Ethique publique : « pas de chasse aux sorcières » mais la quête de « flous juridiques »

Lancé en juin par l’ex-député René Dosière (DVG), l’Observatoire de l’éthique publique réunit de nombreux scientifiques. Aurore Granero, maître de conférences en droit public à l’université de Bourgogne et membre du Centre de recherche et d’étude en droit et science politique (Credespo), codirige le pôle collectivités locales. Elle détaille pour le Courrier des maires les travaux de l'Observatoire visant la sphère publique locale.
Un an après son départ de l’Assemblée (en 2017) et dans la foulée de la loi « confiance dans la vie politique », René Dosière lançait un Observatoire de l’éthique publique, doté notamment d’un pôle dédié aux collectivités locales. Responsable de ce pôle, Aurore Granero en détaille les axes de recherche.
Quels sont les axes de travail de l’observatoire sur le secteur public local?
L’éthique dans les collectivités est un champ riche peu exploré. Trois zones d’ombre sur la transparence et la déontologie sont à défricher. D’abord, celle des indemnités et avantages en nature des élus locaux. Malgré les progrès permis par l’open data, il reste difficile de savoir comment sont réparties les enveloppes globales des indemnités et frais de représentation dans les collectivités. La suspicion est de mise alors qu’une grande majorité d’élus locaux sont bénévoles. Davantage de transparence et un comité de suivi citoyen de ces dépenses seraient utiles. C’est moins leur montant que leur répartition qui pose question : entre le maire d’une petite commune qui touche 700 euros et un conseiller départemental, censé être à temps plein, qui émarge à 1 500 euros, il y a de quoi s’interroger. Idem pour les élus régionaux et intercommunaux. Il faut revoir le statut des exécutifs locaux, d’autant que le millefeuille permet de cumuler les indemnités avec un plafond de 8 400 €, supérieur à celui imposé aux parlementaires.
Quelle est la deuxième « zone d’ombre » scrutée par l’Observatoire ?
Celle des collaborateurs, assistants et autres directeurs de cabinet des exécutifs locaux, de plus en plus nombreux. L’effectivité des missions affichées et leurs avantages en nature, comme ces cartes carburant utilisées pour des trajets sans rapport avec leur poste, interrogent. Leur embauche à la totale discrétion de l’élu pose aussi un problème de distorsion du lien démocratique, avec de possibles confits d’intérêts.
Les élus locaux en font-ils assez pour prévenir les conflits d’intérêts ?
C’est la troisième zone d’ombre, celle de la déontologie et de l’éthique, qui n’est pas érigée en priorité dans les collectivités, malgré des obligations croissantes, de la protection des lanceurs d’alerte aux déclarations d’intérêts à effectuer. Il n’est en rien question pour l’observatoire de lancer une chasse aux sorcières, mais de mettre au jour les flous et failles juridiques. C’est pourquoi nous travaillons avec les déontologues locaux pour recenser les demandes les plus fréquentes. On évoque les cadeaux acceptables ou non et les conflits d’intérêts. La charte de l’élu local doit être appliquée et les bonnes pratiques mises en lumière.
Quid de vos travaux à l’approche des élections municipales ?
Les campagnes électorales – leur financement comme la propagande - sont au cœur des enjeux éthiques. Nous allons analyser le contentieux préalable, repérer les infractions récurrentes et proposer des améliorations législatives en conséquence. Il en va de même pour ce qui concerne les droits de l’opposition. En effet, si la loi « Notre » a fait progresser ces droits pour les régions comme pour les départements, pourquoi ne pas les transposer au niveau communal lorsque cela est possible ?
Pointés du doigt par l’ex-ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, les lobbys sont-ils un danger au niveau local ?
Les lobbyistes sont partout et les collectivités ne prennent pas que des décisions administratives ou techniques, mais aussi politiques. Les petites communes sont moins touchées mais les grandes ne sont pas à l’abri. Si l’impact d’un lobby sur un territoire se restreint à celui-ci, il n’en est pas moins réel. Et plus étendu encore à l’échelle des très grandes régions.
