Territoires ruraux : détecter les personnes précarisées et leur proposer un accompagnement renforcé

Les territoires ruraux cumulent plusieurs handicaps : l’accès à l’emploi et à la mobilité, et l’isolement. S'ajoute un élément méconnu qui entrave les initiatives de prévention : la pudeur. Les associations alertent sur un phénomène de résignation qui peut conduire les personnes en difficulté à «se sentir assignées à résidence».
Cet article fait partie du dossier:
Le maire et la lutte contre la précarité : l'action des territoires
voir le sommaire« Dans nos villages, ceux qui pressentent qu’ils vont être en difficulté — agriculteurs de plus de 50 ans isolés, familles monoparentales, jeunes adultes… – ne disent rien. C’est souvent à nous, élus, de deviner et d’aller à leur devant », explique Jean-Paul Carteret, maire (PS) de Lavoncourt (336 hab.) en Haute-Saône.
« J’arrive, parfois, à déceler des situations délicates en étudiant les impayés de cantine. J’ai donc demandé aux services fiscaux de m’alerter au plus vite pour mettre en place des apurements de dettes », ajoute l’élu.
Frein budgétaire
Afin de faciliter les démarches administratives et diminuer le non-recours aux droits, Lavoncourt s’est doté, en 2011, d’un point visiopublic (PVP), un guichet virtuel connecté à diverses structures publiques (Pôle emploi, CAF, assurance maladie…).
« Malheureusement, ce service n’est pas utilisé par ceux qui en auraient le plus besoin ! déplore Jean-Paul Carteret. Pour ce public, il faudrait mettre en place un vrai suivi. Seules les personnes bénéficiaires du RSA ont l’occasion de rencontrer une assistante sociale du conseil général. Or, notre commune ne peut pas se permettre d’embaucher un professionnel, comme une conseillère en économie sociale et familiale (CESF). »
« Les maires ruraux font preuve de volontarisme mais se heurtent à un manque de moyens financiers. Je rappelle qu’en matière de dotation de base, l’écart entre une commune de moins de 3 500 habitants et une grande ville peut aller jusqu’à 50 % », commente Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF).
Recherche d’efficacité
Grâce à un partenariat public-privé, Saint-Flour (6 689 hab., Cantal) a pu se doter, en 2010, d’une épicerie sociale et, via cette porte d’entrée, mettre en place un accompagnement de proximité. « Nous sommes passés du bon alimentaire délivré sans dialogue à la construction d’un parcours vers un mieux-vivre », explique Patrice Solier, directeur du CCAS.
« L’objectif est de résoudre le problème du moment – voiture à remplacer, dette locative… – pour que la personne sorte de l’embarras, se remobilise et analyse sa situation en profondeur, avec notre équipe, le directeur du CCAS, une CESF et une quinzaine de bénévoles », ajoute-t-il. Cet accompagnement est bâti sur une durée courte, de six mois, « qui permet de se projeter par étape ».
Depuis son ouverture, l’épicerie sociale accueille chaque mois 25 foyers. « On ne peut plus laisser les personnes simplement faire le tour des aides. Ce que nous leur proposons est plus contraignant et ils s’en sentent valorisés », analyse Patrice Solier.
« Optimiser les moyens en pensant et en agissant collectivement »

© J. Chabanne
Pierre Jarlier, sénateur-maire de Saint-Flour (Cantal) : « Le mot d’ordre a été : « fédérer ». Nous avons embauché une personne dévolue à la coordination de ce « contrat social » sur trois ans. »Le Courrier des maires : Comment prévenez-vous le basculement dans la pauvreté ?
Pierre Jarlier. Même si la mobilisation était forte, elle n’était pas coordonnée, alors même que la précarité s’intensifiait. Au printemps 2009, j’ai donc réuni associations, organismes de formation, conseil général, représentants de l’Etat… pour déterminer « qui fait quoi pour qui ? », établir un diagnostic et nous accorder sur des actions prioritaires — accès à l’emploi, aux loisirs, à la santé, aux biens de première nécessité et au logement — évaluées dès leur lancement.
