Aussi sinistre soit-elle, la dévitalisation des centres-villes n’est pas immuable

Alors que les centres de Rodez, Béziers, Landerneau, Lunéville ou Rambouillet se vident progressivement de leurs commerces comme de leurs habitants, le livre « Comment la France a tué ses villes » offre une explication de ce phénomène complexe. L’auteur, Olivier Razemon, volontairement alarmiste pour susciter une prise de conscience, invite les élus et décideurs locaux à ne plus nier la situation. Mais, au contraire, à l’affronter.
N’importe quel élu local lisant un passage concernant son propre territoire dans « Comment la France a tué ses villes », le dernier livre d’Olivier Razemon, risquerait de prendre spontanément la mouche.
Un peu à la manière dont les maires indignés de Saint-Etienne, Dunkerque, Maubeuge ou Saint-Nazaire ont réagi après de récents articles du Monde et des commentaires désobligeants de Catherine Deneuve, Johnny Hallyday ainsi que du duo Eric & Ramzy sur leurs communes.
Cette fois-ci, il n’y a pourtant aucune raison de s’offusquer des tableaux sinistres que ce journaliste indépendant dresse de leurs villes respectives.
Abrupt mais factuel
Racontant le sort de territoires urbains en déshérence, l’auteur de « La tentation du bitume » ou du « Pouvoir de la pédale » multiplie les constats abrupts, certes, mais factuels.
© Rue de l’échiquier
Là, des logements vides qui commencent à tomber en ruine, à quelques dizaines de mètres à peine de la place du marché. Une vague de paupérisation grignote l’hyper-centre. Le quartier, hier central, se transforme progressivement en un tissu d’habitat indigne que continuent à fuir les classes moyennes supérieures désireuses de rallier une banlieue pavillonnaire cossue en périphérie.
Une bonne centaine de villes moyennes concernées par la vacance commerciale
A noter que ce phénomène de crise urbaine ne touche pas que des centres-bourgs victimes de la mondialisation et de la désindustrialisation. Rodez ou Vitré, pourtant présentées comme des villes dynamiques avec un faible taux de chômage, sont aussi concernées.
Si les cœurs de villes des communes touristiques et les métropoles parviennent encore à tirer leur épingle du jeu, plus d’une centaine de villes moyennes doivent toutefois faire face aujourd’hui à une grave vacance commerciale. A quoi s’ajoute, donc, la multiplication de logements vides, à mille lieues des mantras gouvernementaux alertant en boucle sur une « crise du logement » qui semble véritablement circonscrite aux zones tendues…
Aussi tragique et déplaisant soit-il de prime abord, le sujet de la dévitalisation urbaine n’en est pas moins réel pour Soissons, Périgueux, Saint-Dizier, Arras ou Melun.
Mondialisation du phénomène
Surtout, et c’est là que les édiles et leurs populations locales n’ont pas forcément à se sentir montrés du doigt, il n’a rien de spécifique à un territoire en particulier. C’est un phénomène global et structurel chiffré par l’Insee et documenté par des associations d’élus tels que l’APVF, Villes de France ou Centre-ville en mouvement, phénomène que l’on constate dans nombre de zones d’habitat peu denses, en France comme d’autres pays d’Europe (Belgique, nord de l’Angleterre, Allemagne de l’est) et du monde (Etats-Unis). Raison de plus pour ne pas nier la situation, mais essayer de chercher à la comprendre.
« A Sedan ou à Pamiers, les centres-villes ont été littéralement dissous par un puissant “magma périurbain”. Il y a une prolifération des centres commerciaux, parcs d’activités, hôtels, restaurants, piscines, cinémas et autres centres culturels en périphérie. A Privas, même les services publics tel que Pôle emploi ont déménagé en sortie de ville. Allez-vous promener – à pied ou en vélo car nous avons alors un regard différent qu’en voiture, croyez-moi – à Albi, Troyes, Saint-Brieuc et Colmar, et vous constaterez partout la même tendance », assène Olivier Razemon, l’auteur, lors d’une conférence organisée mardi 4 octobre par sa maison d’édition.
La responsabilité du consommateur
Estimant qu’« il faut comprendre ce qui est en train de se passer avant d’envisager des solutions », le journaliste diagnostique plus qu’il n’offre de remèdes. Outre que ce ne soit pas son métier, il explique ne pas croire au « Grand soir », au « solutionnisme » qui résoudrait tout d’un claquement de doigts. Et pour cause : la crise des centres-villes ne découle pas d’un complot ourdi par une oligarchie d’élus et de lobbyistes de la grande distribution avides qui contrôlerait tout sur tout.