Références
Sommaire du dossier
39 articles Lire le 1er article- Article 01 - Charte de l’élu local : un guide pour que les élus apprennent à « gérer le risque du conflit d’intérêt »
- Article 02 - Les plans de Didier Migaud, nouveau président de la HATVP, pour la transparence des élus locaux
- Article 03 - Municipales : « s’appuyer sur des collectivités leaders pour générer plus de transparence »
- Article 04 - René Dosière : « Le contrôle exhaustif n’existe pas pour les élus locaux »
- Article 05 - Prévention de la corruption : la difficile appropriation au sein des collectivités
- Article 06 - Le Conseil constitutionnel ouvre aux regards ses « portes étroites »
- Article 07 - Le casier judiciaire vierge pour être élu, une moralisation nécessaire ?
- Article 08 - La suppression de la réserve parlementaire, pomme de discorde entre députés et sénateurs
- Article 09 - Ethique publique : « pas de chasse aux sorcières » mais la quête de « flous juridiques »
- Article 10 - L’exécutif veut limiter le cumul dans le temps à trois mandats identiques successifs
- Article 11 - La suppression de la réserve parlementaire phagocyte l’audition de la Garde des Sceaux
- Article 12 - « Il n’y a jamais eu autant d’élus, et autant de gens qui se sentent mal représentés »
- Article 13 - « Il n’y a pas davantage d’élus malhonnêtes aujourd’hui qu’hier »
- Article 14 - Elections : « Il faut jouer le jeu de la transparence avec les électeurs »
- Article 15 - Réserve parlementaire : le détail des subventions sénatoriales en 2015
- Article 16 - L’Agence nationale de prévention de la corruption se penchera aussi sur les collectivités
- Article 17 - Transparence de la vie publique : le premier rapport de la Haute autorité clarifie le risque de conflit d’intérêts
- Article 18 - Transparency International ne veut pas de remise en cause du non-cumul des mandats
- Article 19 - Moralisation de la vie politique : les nouvelles obligations des conseillers régionaux
- Article 20 - « Il serait extravagant de revenir sur le non-cumul des mandats »
- Article 21 - « Parmi les élus, le réflexe “déontologue” reste à acquérir »
- Article 22 - La transparence de la vie politique ne fait pas beaucoup d’adeptes
- Article 23 - Des propositions pour « renouer la confiance publique »
- Article 24 - Lobbying : les mauvaises notes de la France
- Article 25 - Un député UMP favorable à la transmission de la réserve parlementaire au préfet
- Article 26 - Elus locaux et conflits d’intérêts : parution du décret d’application
- Article 27 - La transparence de la vie politique, « urgence » démocratique – Introduction
- Article 28 - Les élus locaux ont jusqu’au 1er juin 2014 pour transmettre leurs déclarations d’intérêt et de patrimoine
- Article 29 - Transparency International demande l’exemplarité aux candidats aux municipales
- Article 30 - Conflits d’intérêts et transparence : de nouvelles obligations pour plusieurs milliers d’élus locaux
- Article 31 - Le Conseil constitutionnel valide pour l’essentiel les lois sur la transparence
- Article 32 - La transparence sera aussi locale
- Article 33 - Indemnités des élus : quelles sont les pratiques ?
- Article 34 - Vers le contrôle des déclarations de patrimoine et d’intérêts des responsables des grands exécutifs locaux
- Article 35 - Responsabilité pénale des élus locaux : trente ans d’évolution
- Article 36 - Avantages en nature des élus locaux : les règles du jeu
- Article 37 - Daniel Lebègue, président de Transparency International France : « Il faut restaurer la confiance entre élus et citoyens »
- Article 38 - Conflits d’intérêts : élus locaux, la prudence est de mise
- Article 39 - Les élus locaux sont-ils à l’abri des groupes d’intérêt ?
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