Montreuil boucle son premier budget participatif, après Paris et Grenoble

Troisième grande ville à avoir mis en place un budget participatif, Montreuil (Seine-Saint-Denis) vient d'annoncer, à l'issue d'une procédure de plus de 6 mois, les 35 lauréats de sa première édition. Retour sur une démarche rondement menée, mais aussi critiquée.
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Les collectivités territoriales et la démocratie participative
voir le sommairePour penser son budget participatif, la nouvelle municipalité de gauche plurielle (FdG, EELV et PS) ne se cache pas d’avoir regardé du côté de sa voisine, Paris, lancée dans la démarche dès 2014.
Cependant, elle a choisi de mobiliser ses habitants sur la production de projets tandis que les Parisiens, la première année, se sont prononcés sur des projets municipaux. Montreuil a réservé 5 % de son budget annuel d’investissement à l’opération, soit au total 3 millions d’euros répartis sur six secteurs géographiques (de deux à trois quartiers chacun) et sur deux ans, fréquence entre deux éditions.
« Il semblait important que les habitants voient le résultat de leur travail avant d’être de nouveau sollicités. C’est une question de confiance », s’explique Tania Assouline, maire adjointe (PS) à la démocratie locale.
Une limite de 250 000 euros par projet… 287 projets déposés
Pour être retenus, les projets devaient :
- proposer une transformation de l’espace public ou d’un équipement de proximité,
- bénéficier gratuitement à tous les habitants,
- s’inscrire dans les compétences municipales,
- être réalisables dans les deux ans.
Ils devaient en outre relever du budget d’investissement de la ville et n’engager qu’un minimum de frais de fonctionnement. Enfin, une limite de 250 000 euros par projet était imposée pour que plusieurs projets puissent être adoptés dans chaque secteur.
Dans la phase d’appel à projets, au cours du mois de juin, explique Tania Assouline, « nous avons mis en place six ateliers d’accompagnement des projets, un dans chaque secteur. Mais l’expérience nous a montré qu’il aurait fallu renforcer ce soutien aux porteurs de projets ».
Malgré cela, le 30 juin, 287 projets avaient été déposés par des groupes d’habitants, comme des conseils de quartiers, des associations ou des centres de loisirs. Les services municipaux ont eu ensuite trois mois pour en analyser l’éligibilité. « Nous ne nous attendions pas à recevoir tant de projets, reconnaît l’élue. Nos services ont été un peu débordés. Il a pu y avoir quelques ratés… ».
13 et 14 novembre : le vote des habitants
129 projets ont passé le filtre de l’analyse technique, un nombre jugé élevé par la ville, notamment en comparaison avec Paris. Alors que chaque arrondissement parisien compte en moyenne plus d’habitants que Montreuil (104 000 habitants environ), une moyenne de 32 à 33 projets par arrondissement ont été soumis aux Parisiens en 2015, pour la seconde édition du budget participatif.
A Montreuil, les habitants à partir de 11 ans étaient appelés aux urnes électroniques du 13 au 14 novembre, pour sélectionner trois projets, classés par ordre de préférence, selon un système de pondération.
Résultat : 35 projets ont été désignés, pour un montant total estimé à 2 360 580 euros, soit bien moins que les 3 millions d’euros prévus initialement.
Explication ? Secteur par secteur, les projets ont été retenus par ordre d’arrivée dans les votes, jusqu’à se rapprocher le plus possible de la limite infranchissable des 500 000 euros. « L’argent non utilisé est placé dans une réserve pour pallier les aléas, rassure l’élue. Et s’il n’est pas dépensé, il sera reversé au prochain budget participatif ».
Participation relativement faible
Précisément, 1 387 Montreuillois se sont exprimées, via un module de vote sur internet ou l’une des six bornes électroniques mises à leur disposition dans la ville.
En détail, l’opération a reproduit la fracture Bas-Montreuil/Haut-Montreuil, au cœur de toutes les promesses électorales dans la ville depuis des décennies.
Les deux grands secteurs du Bas-Montreuil, proches de Paris et Vincennes et caractérisés par une présence de plus en plus importante de catégories sociologiques favorisées, représentent à eux seuls plus de 50% des votants. Et plus on s’enfonce à l’est, dans la banlieue, moins les habitants se sont sentis concernés par l’initiative de la mairie.
Plus largement, dans une commune réputée pour son important tissu associatif et d’habitants engagés, 1 387 participants sur une population totale d’environ 104 000 habitants paraît un résultat bien faible.
La représentante de la mairie relativise : « C’est, proportionnellement, autant qu’à Paris la première année et plus qu’à Grenoble, avec des moyens inférieurs ». En réalité, en 2014, pour sa première édition, la capitale avait enregistré un score de 1,82% de participation (vote sans condition d’âge), contre 1,33% pour Montreuil, tandis qu’à Grenoble (vote à partir de 16 ans), 0,62% de la population s’était mobilisée.
Elus et services co-construisent avec les habitants
Dernière phase du budget participatif, la mise en œuvre des projets, étalée sur deux ans, fera l’objet d’un double suivi, global à l’échelle de la commune avec des conseils de quartier et des aînés, et plus opérationnel dans les quartiers, avec tous les acteurs concernés.
