Face à une pauvreté qui s’installe, les acteurs sociaux affinent la prévention

Dans les territoires, les acteurs sociaux essaient de prévenir le basculement des personnes en difficulté dans la précarité, la pauvreté. Pour cela, ils cherchent à identifier les "publics cibles" et expérimentent différentes solutions de prévention. Par exemple, les "guichets uniques" qui fédèrent moyens et partenaires et permettent de tisser un "filet de sécurité". Et des modes d’intervention qui placent le bénéficiaire en position d’acteur, loin de l’approche caritative.
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Le maire et la lutte contre la précarité : l'action des territoires
voir le sommaire8,7 millions de personnes pauvres, soit 14,3 % de la population, contre 14,1 % en 2010. La pauvreté s’accroît davantage parmi les chômeurs et les jeunes âgés de 18 à 29 ans, indique l’Insee. De son côté, la Fondation de France estime que 5 millions de personnes sont considérées comme seules en France, en 2013. Soit 12 % des personnes de plus de 18 ans. « L’âge, la pauvreté et le chômage font sortir une frange croissante de notre société du cours « normal » de la vie », écrit-elle.
Le 22 janvier 2013 lors du comité interministériel de lutte contre l’exclusion, le gouvernement a adopté un plan quinquennal destiné à répondre à la crise sociale, à la suite de la Conférence contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale achevée fin décembre 2012,
L’action sociale, un « bon investissement »
Selon l’Insee, le seuil de pauvreté, qui correspond à 60 % du niveau de vie médian de la population, s’établit à 977 euros mensuels en 2011. La pauvreté continue d’augmenter, mais plus modérément qu’en 2010.
Quand bascule-t-on dans la précarité ? Quels sont les publics à risques ? Comment empêcher cette chute ? Sur le terrain, élus et acteurs du social expérimentent des solutions de prévention, partant du constat qu’agir en urgence s’apparente à une fuite en avant, tant pour le public que pour la gestion de leur commune. Ce qui incite à voir l’action sociale comme un investissement et non comme une dépense.
Comment repérer les personnes vulnérables ? Car, si une partie des Français pauvres ne se déclarent pas (le non-recours aux droits représenterait 6 Md€ par an, selon l’Observatoire des non-recours), ceux qui risquent de les rejoindre sont encore davantage marqués par l’invisibilité, n’étant pas inclus dans un dispositif d’aide sociale.
Identifier les populations confrontées à la pauvreté
A l’échelle nationale, statistiques et bilans des associations caritatives ont permis d’identifier des groupes précis : familles monoparentales, enfants élevés dans une famille modeste, personnes âgées isolées, travailleurs pauvres et, nuance de taille, travailleurs s’appauvrissant, dont le salaire ne parvient plus à couvrir la hausse des factures quotidiennes, en particulier énergétiques.

S’aidant de nouveaux outils d’observation — diagnostic social partagé, observatoire municipal, analyse des besoins sociaux (ABS) réalisée par le CCAS —, des communes affinent leurs informations au niveau local et identifient leurs propres publics cibles.
Elles créent alors du lien avec ces personnes peu utilisatrices des services publics – et qui, pour certaines, voient cet intérêt de la collectivité comme une volonté de prise de contrôle. « Pour combler ce fossé, nous avons transformé, en apparence comme dans l’accueil, nos centres sociaux en maisons des habitants, les rendant ainsi moins stigmatisants. Il était devenu essentiel de repenser notre action pour inclure les classes moyennes modestes », explique Olivier Noblecourt, adjoint (PS) au maire de Grenoble (38) en charge de l’action sociale.
Tisser un filet de sécurité
Sur le terrain, l’anticipation s’appuie sur la mise en place de « guichets uniques » qui fédèrent moyens et partenaires et permettent de tisser un filet de sécurité. Elle opte aussi pour des modes d’intervention qui placent le bénéficiaire en position d’acteur, loin de l’approche caritative.
« Il faut aller sur des terrains nouveaux. Par exemple, entrer en contact avec les propriétaires privés pour les inciter à réaliser des travaux d’isolation thermique », explique Laurent Debrach, élu (PS) à la mairie de Limoges (87).
