« Le législateur reste le maître de la décentralisation »

Chutes des dotations, suppression à venir de la taxe d’habitation : l’Association des maires de France menace de saisir le Conseil constitutionnel pour atteinte à la libre administration des collectivités et non-compensation intégrale des ressources. L'analyse du constitutionnaliste Guillaume Protière.
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Congrès des maires 2017 : tous les enjeux, tous les débats de la centième édition
voir le sommaireLes collectivités « s’administrent librement par des conseils élus » et « tout transfert de compétences » depuis l’Etat « s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » proclament, notamment, les articles 72 et 72-2 de la Constitution. Suffisant pour garantir leur liberté d’action et condamner baisse des dotations et suppression de la taxe d’habitation ? Seul ce dernier dossier laisse un espoir aux élus locaux, estime Guillaume Protière, maître de conférences en droit public à l’université Lumière-Lyon-II, doyen de la faculté de droit et science politique.
Comment expliquer les désillusions des élus locaux face à l’inutile protection de l’article 72 de la Constitution ?
Il y a un jeu de dupes sur ce que sont les collectivités, qui ne sont pas encore des entités autonomes dans la construction de l’action publique. Elles sont davantage vues comme les bras armés de politiques mises en place par l’Etat. La libre administration voudrait dire « autonomie » ? C’est oublier le troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution : « dans les conditions prévues par la loi ». Le législateur reste le maître de la décentralisation.
Qu’en dit la jurisprudence ?
Certes, un grand pas a été fait avec la possibilité depuis 2010 pour les collectivités de saisir le Conseil constitutionnel, via les questions prioritaires de constitutionnalité. Mais la jurisprudence reste constante pour défendre le pouvoir central, et frileuse sur la décentralisation. Résultat : seules neuf décisions du Conseil constitutionnel ont constaté la violation du principe de libre administration. Et le Conseil d’Etat interprète régulièrement ce principe comme la liberté de fonctionnement, avec des décisions davantage sur la forme que sur le fond.
L’autonomie locale serait une chimère ?
Les élus locaux entendent l’autonomie comme le pouvoir local, la capacité de faire différemment. Or l’autonomie ne peut porter sur les compétences locales car la plupart sont obligatoires. Il n’y a pas de liberté dans le choix des compétences mais dans leur mise en œuvre : le maire peut choisir entre quatre jours et quatre jours et demi hebdomadaires d’école, mais celui qui refuse d’instaurer un service minimal d’accueil se fait taper sur les doigts par le juge…
Les articles 72 et 72-2 peuvent-ils être brandis par les élus locaux pour dénoncer les baisses successives de dotations ?
Sur les dotations, l’Etat peut faire ce qu’il veut : il lui suffit d’assurer un niveau suffisant de dotations pour que les collectivités puissent mettre en œuvre leurs compétences… obligatoires. Pas les autres ! Pour obtenir du juge constitutionnel une hypothétique violation de ce principe du fait de moindres dotations d’Etat, il faudrait aux collectivités démontrer que cette baisse est si importante qu’elle les empêche d’assumer leurs compétences obligatoires. Difficile…
L’AMF soutient que la suppression de la taxe d’habitation, sans compensation intégrale, serait inconstitutionnelle…
Tout est question de ratio financier, celui des « recettes fiscales et ressources propres » qui doivent atteindre « une part déterminante » de l’ensemble des ressources selon l’article 72-2. Celles-ci représentaient 60,8 % en 2003 lors de la révision constitutionnelle et 68,9 % en 2015. Or, avec une taxe d’habitation qui représente 21 des 86 milliards de ressources propres des collectivités, la suppression de la TH occasionnerait un taux de seulement 51 % de ressources propres. Sauf à affecter aux collectivités d’autres ressources fiscales ou à en créer d’autres, la constitutionnalité de la mesure sera difficile à faire valoir pour l’Etat. Car même une compensation par dotation à l’euro près n’entrerait pas dans le champ des ressources propres.
Références
Sommaire du dossier
25 articles Lire le 1er article- Article 01 - Emmanuel Macron propose un « compagnonnage républicain » aux maires
- Article 02 - Statut de l’élu, cumul dans le temps, nombre d’élus : les précisions d’Emmanuel Macron
- Article 03 - « Il n’y aura pas de tutelle » financière, promet Gérard Darmanin aux maires
- Article 04 - Investissement public local : la reprise plus que jamais incertaine pour 2018
- Article 05 - Gérard Larcher, héraut proclamé des collectivités (non métropolitaines)
- Article 06 - Des élus esseulés face aux problématiques foncières
- Article 07 - Devant les maires, Edouard Philippe repousse tout procès en recentralisation
- Article 08 - Jacques Mézard se fait le VRP de la « cohésion des territoires »
- Article 09 - Rythmes scolaires : des communes en plein doute!
- Article 10 - Etre maire, la nouvelle ère
- Article 11 - Congrès des maires : sans inflexion de l’exécutif, l’AMF saisira le Conseil constitutionnel
- Article 12 - François Kraus, Ifop : « le renouvellement de la confiance aux maires en place n’est pas gagné »
- Article 13 - Désordre climatique : le maire, un « fantassin de la proximité » sans moyens ?
- Article 14 - Le regard des Français sur leur maire… et leurs attentes pour les municipales 2020
- Article 15 - Conseillers municipaux : comment exister à l’EPCI quand on n’y siège pas ?
- Article 16 - « Le législateur reste le maître de la décentralisation »
- Article 17 - Faut-il reporter les élections municipales d’un an, au printemps 2021 ?
- Article 18 - Sécurité publique : les élus locaux craignent le retrait de l’Etat
- Article 19 - Comment les associations départementales des maires soutiennent les élus
- Article 20 - Martin Vanier : « On ne lutte pas contre les fractures en en faisant un problème territorial »
- Article 21 - La missive d’Edouard Philippe aux maires à moins d’un mois du Congrès
- Article 22 - Contrats aidés : la continuité du service public local doit être garantie par des agents territoriaux
- Article 23 - Le maire est tenu de convoquer le conseil municipal si une majorité d’élus le demande
- Article 24 - Assumer le mandat de maire, un calvaire parfois très éphémère…
- Article 25 - Taxe d’habitation supprimée : comment préserver l’autonomie financière communale ?
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