Le mot d’ordre a été «fédérer ». Nous avons embauché en 2010 une personne dévolue à la coordination de ce « contrat social » sur trois ans, doté d’un budget global de 1 750 000 euros.
Sur quels partenariats vous appuyez-vous ?
Plusieurs projets ont été concrétisés grâce à des partenariats avec le secteur privé (ERDF, banques…). Ces nouveaux partenaires ont apprécié la présentation d’un projet global, preuve de notre volonté de coordination. Ils nous ont particulièrement soutenus dans l’ouverture de notre épicerie sociale. Nous nous réunissons en ce mois de janvier [2013] et je pense que nous allons reconduire ce programme arrivé à son terme, à nouveau pour trois ans.
Cette fois-ci, ce sera à l’échelle intercommunale, avec certainement une mutualisation de moyens sous la forme d’un centre intercommunal d’action sociale. Nous avons déjà mis en place un accès à l’éducation musicale pour tous et sur tout le territoire, la culture étant un bon moyen de lutter contre la précarisation.
Références
- « Précarité et exclusion en milieu rural : note d'analyse », étude inter-associative, 2010.
- L’Observatoire des non-recours. Animé par des chercheurs, cet observatoire essaie d’expliquer pourquoi des individus ne recourent pas, volontairement ou non, à l’offre publique, et comment les institutions et services publics se saisissent des phénomènes de non-recours.
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Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Le CNLE assiste le gouvernement sur toute question de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Il regroupe notamment rapports et études, dont le Rapport du gouvernement sur la pauvreté de décembre 2012.
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L’Observatoire des inégalités. Organisme indépendant d’information et d’analyse, lil propose différentes études, notamment sur l’exclusion, dont le taux de pauvreté à l’échelle locale pour les 100 plus grandes villes. Il ouvre également le débat sur le choix des seuils de pauvreté, qui varient selon les organismes.
- Guide national relatif à la prévention et à la gestion des impacts sanitaires et sociaux liés aux vagues de froid 2013-2014, instruction ministérielle n°DGS/DUS/DGOS/DGCS/DGSCGC/DGT/2013/351 du 26 septembre 2013.
Sommaire du dossier
22 articles Lire le 1er article- Article 01 - La loi « engagement et proximité » aurait-elle créé un délit de mendicité ?
- Article 02 - Plan pauvreté : toutes les mesures qui concernent les collectivités locales
- Article 03 - Habitat précaire : reconnaître l’état de fait
- Article 04 - Collectivités territoriales : des outils pour faire face au développement de la mendicité
- Article 05 - La pauvreté est la plus élevée dans les villes centres des grands pôles urbains
- Article 06 - Pour 80 % des maires, la pauvreté a augmenté
- Article 07 - L’intercommunalité et le non-cumul des mandats, facteurs de risques pour l’action sociale ?
- Article 08 - Face à une pauvreté qui s’installe, les acteurs sociaux affinent la prévention
- Article 09 - Accord pour le Fonds européen d’aide aux plus démunis
- Article 10 - Les épiceries sociales et solidaires veulent sortir du Fonds européen d’aide alimentaire
- Article 11 - Appel à projets pour 3 000 logements PLAI
- Article 12 - Les CCAS constatent une augmentation des demandes d’aides
- Article 13 - La dégradation du « vivre-ensemble » préoccupe les maires
- Article 14 - Hervé Guéry, directeur du Compas : « Passer de l’action sociale à une politique sociale »
- Article 15 - CCAS facultatifs : l’UNCCAS craint un recul des droits sociaux
- Article 16 - Précarité sociale : quelles solutions pour favoriser le logement des jeunes ?
- Article 17 - L’Union européenne veut contribuer à la lutte mondiale contre la pauvreté
- Article 18 - L’Etat compensera le financement des allocations de solidarité
- Article 19 - Lutter contre les impayés de cantine : une mesure d’inclusion sociale
- Article 20 - Territoires ruraux : détecter les personnes précarisées et leur proposer un accompagnement renforcé
- Article 21 - Guillaume Bapst, directeur de l’ANDES : « Les collectivités sont les premiers financeurs des épiceries sociales et solidaires »
- Article 22 - La lutte contre l’habitat indigne : un combat aux multiples facettes
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