Ce phénomène résulte bien davantage des comportements paradoxaux de la grande majorité de nos concitoyens, habitués à se mouvoir rapidement en voiture individuelle dans nos sociétés de consommation modernes. « Nous sommes tous responsables, à des degrés divers […] Nous courons à Intermarché ou à Lidl pour dénicher tel indispensable aromate ou pour profiter des prix “ultra-légers”. Mais nous déplorons la fermeture de l’épicerie de quartier », écrit laconiquement l’auteur.
S’appuyer sur le volontarisme citoyen et le « muscle » municipal ou départemental
Pour autant, de plus en plus de collectifs de citoyens responsables ainsi que d’autorités locales volontaristes tentent, à leur petite échelle, de redynamiser leurs centres-villes.
Cela passe par la création d’espaces publics de qualité, la multiplication des aménagements cyclables ou piétons au détriment des voitures, le développement de circuits-courts, les préemptions de commerces fermés ou des subventions pour aider à payer les ravalements de façade, etc. Il ne faut pas tout noircir. Une prise de conscience semble en train de s’opérer progressivement.
Attention néanmoins aux demi-solutions et à ne pas s’arrêter en cours de chemin : « Certaines associations de commerçants ou managers de centre-ville multiplient les animations pour les rendre à nouveau attractifs. C’est-à-dire qu’ils singent les pratiques des centres commerciaux, qui eux-mêmes ont singé les villes sans aucune vergogne… », ironise Olivier Razemon, qui dit sa faveur pour des politiques plus directes et radicales, en amont : « La première chose à faire consiste d’abord et avant tout à muscler les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC), pour juguler l’installation de commerces en périphérie et freiner l’extension de zones commerciales existantes. » A bon (élu) entendeur, salut !
Références
- « Comment la France a tué ses villes », d’Olivier Razemon. Aux éditions Rue de l’échiquier. 192 pages. Sortie le 13 octobre.
Sommaire du dossier
27 articles Lire le 1er article- Article 01 - L’épargne privée : une piste pour la revitalisation des « cœurs de ville » ?
- Article 02 - La « revanche » des villes moyennes, une prophétie loin d’être accomplie
- Article 03 - Revitalisation commerciale : « aux collectivités d’accompagner les plateformes digitales locales »
- Article 04 - Des boutiques pour transformer l’essai de la revitalisation commerciale
- Article 05 - Doit-on limiter l’expansion des surfaces commerciales en périphérie ?
- Article 06 - De la nécessité de se préserver des rivalités communales, poison de la revitalisation
- Article 07 - Quand un bourg du Nord implique la grande distribution dans le soutien au petit commerce
- Article 08 - « L’urgence ? S’attaquer à la culture de la périphérie et réguler l’e-commerce »
- Article 09 - Action cœur de ville contre Pacte de revitalisation des centres-bourgs, le cœur des maires oscille
- Article 10 - « Action cœur de ville » : publication du guide pour la revitalisation des 222 territoires retenus
- Article 11 - Revitalisation des centres-villes : du laisser-aller à une action globale
- Article 12 - Les 222 villes moyennes sélectionnées pour bénéficier du plan « Action cœur de ville »
- Article 13 - Le plan « Action cœur de ville » sera-t-il à la hauteur pour dissiper le blues des élus locaux ?
- Article 14 - Centres-villes : la Caisse des dépôts accélère le rebond de Châtellerault
- Article 15 - Strasbourg, un centre-ville dynamique… car piétonnisé et apaisé !
- Article 16 - Urbanisme commercial : la douce révolte contre l’étalement urbain
- Article 17 - « Fiscalisons davantage les constructions en plein champ pour sauver les centres-villes »
- Article 18 - Saturation commerciale sur la Côte d’Azur !
- Article 19 - Régulation de l’urbanisme commercial : tiraillements au sommet de l’Etat
- Article 20 - Vers un moratoire limitant l’extension de la grande distribution ?
- Article 21 - Revitalisation des centres-villes : l’espoir est permis… sous conditions !
- Article 22 - Aussi sinistre soit-elle, la dévitalisation des centres-villes n’est pas immuable
- Article 23 - Centres-villes : « Ce plan s’attaque aux bons problèmes, mais de manière cosmétique »
- Article 24 - Trois mesures gouvernementales pour lutter contre la vacance commerciale
- Article 25 - « L’Etat et les régions ont un rôle à jouer pour accompagner les villes en décroissance »
- Article 26 - Revitaliser le centre-bourg : comment passer du constat à l’action !
- Article 27 - Le péage urbain, « la » solution pour améliorer la qualité de l’air des villes ?
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La fin de la croissance, suivie de la décroissance, s’annonce épique.
http://www.theguardian.com/environment/earth-insight/2013/jul/19/economy-end-growth-resource-scarcity-costs
L’aménagement de la place Napoléon à La Roche sur Yon est un bel exemple de «contre balançage» de se processus car il a permis à de nouveaux commerces d’ouvrir en semaine et surtout le dimanche avec l’afflux des gens.
Tout est possible.