Daniel Lebègue, président de Transparency International France : « Il faut restaurer la confiance entre élus et citoyens »
Transparency international est une organisation qui se consacre à la transparence et à l’intégrité de la vie publique et économique. Daniel Lebègue, président de la section française, a accordé un entretien au "Courrier des maires et des élus locaux".
Le Courrier des maires : Transparency International France lutte contre la corruption, notamment dans la sphère publique. Quels constats faites-vous?
© F. Calcavechia
C’est là un problème majeur, car le bon fonctionnement de notre démocratie repose précisément sur le « pacte de confiance » entre les citoyens et leurs élus.
Que traduit cette crise de confiance vis-à-vis des élus ?
— D. Lebègue. Les Français ne critiquent pas un manque de compétence ou de dévouement dans la gestion des collectivités publiques ou la mauvaise qualité des services publics. La France a un personnel politique et administratif de grande qualité et beaucoup plus intègre que dans d’autres pays. « La défiance trouve sa source dans des comportements qui ne correspondent pas aux valeurs affichées de primauté de l’intérêt général… ». Leur défiance trouve sa source dans des comportements et des pratiques qui ne correspondent pas aux valeurs affichées de primauté de l’intérêt général, de neutralité, d’impartialité de l’action publique.
Même si les cas avérés de favoritisme, de trafic d’influence, de mélange des genres sont peu nombreux, ils entretiennent la suspicion dans l’opinion publique. C’est d’autant plus dommage que la France a beaucoup légiféré pour moraliser la vie publique: depuis 1988, une douzaine de lois ont été adoptées en la matière !
Quelle est votre analyse ?
— D. Lebègue. Les conflits d’intérêts réels ou potentiels entre mandat public et intérêts privés sont le risque le plus grave. Ainsi, 60 parlementaires français exercent une activité rémunérée d’avocats. « Comment peut-on à la fois faire la loi et conseiller une société sur la meilleure manière de l’appliquer ? » Comment peut-on à la fois faire la loi et conseiller un particulier ou une société sur la meilleure manière de l’appliquer ? Le cumul des mandats demeure une singularité française dans le paysage politique européen : dans tous les autres pays, on a séparé l’exercice d’un mandat national et d’un mandat local.
Je considère qu’un ministre, un parlementaire ou un élu local à la tête d’une grande ville ou d’une structure intercommunale importante doit se consacrer à 100% à son mandat.
Par ailleurs, depuis trente ans, la décentralisation ne s’est pas accompagnée d’un renforcement suffisant des outils d’audit et de contrôle des budgets locaux. Le contrôle de légalité des préfets a été allégé, et l’on a réduit le réseau et les moyens des chambres régionales des comptes.
Quelles sont vos préconisations ?
— D. Lebègue. Les recommandations de la commission Jospin font l’objet d’un large consensus. Les interdictions de cumul de fonctions ministérielles avec l’exercice de tout mandat local, d’un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale sont des mesures de bon sens. « Une déclaration d’intérêts et d’activité rendue publique serait un garde-fou efficace, si l’on contrôle les déclarations. » L’obligation qui serait faite aux ministres, aux parlementaires, aux élus des grandes collectivités ainsi qu’aux fonctionnaires de direction de remplir « une déclaration d’intérêts et d’activité » rendue publique serait un garde-fou efficace, si l’on contrôle les déclarations.
Nous apprécions aussi la proposition de créer une « Autorité de déontologie de la vie publique » et de mettre en place, dans les principales institutions et administrations, un code ou une charte de déontologie et un déontologue.
Vous souhaitez aussi mieux encadrer le lobbying…
— D. Lebègue. Oui, principalement au Parlement, afin de disposer d’une véritable « traçabilité » de la décision publique.
Il existe à l’Assemblée nationale un registre des lobbyistes, mais celui-ci ne comporte que 200 noms, alors que nous estimons à environ 5.000 les personnes ou organismes actifs pour faire prévaloir leurs intérêts auprès de la représentation nationale !
Là encore, il est nécessaire de mettre en place des règles du jeu qui fassent appel à la fois à la responsabilité des acteurs et à la sanction de la loi.
Le dispositif d’ »alerte éthique » proposé par la commission Jospin [Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique] me paraît très intéressant. Retisser le contrat de confiance entre nos concitoyens et les acteurs de la vie publique, c’est à la fois vivifier et moderniser notre démocratie.
