La valse des préfets dans les territoires épinglée par la Cour des comptes

Dans un référé rendu public le 23 septembre 2014, la Cour des comptes dénonce les changements d’affectation trop fréquents des préfets dans les régions et départements. Un turn-over qui nuit à leur efficacité sur le terrain et à la bonne collaboration avec les élus locaux. La Rue Cambon préconise des affectations de trois ou quatre ans, au minimum.
24,3 mois : c’est, en 2013, la durée moyenne d’affectation d’un préfet à un poste territorial. « La durée moyenne de fonctions des préfets dans un poste territorial, qui n’était en 2006 que de deux ans et six mois, a pourtant continué de diminuer, pour se stabiliser autour de deux ans depuis 2010 », déplore le premier président de la Cour des comptes, dans un référé daté du 9 juillet 2014, adressé à Matignon et à la Place Beauvau. Un phénomène « encore un peu plus marqué chez les préfets de département et, surtout, chez les préfets délégués », précise la Cour.
Une valse trop rapide aux effets délétères
Or, ces « passages éclairs » des représentants de l’Etat au niveau local posent problème, alerte-t-elle.
« Bien que l’alternance des préfets réponde à des besoins, notamment parce que la neutralité locale d’un haut fonctionnaire est un exercice d’autant plus difficile que son affectation territoriale est longue, le rythme actuel est, de l’avis général, excessif. Cette instabilité nuit à la continuité des politiques publiques et donc à leur efficacité, complexifie le partenariat entre Etat et collectivités territoriales, effrite la légitimité des préfets auprès de leurs équipes et des élus locaux. En outre, elle va à l’encontre d’une évaluation sereine et objective des résultats obtenus par les intéressés », assène la Rue Cambon.
Cette instabilité nuit à la continuité des politiques publiques et donc à leur efficacité, complexifie le partenariat entre Etat et collectivités territoriales, effrite la légitimité des préfets auprès de leurs équipes et des élus locaux. »
Pourquoi ce turn-over massif des représentants de l’Etat ?
Les raisons de ce turn-over massif sont connues, la Cour rappelle les principales :
- resserrement du calendrier électoral ;
- fréquence des remaniements du gouvernement, « car les préfets sont relativement nombreux dans les cabinets ministériels » ;
- nomination de quelques préfets, « ou même d’un seul, [qui] déclenche plusieurs mutations en cascade… »
Sans oublier un certain désintérêt de l’Etat pour un minimum de pérennité de sa représentation dans les territoires.
« D’autres facteurs sont liés à des choix de l’exécutif qui peuvent ne pas tenir suffisamment compte des avantages de la stabilité des affectations », souligne pudiquement la Cour.
Les solutions de la Cour des comptes
Augmenter la durée moyenne d’affectation, grouper les nominations
Pour y remédier, cette dernière propose deux pistes simples.
- D’abord, « fixer, comme autant de guides, des objectifs de durée minimale, par exemple trois années pour les préfets de département et une durée un peu plus longue pour les préfets de région, sauf exception », de quatre ans.
- Ensuite, contrer l’effet domino d’une affectation en faisant en sorte que « les nominations et les mouvements qu’elles entraînent [soient] davantage regroupés dans le temps ».
Selon les magistrats financiers, cette volonté d’accroître « sensiblement la durée moyenne d’affectation des préfets », vise, ni plus ni moins, à améliorer la qualité des relations et des coopérations menées au niveau local, les missions des préfets nécessitant notamment « des liens de confiance et une compréhension des enjeux qui ne peuvent se développer que dans la durée ».
Chiffres Clés
En 2013, sur un effectif de 250 préfets gérés par le ministère de l’Intérieur :
- 127 sont affectés à un poste territorial,
- 75 sont en situation dite « hors cadre». Les préfets "hors cadre" sont ceux qui : entre deux affectations territoriales, n'en ont pas d'autre ; exercent des fonctions, en général pour plusieurs années, en dehors du ministère, mais restent payés par lui ; exercent des fonctions de responsabilité variées au ministère de l'Intérieur ; ont été nommés en mission de service public.
- 37 sont détachés,
- 12 sont en disponibilité,
- 1 est en dehors des cadres.
2,5 : c'est le nombre moyen, très faible, d'affectations territoriales connues par les préfets partis en retraite en 2013. La raison ? Le nombre très important d'affectations hors cadre dans une carrière.
Références
- Référé sur la gestion des préfets et réponse du Premier ministre, 23 septembre, sur le site de la Cour des comptes
Sommaire du dossier
18 articles Lire le 1er article- Article 01 - « L’influence des gilets jaunes sur la réforme de l’Etat peut être positive »
- Article 02 - La Cour des comptes épingle la gestion par l’Etat de ses services déconcentrés
- Article 03 - Revue des missions de l’Etat : bientôt moins de contrôle et davantage de conseil aux collectivités ?
- Article 04 - Réforme de l’Etat en régions : accords et désaccords entre élus et préfets préfigurateurs
- Article 05 - Réforme de l’Etat : premières décisions en mars 2015
- Article 06 - La valse des préfets dans les territoires épinglée par la Cour des comptes
- Article 07 - Le département privilégié par l’Etat… pour ses services déconcentrés
- Article 08 - Normes, administration numérique et services déconcentrés : les priorités de Thierry Mandon
- Article 09 - Le deuxième texte de décentralisation sera-t-il aussi un acte de déconcentration ?
- Article 10 - Après les commissaires au redressement productif, des référents uniques pour les investissements
- Article 11 - Réforme de l’Etat : le Commissariat général à l’égalité des territoires sera créé début 2014
- Article 12 - Modernisation : 200 mesures pour simplifier et renforcer l’administration territoriale
- Article 13 - Après la Réate et la RGGP, les services déconcentrés seront auscultés par la MAP
- Article 14 - Les régions appellent l’Etat à éradiquer ses doublons dans les collectivités territoriales
- Article 15 - Trois scénarios pour une réforme de l’Etat départemental
- Article 16 - Contrôle de légalité : un service affaibli face à une demande locale soutenue
- Article 17 - Daniel Canépa, ancien préfet d’Ile-de-France et de Paris : « Le conseil aux collectivités territoriales l’emporte largement sur le contrôle »
- Article 18 - Après la RGPP et la REATE… Que reste-t-il de l’Etat local?
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