion avec la banque contre la collectivité", qui pousse la commission à demander "un contrôle" de ces cabinets et leur certification.
D'autres, comme Jean-Luc Guitard, vont jusqu'à réclamer "leur responsabilité civile professionnelle, comme les courtiers ou les notaires, pour que les décisions des collectivités s'appuient sur des conseils professionnels".
> Pour aller plus loin
Deux vidéos réalisées par LCP, la chaîne parlementaire, sur les travaux de la commission d'enquête parlementaire
- "Emprunts toxiques : la commission d’enquête rend son rapport", vidéo diffusée le 15 décembre 2011
- "Emprunts toxiques : l’enquête parlementaire", diffusée le 21 septembre 2011
Aurélien Hélias, article publié dans "le Courrier des maires et des élus locaux" du 5 janvier 2012