Dans cette bataille, les élus en appellent à la solidarité nationale. Les communes rurales soulignent qu’elles ne disposent pas des mêmes services publics que les villes, alors même qu’elles accueillent de plus en plus de familles modestes en recherche de petits loyers. Des villes « pauvres », souvent celles qui concentrent les zones urbaines sensibles de leur agglomération, tirent la sonnette d’alarme.
« Non aux politiques pour pauvres ! »
© Compas
Références
- Les niveaux de vie en 2011, Insee Première n°1464, septembre 2013
- Les solitudes en France, Fondation de France, juin 2013
- La Conférence contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale
- Le Centre d'observation et de mesure des politiques sociales (Compas), dont le siège est à Nantes, est spécialisé dans l'observation sociale territoriale : analyse des besoins sociaux, création d'observatoires, etc. Le Compas réalise aussi des études et propose des journées de formation aux outils de l’observation territoriale. Son directeur, Hervé Guéry, plaide pour une politique sociale élaborée pour le long terme (lire l'entretien).
- L’Observatoire des non-recours. Animé par des chercheurs, cet observatoire essaie d’expliquer pourquoi des individus ne recourent pas, volontairement ou non, à l’offre publique, et comment les institutions et services publics se saisissent des phénomènes de non-recours.
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L’Observatoire national des zones urbaines sensibles. L’Onzus, créé en 2003, contribue à une meilleure connaissance des quartiers de la politique de la ville et à l’évaluation des politiques publiques menées en leur faveur.
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Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Le CNLE assiste le gouvernement sur toute question de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Il regroupe notamment rapports et études, dont le Rapport du gouvernement sur la pauvreté de décembre 2012.
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L’Observatoire des inégalités. Organisme indépendant d’information et d’analyse, lil propose différentes études, notamment sur l’exclusion, dont le taux de pauvreté à l’échelle locale pour les 100 plus grandes villes. Il ouvre également le débat sur le choix des seuils de pauvreté, qui varient selon les organismes.
- Guide national relatif à la prévention et à la gestion des impacts sanitaires et sociaux liés aux vagues de froid 2013-2014, instruction ministérielle n°DGS/DUS/DGOS/DGCS/DGSCGC/DGT/2013/351 du 26 septembre 2013.
Sommaire du dossier
22 articles Lire le 1er article- Article 01 - La loi « engagement et proximité » aurait-elle créé un délit de mendicité ?
- Article 02 - Plan pauvreté : toutes les mesures qui concernent les collectivités locales
- Article 03 - Habitat précaire : reconnaître l’état de fait
- Article 04 - Collectivités territoriales : des outils pour faire face au développement de la mendicité
- Article 05 - La pauvreté est la plus élevée dans les villes centres des grands pôles urbains
- Article 06 - Pour 80 % des maires, la pauvreté a augmenté
- Article 07 - L’intercommunalité et le non-cumul des mandats, facteurs de risques pour l’action sociale ?
- Article 08 - Face à une pauvreté qui s’installe, les acteurs sociaux affinent la prévention
- Article 09 - Accord pour le Fonds européen d’aide aux plus démunis
- Article 10 - Les épiceries sociales et solidaires veulent sortir du Fonds européen d’aide alimentaire
- Article 11 - Appel à projets pour 3 000 logements PLAI
- Article 12 - Les CCAS constatent une augmentation des demandes d’aides
- Article 13 - La dégradation du « vivre-ensemble » préoccupe les maires
- Article 14 - Hervé Guéry, directeur du Compas : « Passer de l’action sociale à une politique sociale »
- Article 15 - CCAS facultatifs : l’UNCCAS craint un recul des droits sociaux
- Article 16 - Précarité sociale : quelles solutions pour favoriser le logement des jeunes ?
- Article 17 - L’Union européenne veut contribuer à la lutte mondiale contre la pauvreté
- Article 18 - L’Etat compensera le financement des allocations de solidarité
- Article 19 - Lutter contre les impayés de cantine : une mesure d’inclusion sociale
- Article 20 - Territoires ruraux : détecter les personnes précarisées et leur proposer un accompagnement renforcé
- Article 21 - Guillaume Bapst, directeur de l’ANDES : « Les collectivités sont les premiers financeurs des épiceries sociales et solidaires »
- Article 22 - La lutte contre l’habitat indigne : un combat aux multiples facettes
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