« C’est une méthode nouvelle, insiste l’adjointe à la démocratie participative. Les services et les élus devront adopter une approche de co-construction avec les habitants ».
Cette approche, certains dans la ville auraient apprécié de la voir intervenir plus en amont du processus, à l’image de Jean-Marc Gerbeau, animateur-fondateur du conseil de quartier des Ruffin (Haut-Montreuil) et militant apolitique proche d’une petite frange de l’opposition (de gauche) à la majorité.
« Demander aux habitants ce qu’ils veulent faire en termes d’investissement de structure sur la ville, c’est une démarche intéressante mais qui se murit longuement pour ne pas tomber dans le saupoudrage de mesurettes », estime-t-il.
Dans le quartier République (Bas-Montreuil), par exemple, si l’on apprécie en soi l’idée d’une piétonisation partielle de la place centrale, certains habitants rappellent que ce projet, qui a été voté, vient s’imposer à la réflexion beaucoup plus approfondie sur le réaménagement global du quartier, actuellement en cours.
Elaboration trop hâtive pour être honnête ?
Autre critique, Jean-Marc Gerbeau regrette que les projets d’habitants d’un même quartier n’aient pas été étudiés au préalable dans l’optique de les agréger.
« Plutôt que de mettre en concurrence des projets sur un même quartier, on aurait pu remettre du collectif dans la démarche et aboutir à des projets plus construits, plus larges », regrette le militant. Dans son propre quartier, il anticipe par ailleurs, le fait que deux projets d’aménagement adoptés, chiffrés séparément, ne seront pas mis en œuvre en même temps, excluant toute possibilité de mutualisation des moyens et d’économies pour la commune.
De son point de vue, la démarche du budget participatif a été élaborée de manière beaucoup trop hâtive pour ne pas cacher d’abord une belle opération de communication. « Ici, c’est le “Parti communique” ! », ironise cette forte tête, avec un jeu de mots sur le parti communiste du maire, Patrice Bessac.
Les critiques sont réfutées à l’hôtel de ville où l’on dénonce une posture d’opposition systématique, dans un contexte politique clivé et tendu au sein des gauches depuis depuis des années. Tania Assouline, pour sa part, reconnaît que le dispositif du budget participatif n’est pas parfait mais elle insiste sur le caractère expérimental de la démarche, amenée à évoluer au fil du temps.
Sommaire du dossier
34 articles Lire le 1er article- Article 01 - Nouvelle mandature : un débat public local à vivifier
- Article 02 - « Ne craignez pas d’aborder les enjeux de fond qui préoccupent nos concitoyens »
- Article 03 - L’Indre-et-Loire promeut la participation cantonale
- Article 04 - La participation citoyenne en perpétuel chantier
- Article 05 - Démocratie participative : « l’outil a pris le pas sur l’objectif politique »
- Article 06 - « Chambre de la société civile » : faut-il institutionnaliser la participation citoyenne ?
- Article 07 - Comment 400 Mulhousiens ont pesé dans l’attribution d’un marché public
- Article 08 - Les budgets participatifs, étape par étape
- Article 09 - Les conseils de quartier
- Article 10 - La démocratie participative cherche sa place au milieu des institutions
- Article 11 - Les comités consultatifs locaux
- Article 12 - Votations locales : organiser la campagne et le scrutin
- Article 13 - Mettre en place référendums et consultations
- Article 14 - « Coopérative » et « continue » : les préconisations du Sénat pour dépasser la démocratie participative
- Article 15 - Démocratie participative : pas si simple ! alertent les élus locaux
- Article 16 - La démocratie semi-directe, pour des débats publics de qualité et un système politique efficace
- Article 17 - Budgets participatifs : à la recherche de la collaboration optimale
- Article 18 - Portrait-robot de ces communes qui ont lancé un budget participatif
- Article 19 - Un pas vers une meilleure concertation sur les projets impactant l’environnement
- Article 20 - Paris veut embarquer ses élus et les agents de la Ville dans sa mutation participative
- Article 21 - Conseils citoyens : des instances incontournables du contrat de ville
- Article 22 - Montreuil boucle son premier budget participatif, après Paris et Grenoble
- Article 23 - Dialogue environnemental : pour une plus grande participation des citoyens, plus tôt
- Article 24 - Dialogue environnemental : « Nos propositions devront être opérationnelles, sans être sources de vices de forme »
- Article 25 - « La pédagogie sur les politiques publiques est un enjeu démocratique central »
- Article 26 - Environnement : vers un renforcement de la démocratie participative
- Article 27 - Démocratie participative : des propositions pour « renforcer le lien entre élu-e-s et citoyen-ne-s »
- Article 28 - Yves Sintomer, professeur de sciences politiques : « Le tirage au sort permettrait de recrédibiliser la politique »
- Article 29 - « Faire appel à la société civile locale pour solidifier notre démocratie »
- Article 30 - Diagnostics urbains « en marchant » : quand les usagers font l’expertise
- Article 31 - Alice Mazeaud : « Fixer les règles du jeu et s’y tenir » pour réussir son budget participatif
- Article 32 - Le cadre juridique de la démocratie participative, du légal à l’extralégal
- Article 33 - 50 questions sur la démocratie locale – Droit pratique
- Article 34 - Les finalités de la démocratie participative : quelle complémentarité entre démocratie représentative et démocratie participative ?
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