TRANSPARENCY INTERNATIONAL FRANCE — Transparency international est une organisation qui se consacre à la transparence et à l’intégrité de la vie publique et économique, créée en 1993 et dont le siège est à Berlin. La section « France » a été créée en 1995. Elle est présidée depuis 2003 par Daniel Lebègue (69 ans). Ce dernier fut notamment directeur de la Caisse des dépôts et consignations (1998-2002).
- Le site web de Transparency International France
- Le rapport de Transparency : "Faire de la lutte contre la corruption et de l'éthique une grande cause nationale", décembre 2012
Sommaire du dossier
39 articles Lire le 1er article- Article 01 - Charte de l’élu local : un guide pour que les élus apprennent à « gérer le risque du conflit d’intérêt »
- Article 02 - Les plans de Didier Migaud, nouveau président de la HATVP, pour la transparence des élus locaux
- Article 03 - Municipales : « s’appuyer sur des collectivités leaders pour générer plus de transparence »
- Article 04 - René Dosière : « Le contrôle exhaustif n’existe pas pour les élus locaux »
- Article 05 - Prévention de la corruption : la difficile appropriation au sein des collectivités
- Article 06 - Le Conseil constitutionnel ouvre aux regards ses « portes étroites »
- Article 07 - Le casier judiciaire vierge pour être élu, une moralisation nécessaire ?
- Article 08 - La suppression de la réserve parlementaire, pomme de discorde entre députés et sénateurs
- Article 09 - Ethique publique : « pas de chasse aux sorcières » mais la quête de « flous juridiques »
- Article 10 - L’exécutif veut limiter le cumul dans le temps à trois mandats identiques successifs
- Article 11 - La suppression de la réserve parlementaire phagocyte l’audition de la Garde des Sceaux
- Article 12 - « Il n’y a jamais eu autant d’élus, et autant de gens qui se sentent mal représentés »
- Article 13 - « Il n’y a pas davantage d’élus malhonnêtes aujourd’hui qu’hier »
- Article 14 - Elections : « Il faut jouer le jeu de la transparence avec les électeurs »
- Article 15 - Réserve parlementaire : le détail des subventions sénatoriales en 2015
- Article 16 - L’Agence nationale de prévention de la corruption se penchera aussi sur les collectivités
- Article 17 - Transparence de la vie publique : le premier rapport de la Haute autorité clarifie le risque de conflit d’intérêts
- Article 18 - Transparency International ne veut pas de remise en cause du non-cumul des mandats
- Article 19 - Moralisation de la vie politique : les nouvelles obligations des conseillers régionaux
- Article 20 - « Il serait extravagant de revenir sur le non-cumul des mandats »
- Article 21 - « Parmi les élus, le réflexe “déontologue” reste à acquérir »
- Article 22 - La transparence de la vie politique ne fait pas beaucoup d’adeptes
- Article 23 - Des propositions pour « renouer la confiance publique »
- Article 24 - Lobbying : les mauvaises notes de la France
- Article 25 - Un député UMP favorable à la transmission de la réserve parlementaire au préfet
- Article 26 - Elus locaux et conflits d’intérêts : parution du décret d’application
- Article 27 - La transparence de la vie politique, « urgence » démocratique – Introduction
- Article 28 - Les élus locaux ont jusqu’au 1er juin 2014 pour transmettre leurs déclarations d’intérêt et de patrimoine
- Article 29 - Transparency International demande l’exemplarité aux candidats aux municipales
- Article 30 - Conflits d’intérêts et transparence : de nouvelles obligations pour plusieurs milliers d’élus locaux
- Article 31 - Le Conseil constitutionnel valide pour l’essentiel les lois sur la transparence
- Article 32 - La transparence sera aussi locale
- Article 33 - Indemnités des élus : quelles sont les pratiques ?
- Article 34 - Vers le contrôle des déclarations de patrimoine et d’intérêts des responsables des grands exécutifs locaux
- Article 35 - Responsabilité pénale des élus locaux : trente ans d’évolution
- Article 36 - Avantages en nature des élus locaux : les règles du jeu
- Article 37 - Daniel Lebègue, président de Transparency International France : « Il faut restaurer la confiance entre élus et citoyens »
- Article 38 - Conflits d’intérêts : élus locaux, la prudence est de mise
- Article 39 - Les élus locaux sont-ils à l’abri des groupes d’intérêt ?
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